« Personnes qui ont leurs règles », « identité de genre »… mais qu’est-ce qu’être une femme ?

— Par Pauline Arrighi, Essayiste féministe —

Auteure de deux livres, dont Et si le féminisme nous rendait heureuse ? (Dunod)

Alors que J. K. Rowling a été accusée de transphobie pour avoir suggéré que seules les femmes avaient leurs règles, selon Pauline Arrighi, il est impossible de définir le sexe féminin en s’affranchissant de toute considération biologique.

« Personne qui a ses règles ».. pourquoi ne pas tout simplement utiliser le mot « femme » ? C’est ce qu’a suggéré l’écrivaine Joanne K. Rowling dans un tweet, qui lui a valu des accusations de « transphobie ». Selon ses détractrices et détracteurs, certains hommes ont des règles. De même que d’autres personnes, qui indépendamment de ce phénomène physiologique, ne sont ni hommes ni femmes. Tout est une question de définition. Peut-on définir qui est une femme en s’affranchissant de toute considération biologique – pour inclure les personnes transgenres ? Cette proposition de définition, qui a fait son apparition dans les champs intellectuel et militant dans les années 1980, balaie d’un revers de main toute référence à l’observation des corps. Selon les tenants du transgenrisme, la définition biologique de qui est une femme et qui est un homme est non seulement inepte, mais aussi « transphobe ».

Tous les mots concrets sont les supports de conventions sociales qui séparent une catégorie d’objets ou de personnes selon des caractéristiques observables

Qu’un homme proclame qu’il se « sent femme », il obtient à l’instant même le statut de « femme trans », et comme « les femmes trans sont des femmes », cet homme en devient une de fait, sur la base de son ressenti et de son discours. Le même procédé s’applique aux femmes et aux jeunes filles qui auraient une « identité de genre » masculine : qu’importe leur utérus ou leur vulve, ce sont des hommes. C’est du moins la vision de certains et certaines militants et intellectuels. Toute définition peut être remise en cause, toute polysémie peut être envisagée, et en particulier lorsqu’il s’agit d’accroître le bien-être des personnes. Or dans ce cas, il s’agit de l’expression d’un défaut de logique. Pour cerner l’incohérence de ces nouvelles définitions, revenons à la base.

A quoi sert un mot ?

Certain mots, dits concrets, désignent des objets ou personnes concrètes (les hommes et les femmes sont des réalités tangibles, et non pas des concepts comme la liberté). Chacun correspond à une catégorie d’individus qui sont distingués d’autres individus (qui seront désignés par un autre mot) sur la base de caractéristiques observables dans le champ de l’expérience sensorielle. Ces caractéristiques font l’objet d’un consensus dans un groupe linguistique donné. Toutes les personnes francophones désignent comme « siège » un support conçu pour s’asseoir. Si une personne décide d’utiliser le mot « dé à coudre » pour désigner un support pour s’asseoir, elle ne sera pas comprise. Les mots doivent correspondre à une distinction entre certains objets ou individus et d’autres, sur la base d’éléments observables mais aussi réfutables. On peut démontrer et affirmer qu’une tasse n’a pas été conçue pour s’asseoir et ne peut donc pas être considérée comme un siège.

Tous les mots concrets sont les supports de conventions sociales qui séparent une catégorie d’objets ou de personnes selon des caractéristiques observables et qui font l’objet d’un consensus. A quoi bon créer des mots et donc séparer des objets en catégories ? Tout simplement car le choix de ces caractéristiques a une finalité qui se manifeste dans le monde réel. Cette logique s’applique également aux êtres humains.

Les mots femme et homme ont été forgés en utilisant comme critères de différentiation des éléments observables et réfutables : les différences anatomiques et le rôle dans la procréation. L’espèce humaine, comme toute espèce animale qui procrée grâce à des gamettes mâles et femelles, est composée d’hommes, de femmes et d’une minorité de personnes intersexes et chaque personne, sauf exception, est facilement identifiable en tant que l’un ou l’autre, à la naissance ou même avant. Cette distinction entre hommes et femmes n’est pas futile ; dans le domaine médical notamment, le sexe est une donnée importante dans l’interprétation de symptômes ou le dépistage de troubles spécifiques. Dans le domaine du sport, il est nécessaire de séparer compétiteurs et compétitrices pour prendre en compte la réalité du dimorphisme de taille et de masse musculaire.

Il n’existe pas de « pulsion », de « sensibilité » ni de « mode de vie » propre aux femmes

Selon la définition des tenants du transgenrisme, ces considérations biologiques doivent être éliminées pour laisser la place à des « identités de genre », qui ont pour base un ressenti personnel et qui ne se manifeste pas forcément par des signes extérieurs. Seul l’individu peut déterminer, indépendamment de toute observation médicale ou de tout constat de la présence de certains caractères sexuels secondaires, s’il est une femme, un homme, ni l’un ni l’autre ou un peu des deux (ou davantage). Et qu’importent ses chromosomes et son apparence physique, personne ne devrait pouvoir contester cette affirmation, au risque d’être qualifié de « transphobe ». Est une femme qui décrète qu’il ou elle se sent en conformité avec le fait d’être une femme. Sur simple déclaration. Et la moindre remise en cause ou simple questionnement sera qualifié de « transphobe », donc de discours haineux qui doit être immédiatement condamné.

Les transgenristes utilisent parfois un parallèle avec l’homosexualité. Il s’agit aussi d’un ressenti, les personnes homosexuelles ne présentent pas de « signe extérieur » observable sur leur personne de façon objective. Pourtant il n’y a rien de commun à dire qu’un être humain est une femme – en se fondant sur l’observation de ses chromosomes, donc d’une donnée stable pendant toute la durée de sa vie ; et à dire qu’une personne est homosexuelle. L’homosexualité n’est pas inscrite dans le corps comme le sont les 6500 expressions de gènes qui distinguent les hommes et les femmes. Elle se définit par un ensemble d’appétences affectives et sexuelles, et éventuellement de pratiques sexuelles. Or le fait d’être une femme ne correspond à aucune appétence ni pratique. Il n’existe pas de « pulsion », de « sensibilité » ni de « mode de vie » propre aux femmes. Affirmer le contraire est d’un sexisme qui appartient à un autre temps.

L’impasse de la définition transgenriste

Les transgenristes ont créé la première catégorie de mots avec une définition circulaire. Est une femme toute personne qui dit qu’elle est une femme. Sans critère observable, sans caractéristique autre que cette affirmation. La définition ne renvoie à aucun élément tangible et observable dans le réel, elle ne renvoie qu’à elle-même et donc ne désigne rien. « Les femmes trans sont des femmes », corrige la rédactrice en chef du Huffington Post avec contrition. « Trans women are women. Trans men are men », récite le maire de Londres. « Repeat after us. Trans women are women », ordonne une gigantesque projection lumineuse sur un mur du Ministère de la Justice, toujours en Angleterre.

Ainsi l’identité de genre serait un ressenti qui n’a pas besoin d’être justifié ni même décrit, et ne peut en aucun cas être réfuté. Si cette identité proclamée ne supporte pas la remise en question (qui serait de la transphobie et justifierait bannissement des réseaux sociaux, licenciement et menace des pires tortures), c’est justement parce qu’elle ne repose sur aucun élément que l’on peut établir par l’observation ou l’argumentation. C’est un ressenti qui ne peut pas être défini, contrairement à une orientation sexuelle ou une émotion qui a un effet sur le corps (battements du cœur, transpiration, pensées orientées de façon spécifique…). L’identité de genre existe en dehors du tangible, du mesurable et du qualifiable, bref du réel. Elle est du domaine de la foi, qui ne s’explique pas et ne se justifie pas. Comme toute croyance, elle échappe au domaine de l’expérimentation sensorielle. Elle existe, voilà tout. La méthode scientifique ne saurait l’infirmer, puisqu’elle n’appartient pas au monde tangible des mesures et des observations.

Si ces mots ne désignent qu’une réalité biologique, et si toutes les identités, les goûts, les ambitions, les sensibilités sont permises, alors personne n’aura besoin de manipuler le langage ni de transformer les corps

Dans une société rationaliste et laïque comme la nôtre, il est établi que les croyances font partie de la sphère privée et qu’elles ne doivent pas influencer la science ni la politique. Elles ne doivent pas non plus nuire à la santé ni au bien-être de qui que ce soit, et ne doivent pas non plus être imposées aux non-croyants. Chacun est libre de croire que « femme » est un ressenti indépendant du corps. Que personne ne soit obligée d’y adhérer. Ce constat logique ne doit pas nous faire oublier que certaines personnes souffrent d’un sentiment d’inadéquation entre leur corps et leur moi profond. Ce mal-être doit-il et peut-il être résolu par un bouleversement sémantique qui concerne l’ensemble de notre société ? Comme nous l’expliquions dans une tribune publiée dans Marianne le 17 février, la définition du genre comme une identité a des conséquences graves en matière de protection des droits des femmes.

Nous devons collectivement nous interroger sur les causes d’un sentiment d’être « assigné fille ou garçon » à tort qui touche de nombreux adolescents et adolescentes considérés comme « transgenres ». S’agirait-il dans certains cas d’un rejet de contraintes qui pèsent sur chacun de nous, en tant qu’homme ou femme ? Qui s’ « identifie » complètement aux stéréotypes de la femme et de l’homme archétypaux ? Personne, et heureusement car ces stéréotypes sont détestables.

Dans certains cas, ces adolescents éprouvent un besoin de modifier le corps, avec des traitements hormonaux aux conséquences irréversibles et que certains regrettent quelques années plus tard, comme l’explique cet article de The Economist. Et si nous changions notre définition non pas de qui est une femme, de qui est un homme, mais de ce que doit être une femme, ce que doit être un homme ? Si ces mots ne désignent qu’une réalité biologique, et si toutes les identités, les goûts, les ambitions, les sensibilités sont permises, alors personne n’aura besoin de manipuler le langage ni de transformer les corps.

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Source Marianne.fr