Enseignants / Parents d’élèves : ça se détériore!

— Par Christel Brigaudeau —

bagarre-325Près d’un directeur d’école sur deux s’est fait agresser, verbalement ou physiquement, par des parents, l’année passée, selon une vaste étude. Du jamais-vu.

C’est une scène de la vie ordinaire dans une école élémentaire. Une maîtresse inflige à un élève une punition pour bavardage. Mais les lignes à recopier ne seront jamais noircies : le soir venu, les parents autoriseront leur fils à passer outre la sanction. L’incident, tout seul, n’a l’air de rien. Mais quand il résonne dans les classes des 325 000 instits de France, il devient un phénomène.

Pour la première fois, un expert du monde de l’éducation, Georges Fotinos, a exploré à grande échelle ces petits faits qui font l’école, en soumettant au même questionnaire quelque 4 000 directeurs d’élémentaire et de maternelle. Il interrogera prochainement les chefs des établissements du secondaire ainsi que les parents.

Les griefs s’amoncellent

Nous publions aujourd’hui en exclusivité les premiers résultats de cette plongée dans le coeur des profs. En surface, la grande majorité des directeurs estiment le climat plutôt « bon » sous leurs préaux. Mais, dans le même temps, un faisceau de statistiques annonce aussi l’orage. D’après Georges Fotinos, c’est « la méfiance, voire la défiance » qui domine le discours des directeurs vis-à-vis de ces parents qu’ils croisent tous les jours ou presque à la grille de l’école. Pour 40,3 % d’entre eux, les liens se sont détériorés ces dernières années. Six sur dix pensent aussi que les parents « ne savent pas ce qu’il faut faire pour aider leurs enfants à la maison ». Mais, surtout, le chiffre est édifiant : près d’un sur deux affirment s’être fait agresser verbalement ou physiquement par des parents lors de l’année écoulée. « Les parents nous prennent de plus en plus pour des marchands de savoir : ils exigent un catalogue de prestations, comme si on était un comité d’entreprise », constate Alain Rei, porte-parole de l’association des directeurs d’écoles (GDID). Dans le camp des parents, aussi, les griefs s’amoncellent. « Les profs nous accusent de ne pas suivre nos enfants, mais on ne peut pas tous être à la maison à 17 heures ! » se plaint ce père de famille.Il est temps de briser la glace. Il en va, selon Georges Fotinos, de la réussite des enfants. « Toutes les études l’ont montré, dit-il. Lorsque les parents sont impliqués positivement dans la vie de l’école, les résultats des enfants sont meilleurs. »

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Georges Fotinos : « Il y a une cassure »
Ancien inspecteur général de l’Education nationale, chercheur associé à l’Observatoire international de la violence à l’école, Georges Fotinos est spécialiste du climat scolaire.

Vous venez de sonder près de 4 000 directeurs d’école. Que retenez-vous de cette immersion ?
Georges Fotinos. Je constate une dégradation très nette des relations entre l’école et les parents. Quand je compare mes résultats à une autre étude que l’ai menée en 2005 sur le même sujet, le résultat est sans appel ! Les continents « école » et « famille » s’éloignent l’un de l’autre. Je suis aussi surpris par la violence des échanges. Le parent estime qu’il a droit à un certain service, et s’il n’est pas rendu, il manifeste sa réprobation. De son point de vue, il a forcément raison.

Le phénomène se généralise-t-il ?
On peut considérer que 30 à 40 % des parents se comportent en « consommateurs » revendicateurs. Ce n’est pas la majorité, mais c’est un chiffre inquiétant. Il y a deux mondes qui s’opposent. La preuve, c’est que la plupart des conflits sont centrés sur les punitions et les sanctions données par le corps enseignant aux élèves. Cela signifie que certains parents ne reconnaissent plus l’autorité de l’école sur leurs enfants. La conséquence presque inéluctable, ce sont les agressions.

Cette opposition est-elle nouvelle ?
Oui. Le divorce a commencé assez nettement. La polémique sur le genre, cet hiver, en a donné une illustration. Des familles ont considéré que les valeurs enseignées à l’école primaire ne correspondaient pas à ce qu’elles souhaitaient. Pour moi, c’est le signal à bas bruit d’un phénomène de fond. Il y a une cassure entre la culture familiale et la culture enseignée par l’école.

Qui est, à votre avis, responsable de ce divorce ?
Les torts sont partagés et les peurs sont réciproques. Face au comportement consommateur des parents, les enseignants se réfugient dans leurs bastions. C’est normal : plus il y a une poussée agressive, plus on monte des murailles. On le voit très nettement sur le nombre de réunions d’écoles organisées dans l’année. En 2005, 40 % des directeurs disaient en organiser plus de cinq par an. Le chiffre est tombé cette année à 17 %.
Propos recueillis par Ch.B.

Voir le sondage sur le Parisien

http://www.leparisien.fr/societe/sondage-les-instits-ont-peur-des-parents-29-04-2014-3803203.php