Premiers « 1er mai », de Chicago à Vallauris

— Par Philippe Jérôme —

mai_chicago« Les émeutes de Haymarket Square à Chicago le 04 mai 1886

Défilé chantant, discours et remise de cadeaux, banquet et bal populaire : à Vallauris ce 1°Mai 1909, le premier dans l’histoire de la cité des potiers, on est loin, très loin des émeutes sanglantes de mai 1886 à Chicago qui amèneront la II° Internationale, par la voix du français Raymond Lavigne, à proposer, le 20 juin 1889 « que soit organisée une grande manifestation à date fixe de manière que dans tous les pays et dans toutes les villes à la fois, le même jour convenu, les travailleurs mettent en demeure les pouvoirs publics de réduire légalement à huit heures la journée de travail… ».

« Le jour viendra où notre silence sera plus puissant que les voix que vous étranglez aujourd’hui ».Augustin Spies, anarcho-syndicaliste américain, condamné à mort et pendu le 11 novembre 1886 à Chicago.

« Vous qui ne craignez pas de faire massacrer les ouvriers et de jeter en prison des membres de la CGT sous prétexte d’entrave à la liberté du travail, nous vous demandons ce que vous allez faire devant les menaces du syndicat patronal de Vallauris ! ». Léon Morel, secrétaire général de la Bourse du travail de Nice. Lettre de septembre 1908 au président du Conseil, Georges Clémenceau, après le lock-out des ouvriers potiers.

Ainsi donc, le 1° mai 1886, suivant le mot d’ordre de l’American Federation of Labour (AFL, Fédération américaine du travail) des dizaines de milliers de travailleurs américains sont en grève afin d’obtenir la réduction horaire de la journée de travail. Le 1° mai a été choisi par le syndicat car c’est la première journée comptable pour les entreprises. Dans les défilés revendicatifs, les salariés arborent un triangle rouge sur leurs poitrines pour symboliser le partage de la journée en huit heures de travail, huit heures de sommeil et huit heures de loisirs. Ce mouvement de grève, bien que très suivi, n’est qu’un demi-succès car plus de 300 000 travailleurs sont obligés de poursuivre l’action pour obtenir cette « journée de huit heures ». L’historien américain Howard Zinn (1) a retrouvé quelques traces de ces prolongations : « à Detroit , onze mille personnes défilèrent. A New York ils étaient vingt- cinq mille à participer à une retraite aux flambeaux emmenée par les trois mille quatre cents membres du syndicat des boulangers. A Chicago quarante mille personnes firent grève, toute l’activité ferroviaire cessa et la plupart des entreprises furent paralysées. Les marchés aux bestiaux fermèrent également leurs portes. La milice de l’Etat avait été dépêchée sur place et la police était prête. Le « Mail » de Chicago exigeait qu’Albert Parsons, imprimeur et August Spies, tapissier, les responsables anarchistes de l’Association internationale des travailleurs soient tout particulièrement tenus à l’œil ». C’est que, sous leur impulsion, la Central Labour Union (Union centrale du travail, anarcho-syndicaliste) avait adopté à l’automne 1885 une vigoureuse et menaçante résolution : « qu’il soit entendu que nous appelons instamment la classe salariée à s’armer pour opposer à ses exploiteurs le seul argument réellement efficace : la violence ».

Le 3 mai, devant les locaux de la société Mac Cormick Harvester Works, alors que les grévistes et leurs partisans se battent contre des briseurs de grève, la police tire sur un groupe de manifestants qui fuyait l’endroit, faisant de nombreux blessés et quatre morts. Furieux, Spies se rend à l’imprimerie du « Arbeiter Zeitung » (le journal des travailleurs immigrés allemands, NDR) et tire un tract en anglais et en allemand : « Revanche !Aux armes travailleurs !Depuis des années vous endurez les plus abjectes humiliations, vous vous épuisez au travail , vous offrez vos enfants en sacrifice aux seigneurs industriels. En bref toute votre vie vous avez été des esclaves misérables et obéissants pour satisfaire la cupidité insatiable et remplir les coffres de votre voleur et fainéant de maître. Aujourd’hui que vous lui demandez de soulager votre fardeau il envoie ses tueurs vous tirer dessus. Pour vous tuer ! Nous vous exhortons à prendre les armes ! Aux armes ! ». Un rassemblement est alors organisé le 4 mai, au Haymarket Square de Chicago. Trois mille personnes y participent. Tout se déroule pacifiquement. Puis comme l’orage se fait menaçant et l’heure tardive, la foule commence à se disperser. Un détachement composé de cent quatre-vingts policiers s’avance pour demander aux orateurs de faire cesser la réunion .C’est alors qu’une bombe explose au milieu des policiers faisant soixante dix blessés dont sept allaient bientôt expirer. « La police répliqua en tirant sur la foule faisant à son tour plusieurs morts et deux cents blessés. Sans même savoir qui avait lancé la bombe la police arrêta huit responsables anarchistes de Chicago » relate Howard Zinn.

Un an après un procès inique qui souleva l’indignation dans le monde entier, quatre des anarchistes condamnés – Albert Parsons, August Spies, Adolph Fisher et George Engel – furent pendus. Louis Lingg, un jeune charpentier de 21 ans se suicida en cellule, les trois autres restèrent des années en prison. On n’a jamais su qui avait lancé la bombe…

La conséquence principale de ces évènements qui ont entraîné une répression sans précédent aux Etats Unis où la police procéda à des centaines d’arrestations d’activistes, fut la décision prise par le Congrès de l’AFL à Saint Louis en décembre 1888, relayée l’année suivante par l’Internationale, de faire du 1° mai , une grande journée revendicative des travailleurs. En France, il faudra une bonne dizaine d’années et la création de la Confédération générale des travailleurs (CGT) en 1895 à Limoges, pour que cette « fête des travailleurs » (rebaptisée « fête du Travail » par Pétain en 1941) s’enracine vraiment dans le paysage social et politique.

premier_maiLa tragédie de Fourmies – l’armée tuant à coups de Chassepot dix manifestants pacifiques dont huit jeunes de moins de 21 ans à l’issue du défilé du 1° mai 1891- ne refroidit pas les ardeurs syndicales .D’année en année , à l’image d’une classe ouvrière qui prend conscience de son nombre et de sa force, les participants sont de plus en plus nombreux et déterminés .

Dans la petite bourgade ouvrière de Vallauris, par exemple, ce sont pas moins de 1500 personnes qui se rassemblent sur la place des écoles, le 1° mai 1909, à l’appel des syndicats des potiers, des engobeuses, des enfourneurs de poterie, du bâtiment , des boulangers et des charretiers. Le journal républicain « l’Avenir de Vallauris » raconte : « le cortège se forme et cette foule de travailleurs des deux sexes parcourt les principales artères de la ville en chantant l’Internationale. On se rend ensuite dans la spacieuse cour du café de France où est servi le vermouth d’honneur. Le citoyen Corporandy, président du syndicat des potiers ouvre la série des discours ». Le plus acclamé de ces discours sera celui du « citoyen Maffert » auquel il est offert « un magnifique plat peint à la barbotine par l’artiste Louis Bô » qui a inscrit au revers : « le prolétariat triomphant à son camarade Louis Maffert ».

Ce prolétariat triomphant de Vallauris, c’est celui qui sort tout juste d’un interminable conflit qui l’a opposé au patronat local , lequel a utilisé sans vergogne, l’arme qu’il croyait fatale , du « lock-out » autrement dit, en français, du « tout le monde dehors ! ».

Inventée au début de la révolution industrielle dans les villes anglaises de Manchester et Liverpool et d’ailleurs rajoutée, un siècle après, à l’arsenal répressif de Thatcher pour détruire le syndicalisme britannique, cette « grève des patrons » est expérimentée pour la première fois à Vallauris, en juillet 1908. Tout part de l’usine Lombard, va s’étendre à trente cinq fabriques de la cité potière et concerner mille deux cents travailleurs. « Le samedi 18 juillet à 18 heures la sirène de la machine à pétrir la terre lance pour la dernière fois son cri strident dans l’espace. C’est pour les ouvriers le glas funèbre leur annonçant que le lock-out va prendre effet » racontera dans une brochure syndicale, Etienne Lieutaud, membre de la Chambre syndicale ouvrière et principal animateur de la section de Vallauris du Parti socialiste. La veille du lock-out, les patrons vallauriens s’étaient montrés complètement sourds aux revendications des ouvriers potiers déposées par le conseil de leur syndicat : augmentations des salaires, durée maximale du temps de travail et projet d’assurance chômage.

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