« Petits crimes conjugaux » : de l’usure du couple au théâtre

— Par Roland Sabra —

« Petits crimes conjugaux »
à l’Atrium, à Fort-de-France, les 18 et 19 mai 2012

 

–__-  Léa Galva et Ruddy Sylaire dans « Petits Crimes conjugaux », une pièce de  Eric-Emmanuel Schmitt( photo F-A)

    Ecrite en 2003 par Eric-Emmanuel Smit, « Petits crimes conjugaux » a déjà fait l’objet de nombreuses mises en scène, de la plus célèbre, la toute première,  Charlotte Rampling, et Bernard Giraudeau, mis en scène par Bernard Murat,  à la plus récente celle d’Aurélie Dalmat, aidée d’Hervé Deluge et José Exélis, avec Ruddy Sylaire et Léa Galva à l’Atrium les 18 et 19 mai 2012. Plus que jamais comparaison n’est pas raison. Les moyens des uns ne sont pas les moyens des autres. Alors qu’a-t-on vu à Fort-de-France?

  Au départ il y a une thématique qui pouvait être intéressante, celle des rapports conjugaux après quinze ans de mariage. Gilles, écrivain, est  frappé d’amnésie, à la suite d’un mauvais coup. Il se souvient de ses tables de multiplication, de ses déclinaisons latines mais il ne sait plus quel genre d’homme il est ou était. Il réapprend  par la bouche de son épouse, Lisa, ce qu’ a été leur vie ces dernières années. Lisa reconstruit, enjolive, mêle la réalité plutôt prosaïque du partage des tâches par exemple, à ce qu’elle a rêvé qu’elle soit. Que reste-t-il de l’amour quand le désir s’émousse? A quelles conditions un couple peut-il résister à l’usure du temps? Voilà ce qui aurait pu suscité de l’intérêt. mais voilà l’auteur semble avoir pris au pied de la lettre ce que disait Louis Jouvet :  » Le théâtre c’est une conversation. » Et une conversation théâtrale pour  Eric-Emmanuel Schmitt ressemble à une sorte de prêchi-prêcha philosophique enrobé de bons sentiments, débordant de lieux communs, de fausses évidences, et de vraies banalités et baignant dans un océan de généralités bon marché, le tout parsemé de quelques tartes à la crème bien épaisses :  » Les hommes sont lâches. » « Les femmes ne détournent pas la tête ». « les hommes prêchent par égoïsme, les femmes par égocentrisme » . »Le destin de l’amour c’est la décadence« . « Le couple est une maison dont les habitants possèdent la clé. »  » La liberté n’existe que si l’on s’en sert ».  » A vingt ans, on peut négliger les années; à partir de quarante ans, l’illusion tombe… ».  » Un homme prend une maitresse pour rester avec son épouse tandis qu’une femme prend un amant pour quitter son mari. » Et tout à l’avenant…

 Chaque réplique doit contenir une sentence définitive ou au moins une formule. Il résulte de cette logomachie un texte qui oscille entre le boulevard, la salle rit, et les affres de la contemplation nombriliste.

 Que pouvaient donc faire Ruddy Sylaire et Léa Galva dans cette galère? Ramer! Ce qu’ils ont fait avec bonne volonté, la tête ailleurs, avec ce souci fort louable d’éviter la noyade sous le déluge verbal qui emporte toute émotion, toute expression scénique du sentiment, toute possibilité d’espace réflexif. La mise en scène n’y pouvait rien : le texte  conduit à l’essoufflement. Les tentatives d’installer des moments de silence, quand la comédienne change de tenue par exemple, tombent à l’eau car ils ne viennent jamais souligner un propos mais restent liées à des nécessités techniques.

 On ne mettra pas la pierre au cou de la metteure en scène, Aurélie Dalmat. La tâche était irréalisable compte tenu du peu de moyens à sa disposition dans l’ile. Qu’elle ait eu recours à l’aide, aux conseils de deux autres metteurs en scène, Hevé Deluge et José Exélis, ne fait que souligner cette impossibilité. Et si c’est regrettable cela l’est d’autant plus que le casting retenu  est discutable. Pas sûr que le choix d’une comédienne « amateur » pour un rôle si difficile ait été une bonne option. Même Ruddy Sylaire, comédien expérimenté, dans le rôle de Gilles est à la peine. La possibilité de se « renouveler en tant qu’acteur » (F-A du 18-05-12) que lui proposait la metteure en scène se révèle être un leurre.

  Aurélie Dalmat, militante indépendantiste avérée, dans ses choix artistiques fait preuve d’une ouverture d’esprit tout à fait remarquable. Loin d’être dans la culture de la « blesse », si chère à certains de nos auteurs, elle affirme son intérêt, comme comédienne et comme metteur en scène, pour des œuvres qui veulent dépasser les particularismes et qui prétendent à l’universel. Preuve sans doute de la réalité de son engagement dont elle estime  avec raison qu’il est suffisamment solide pour ne pas avoir à en faire la « monstration » permanente.


« Petits crimes conjugaux » à l’Atrium, à Fort-de-France, les 18 et 19 mai 2012

 Mise en scène, Aurélie Dalmat et Hervé Déluge ;
Production, José Exélis ;
Distribution :  Ruddy Sylaire (Gilles) et Léa Galva (Lisa) ;
Lumière, Marc-Olivier René ;
Costumières, Gabrielle Talbot et Régine Féline.

 

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