Alain JOSÉPHINE en quête de beautés hautières.

(Exposition à la Galerie T§T Jarry, du 2 avril au 16 mai 2012).

— par Scarlett JESUS. —

« C’étaient de très grands vents

sur toutes faces de ce monde

De très grands vents en liesse par le monde

qui n’avaient d’aire ni de gîte […]

C’étaient de très grandes forces de travail ».

SAINT-JOHN PERSE, Vents.

Alain JOSEPHINE est à la fois peintre, musicien et poète. Ses toiles sont bruissantes de luminescences comme celles de TUNER, vibrantes et fluides comme la musique de DEBUSSY, animées d’un souffle épique d’une ampleur qui n’a d’égale que celle de la poésie de SAINT JOHN PERSE. Nous nous trouvons donc en présence d’un artiste qui, refusant la séparation des genres, souscrit aux principes d’Errance et de Relation chères à Edouard GLISSANT. De fait, ses toiles de très grandes dimensions et organisées souvent en diptyques, nous invitent à pénétrer dans un espace en extension, un espace ouvert sur l’Infini ; celui dans lequel l’étincelle créatrice en décrétant « Que la lumière soit ! » donna vie à la matière ; mais celui également d’un univers en construction, en devenir. D’où cette tension très sensible entre traversée d’espaces dilatés et aventure spirituelle. Une tension qui tend à la réconciliation de l’Etre avec le monde et avec le cosmos. A une reconquête également de l’être-au-monde. Le travail d’Alain JOSEPHINE témoigne de l’itinéraire personnel qu’il poursuit, cherchant à concilier l’énergie dont son être est porteur avec l’élan vital dont témoignent les éléments primordiaux, la terre, le feu, l’eau et les vents.

Alain JOSEPHINE aborde le paysage de la même façon que le faisait CEZANNE avec la montagne Sainte Victoire. Revenant toujours sur le même sujet qu’il n’a de cesse d’en rendre compte sous des angles différents. Mais surtout l’abordant non plus comme un objet inerte, mais comme un sujet « actif », un personnage avec lequel il instaure une Relation de nature sensorielle qui semble bien relever d’un corps à corps fusionnel. Par delà la surface plane de la toile sur laquelle prennent forme, horizontalement, les contours de grands espaces, c’est une autre histoire qui peut se lire dans sa profondeur verticale. Une histoire torturée et violente qui renvoie à la chair même de l’artiste. Une histoire de traversée océanique, de houles profondes traduisant le combat épique entre forces opposées, l’eau et les grands vents. Mais aussi une histoire d’eaux mêlées, d’émergence et de co-naissance. Par delà les dilutions de peinture, les giclures et coulures portant la trace d’un parcours aléatoire et chaotique, se perçoit la quête d’une plénitude existentielle où l’être serait à la fois présent au monde et en parfaite osmose avec lui.

Comme chez le poète SAINT-JOHN PERSE, cette recherche des origines, des « eaux primordiales », s’effectue sur un mode épique, celui du combat entre l’ombre et la lumière qui n’est pas sans évoquer le récit de la Genèse. La palette choisie par le peintre se colore alors de tonalités mystiques, recourant à des couleurs étranges. L’impression visuelle semble rejoindre celle dont le poète tente de rendre compte dans cet ultime cantique d’inspiration panthéiste, « Equinoxe », où rêvant d’une communion entre l’homme et la nature, il écrit ce vers :

« …et la semence de Dieu s’en va rejoindre en mer les nappes mauves de plancton » ?

Si le paysage semble épuré et comme déréalisé, Alain JOSEPHINE tente néanmoins de l’appréhender de façon sensible et poétique, par la couleur, la forme et le mouvement. Mêlée à de l’eau la pâte donne une impression de fluidité alors que l’incorporation d’huile va contrarier son adhésion. Ces procédés contribuent à renforcer le dynamisme et le mouvement à l’œuvre dans le paysage. Des giclées, obtenues à partir du procédé du dripping, viennent consteller la toile d’une myriade de bulles luminescentes. Tout en s’inscrivant sur l’espace de la toile, elles témoignent ainsi, à travers la trace temporelle laissée par geste, d’une histoire.

Renforçant la notion d’élan vital à l’œuvre dans les éléments de la nature, ces giclées apportent par ailleurs au paysage une verticalité qui va de pair avec une élévation spirituelle. Celle d’une réflexion philosophique qui porte à la fois sur la perception du réel et sur la relation que l’artiste entretient en tant que sujet avec le milieu dans lequel il vit. Or c’est par une appréhension de nature sensorielle, à la fois visuelle et musicale, une appréhension qui s’apparente à une démarche véritablement poétique plutôt que rationnelle, qu’Alain JOSEPHINE, à la suite du poète Guadeloupéen SAINT-JOHN PERSE, aspire à se positionner…

« …Interrogeant la terre entière sur son aire, pour connaître le sens de ce très grand désordre

Interrogeant le lit, les eaux du ciel et les relais du fleuve d’ombre sur la terre,

peut-être même s’irritant de n’avoir pas réponse… »

(Vents, livre III, Chant 5).