«Pudibonderie et censure sont-elles les deux mamelles de la France de demain?»

 – Selon David Brunat, l’intervention de gendarmes auprès de vacanciers seins nus sur la plage de Sainte-Marie-la-Mer est une consternante illustration de l’évolution des mœurs. Cet esprit de pruderie venu d’autres cultures pourrait bien réprouver notre histoire de l’art qui a toujours mis à l’honneur le sein féminin, s’inquiète l’écrivain.

— Par David Brunat(*) —

Ainsi un duo de gendarmes pudibonds vient-il de défrayer la chronique estivale avec zèle et brio. Censure mammaire et coup de chaleur médiatique sur la météo des plages!

On se plaît à imaginer l’un des deux représentants de la maréchaussée demander à son collègue de serrer sa haire avec sa discipline (et sa matraque) avant de fondre sur une vacancière exposant sa poitrine au soleil et aux regards innocents et de lui commander toutes affaires cessantes de cacher ce sein que ni lui ni personne ne saurait voir.

Un disciple de Tartuffe en uniforme ou bien un honnête gendarme victime d’une insolation? Un agent de police citoyen et prévenant, au courant des risques du bronzage et voulant prendre sa part de la prévention des cancers du sein? Selon les éléments de l’enquête, plutôt une bavure peu policée vu que cette dame se livrait à une activité dûment autorisée en ces lieux. Et une douteuse manifestation de force pour faire régner l’ordre moral sur cette plage des Pyrénées-Orientales devenue en un tournemain et un tour de vis presque aussi célèbre que Saint-Tropez et ses mythiques gendarmes ou que la splendide cité camarguaise des Saintes-Marie-de-la-Mer et ses pèlerinages gitans.

Le coup de sifflet et de chaleur d’un duo de gendarmes tatillons a sans doute davantage fait pour la renommée de la commune de Sainte-Marie-la-Mer que tous les efforts de son Office du tourisme depuis des années.

Notons au passage que ce coup de sifflet et de chaleur d’un duo de gendarmes tatillons a sans doute davantage fait pour la renommée de la commune de Sainte-Marie-la-Mer et de son potentiel balnéaire que tous les efforts de son Office du tourisme depuis des années. La gloire parfois tient à peu de choses…

Quoi qu’il en soit, les minutes de ce drame évoquent la demande d’une famille épouvantée par le spectacle d’une femme bronzant topless, comme on ne disait pas encore quand les premiers monokinis ont fleuri du côté de Saint-Tropez au milieu des années 1960. Et elles rapportent que d’autres vacancières ont été priées à leur tour de remonter fissa leur maillot de bain.

Cette affaire de poitrine à la plage a fait les gorges chaudes de la presse et l’on peut assurément en rire à gorge déployée. Mais on peut aussi y voir une consternante illustration de l’évolution des mœurs.

Cette affaire de seins à la plage, à la fois minuscule et édifiante, nous rappelle aussi l’importance de cet organe nourricier dans l’histoire de l’art.

Certes, le bronzage topless peut sembler ringard ou parfois peu ragoûtant (tout est ici fonction de la configuration des poitrines qui s’exposent et de l’apparence générale des modèles auxquels elles appartiennent, la nature n’ayant pas équitablement distribué ses grâces…). Mais c’est aussi une liberté, un choix individuel, et dans certains cas un acte militant nécessaire pour rappeler que le corps des femmes n’a rien d’impudique et mérite respect et considération. Point.

Or, on ne saurait sous-estimer le risque que fait peser l’esprit de pruderie venu de l’autre rive de l’Atlantique ou d’autres régions du monde et d’autres cultures, et qui souffle dorénavant sur notre société, rappelant d’ailleurs ce Pape (Paul IV) qui fit couvrir les «parties honteuses» des personnages peints par Michel-Ange dans la chapelle Sixtine … et qui fut également, comme par hasard, l’inventeur de l’index des livres interdits. Pudibonderie et censure, les deux mamelles de la France de demain?

Mais cette affaire de seins à la plage, à la fois minuscule et édifiante, nous rappelle aussi l’importance de cet organe nourricier dans l’histoire de l’art, et je remercie pour ma part ces deux gendarmes de m’avoir donné l’occasion de me replonger dans la contemplation de certains chefs-d’œuvre de l’iconographie chrétienne ou profane mettant à l’honneur le sein féminin: les innombrables représentations de la Vierge allaitant son Fils (et quelle belle ironie que l’histoire se soit déroulée dans une cité nommée Sainte-Marie!), le fameux portrait d’Agnès Sorel par Jean Fouquet, les seins fiers et triomphants de Gabrielle d’Estrée et de sa sœur, la Venus Victrix du sculpteur Canova représentant la princesse Pauline Borghèse – sœur de Napoléon – seins à l’air et dans la tenue d’Eve sur un lit de repos, ou encore l’extraordinaire série de fusains «Maternité» réalisée par Matisse en 1939 et pour laquelle posa la princesse Hélène Galitzine avec sa cousine allaitant son bébé.

Que cette histoire de seins nus pourchassés sur les plages nous fasse rire ou pleurer, ne donnons aucun blanc-seing aux gendarmes pudibonds et aux Tartuffe de notre temps.

Et puis, bien sûr, l’inoubliable Liberté guidant le peuple de Delacroix sublimant une Marianne aux attributs mammaires généreux. Un sommet de l’art occidental qui lie poitrine et liberté et qui incarne la portée politique et pas seulement érotique du sein féminin, comme l’ont montré depuis nombre d’initiatives publiques et militantes telles que la journée des seins nus ou le mouvement des Femen avec ses activistes promptes à exhiber cette partie de leur anatomie.

Que cette histoire de seins nus pourchassés sur les plages nous fasse rire ou pleurer, ne donnons aucun blanc-seing aux gendarmes pudibonds et aux Tartuffe de notre temps. Sous les pavés, la plage, affirmait-on en 1968. Dans le topless, une part de liberté, pourrait-on proclamer quarante ans plus tard. Au diable les pudibonds et les censeurs. «Il n’est, comme on dit, pire eau que l’eau qui dort», rappelait Molière dans le Tartuffe. Cela est vrai de l’eau de mer comme de l’eau douce. À bon entendeur …

(*)Ancien élève de l’École normale supérieure et de Sciences Po, David Brunat a été membre du cabinet de plusieurs ministres. Par ailleurs écrivain et conseiller en communication, il a notamment publié Giovanni Falcone, un seigneur de Sicile, paru en 2014 aux Belles Lettres.

Source : LeFigaro.fr