Pénurie d’essence historique au Venezuela : « Il faut faire jusqu’à trois jours de queue pour obtenir 20 litres »

Le Venezuela connaît actuellement la pire pénurie de carburant de son histoire. Pour obtenir quelques litres d’essence, les habitants sont contraints de faire la queue pendant des heures, voire des jours, aux abords des stations-services, ou de s’approvisionner sur le marché noir. Alors que les bus et les taxis se font également rares, plusieurs Vénézuéliens racontent comment ils font pour se déplacer et pour économiser le carburant. 

Les pénuries d’essence ne sont pas nouvelles au Venezuela, mais le problème a empiré ces derniers mois. Depuis la mi-mars, et la mise en place du confinement pour lutter contre le Covid-19, la capitale Caracas est aussi touchée, alors qu’elle avait été largement épargnée auparavant. 

À quoi est due cette pénurie d’essence ? 

Cette situation peut surprendre, puisque le Venezuela dispose des plus grandes réserves de pétrole connues au monde. Problème : le pays ne produit plus que 622 000 barils par jour, soit un cinquième de son volume d’il y a dix ans, selon l’OPEP. La faute à la détérioration de ses infrastructures pétrolières, du fait du manque d’investissement et de la corruption. De plus, les raffineries du pays n’arrivent plus qu’à traiter 100 000 barils par jour, contre plus d’un million auparavant, notamment en raison de la fermeture successive de plusieurs sites. 

Résultat : la consommation d’essence du Venezuela est bien supérieure à sa capacité de production, ce qui l’oblige à importer du combustible. Ceci n’est pas nouveau, mais il est de plus en plus difficile pour le pays d’acheter de l’essence à l’étranger, du fait des sanctions américaines. Sans compter que l’État est à court de liquidités, en raison du niveau historiquement bas du cours du pétrole, et de la grave crise économique qu’il traverse depuis quelques années.

Files d’attente kilométriques aux stations-services 

Récemment, le gouvernement a donc imposé un plan de rationnement, et l’immense majorité des stations-services ont fermé dans le pays. Pour s’approvisionner en carburant, les habitants doivent se rendre dans les rares stations-services restées ouvertes, et faire la queue, parfois sur plusieurs kilomètres. 

« Pendant que je faisais la queue, j’ai mangé et dormi dans ma voiture »

Miguel Villavicencio est journaliste à Guanare, dans l’État de Portuguesa.
 

J’ai déjà fait la queue deux ou trois fois, durant deux à trois jours, pour obtenir seulement 10 à 20 litres. Pendant que j’attendais, j’ai mangé et dormi dans ma voiture, j’ai dû supporter la chaleur… Et il y a des risques, en termes d’insécurité. [Par exemple, le 20 avril, à Caracas, deux hommes armés ont volé des gens qui faisaient la queue à une station-service, blessant l’un d’eux par balle, NDLR.] Sinon, on peut laisser la voiture à une connaissance pour aller se doucher, manger et se reposer un peu à la maison, avant de retourner faire la queue. 

Cela fait longtemps qu’il y a des problèmes d’essence dans notre région. Par exemple, en 2019, il fallait déjà faire la queue, parfois durant plus d’une journée. Mais on pouvait alors faire un plein complet, et toutes les stations-services fonctionnaient. Aujourd’hui, on peut avoir 20 litres maximum, et il n’y a que trois stations-services ouvertes à tous à Guanare [où vivent plus de 200 000 habitants, NDLR]. Une quatrième fonctionne, mais seulement pour les médecins, les agriculteurs ou encore les fonctionnaires du gouvernement, et eux aussi ont droit à une quantité limitée. 

Depuis quelques jours, il y a de nouvelles règles : chaque lundi, mercredi et vendredi, un tirage au sort est retransmis à la radio, qui détermine dans quelle station-service les voitures peuvent aller s’approvisionner, en fonction de leur plaque d’immatriculation. Cela a généré quelques accrochages, car dès que les gens savent où ils peuvent aller, ils tentent de s’y rendre le plus vite possible.

« 29 mai : voilà comment cela s’est passé aujourd’hui, avec le deuxième tirage au sort des stations-services à Guanare. Les conducteurs attendent dans la rue les résultats annoncés à la radio, puis partent à toute vitesse vers la station-service où ils peuvent se rendre […]. »

Concernant les motards, ils ne peuvent aller s’approvisionner que le dimanche, et pas plus de trois litres. Ils commencent donc à faire la queue un ou deux jours avant.

23 mai : file de motards pour avoir de l’essence à Guanare. Et qu’en est-il de la distanciation sociale ?” Dans cette vidéo, tournée un samedi, les motards font la queue pour obtenir de l’essence le lendemain.

« Pour économiser l’essence, je conduis lentement et je n’utilise plus la climatisation »

Ana Isabel Dominguez est médecin à Caracas.

Mon réservoir est encore à moitié plein, car j’utilise ma voiture uniquement quand je dois sortir pour travailler, toutes les semaines ou toutes les deux semaines, et j’avais fait le plein à la mi-mars. Mais je conduis lentement et je n’utilise plus la climatisation, pour économiser l’essence. 

Les médecins peuvent obtenir un papier pour avoir de l’essence plus facilement, mais il faut quand même commencer à faire la queue la veille, pour espérer en avoir le lendemain, à la mi-journée.

« J’ai emprunté un véhicule à mon père, dont le réservoir est encore à moitié plein »

Bernardo Rotundo travaille dans le cinéma, à Caracas.

Avec ma femme, nous avons deux voitures, et il nous reste moins d’un quart de plein. Mais depuis le début de la quarantaine, nous sortons juste pour acheter à manger, donc nous n’avons pas cherché à remplir nos réservoirs, surtout vu les files d’attente…

J’ai quand même emprunté une voiture à mon père, dont le réservoir est encore à moitié plein. Par ailleurs, un véhicule du corps diplomatique vient chercher ma femme pour l’amener au bureau, car elle travaille dans un organisme international. Eux, ils achètent l’essence au marché noir.


Marché noir de l’essence 

Un marché noir de l’essence s’est effectivement développé, où le litre se vend environ 3 dollars (2,70 euros). Une fortune au Venezuela, où le salaire minimum mensuel est inférieur à 5 dollars (4,50 euros), d’autant plus que l’essence à la pompe est quasiment gratuite depuis des décennies. Plusieurs Vénézuéliens interrogés par notre rédaction ont accusé les forces de l’ordre d’alimenter ce marché noir. Des militaires qui participaient au trafic ont d’ailleurs déjà été arrêtés dans l’État de Zulia.

« Pour avoir de l’essence aujourd’hui [28 mai], j’ai commencé à faire la queue le mardi [26 mai], à 3 h du matin. Ils donnent 150 places. C’est à San Antonio de los Altos [État de Miranda]. »

« Je marche »

Dimas est un habitant de Puerto Ordaz, dans l’État de Bolívar, sans emploi actuellement. 
 

Ici, la pénurie a commencé l’an dernier, et désormais, il n’y a quasiment plus d’essence. Donc quand je dois aller à moins de cinq kilomètres de chez moi, je marche. Il y a encore des bus, mais très peu, et quand ils passent, ils sont toujours archi-remplis. Donc je préfère ne pas les emprunter, pour ne pas prendre de risques [par rapport à la pandémie de Covid-19, NDLR].

 

Tous les Vénézuéliens interrogés par notre rédaction ont confirmé que les transports en commun avaient quasiment disparu. Il reste encore quelques taxis, mais leurs prix ont augmenté. 

Du combustible envoyé par l’Iran

En guise de soutien, l’Iran a envoyé cinq pétroliers vers le Venezuela, dont quatre sont déjà arrivés la semaine dernière. Le ministre du Pétrole vénézuélien a indiqué qu’ils apportaient « des combustibles, des additifs, des pièces de rechange et d’autres équipements destinés à redresser [leur] capacité de raffinage et [leur] production pétrolière ». Ces livraisons, qui devraient permettre de soulager momentanément le pays, interviennent en plein regain de tension entre Téhéran et Washington.


Augmentation du prix de l’essence et fin du monopole de l’État dans la vente de carburants, à partir du 1er juin 

Ces livraisons ont toutefois un prix. Samedi 30 mai, Nicolás Maduro a donc annoncé que le prix du combustible allait augmenter à partir du 1er juin : le litre coûtera désormais 5 000 bolivars (soit 0,02 euro), contre 0,00006 bolivar (moins de 0,01 euro) auparavant. 

Il a également indiqué que 200 stations-services gérées par des entreprises privées pourraient désormais vendre de l’essence au prix international, fixé à « 50 centimes de dollar le litre » (0,45 euro), mettant ainsi fin au monopole de l’État vénézuélien dans la vente de carburants. 

Enfin, il a déclaré que le transport public de passagers et de marchandises serait subventionné à 100 % durant 90 jours. 

 

Article écrit par Chloé Lauvergnier

Source : France24.com