Pauvreté en France : un niveau historique atteint en 2023

— Par Jean Samblé —
L’année 2023 marque un tournant inquiétant dans l’évolution sociale du pays. Selon les dernières données publiées par l’Insee le 7 juillet 2025, le taux de pauvreté monétaire a grimpé à
15,4 % de la population vivant en logement ordinaire en France métropolitaine, son plus haut niveau depuis que la statistique est mesurée, en 1996. Cela représente 9,8 millions de personnes vivant avec moins de 1 288 euros par mois pour une personne seule – soit 60 % du niveau de vie médian.

En une seule année, environ 650 000 personnes ont basculé sous ce seuil, une progression sans précédent. Cette hausse spectaculaire est largement attribuée à la fin des dispositifs exceptionnels mis en place en 2022 pour amortir les chocs successifs de la crise sanitaire et de l’inflation. L’arrêt de l’indemnité inflation, de la prime exceptionnelle de rentrée ou encore du chèque énergie a brutalement exposé les foyers les plus modestes à la réalité du coût de la vie.

Des inégalités qui s’accentuent

Parallèlement, les inégalités de revenus se sont aggravées. Le rapport entre les 20 % les plus riches et les 20 % les plus pauvres a atteint un niveau inédit depuis les années 1970 : les premiers gagnent 4,5 fois plus que les seconds. Le coefficient de Gini, indicateur synthétique des inégalités, avoisine également son record de 2011.

Le niveau de vie médian, porté par une conjoncture de l’emploi relativement favorable, a augmenté à 2 150 euros mensuels (+5,9 %), une croissance plus rapide que l’inflation annuelle moyenne (+4,9 %). Toutefois, cette amélioration ne s’est pas traduite pour tous : alors que les 10 % les plus riches ont vu leur pouvoir d’achat progresser (+2,1 % en euros constants, grâce notamment aux placements financiers et à la suppression complète de la taxe d’habitation), les 10 % les plus pauvres ont connu une baisse de leur niveau de vie (–1 %).

Les plus fragiles en première ligne

La pauvreté touche de manière disproportionnée certains groupes. Les familles monoparentales sont particulièrement exposées : leur taux de pauvreté a bondi de près de 3 points, atteignant 34,3 %. La revalorisation de 50 % de l’allocation de soutien familial, intervenue fin 2022, n’a pas suffi à compenser la perte d’autres aides et les difficultés d’accès à un emploi stable. Résultat, le taux de pauvreté des enfants atteint désormais 21,9 %.

Les travailleurs pauvres sont également de plus en plus nombreux : 8,3 % des actifs en emploi vivent sous le seuil de pauvreté (+0,6 point). Chez les chômeurs, la précarisation s’accentue également, avec 36,1 % vivant dans la pauvreté. Cette dégradation est en partie liée à la réforme de l’assurance chômage, qui a réduit la durée et le montant des allocations.

Un système social mis à l’épreuve

Le système redistributif français – impôts et prestations sociales – continue de jouer un rôle crucial pour limiter la pauvreté. Sans ces mécanismes, le taux de pauvreté aurait atteint 21,7 % en 2023. Cependant, leur efficacité montre des limites : les allocations logement ont été revalorisées en deçà de l’inflation, et les financements alloués à l’insertion ou à l’aide alimentaire devraient baisser dès 2025.

Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), par la voix du sociologue Nicolas Duvoux, estime que la France a franchi un « seuil d’alerte ». Contrairement aux décennies précédentes, la baisse du chômage ne suffit plus à faire reculer la pauvreté, notamment à cause de la fragilisation du marché du travail et de la montée du statut de microentrepreneur, peu protecteur.

Une réponse politique attendue

Face à cette dégradation sociale, les associations réunies dans le collectif Alerte (Secours catholique, ATD Quart Monde, Emmaüs, etc.) ont alerté le gouvernement sur l’urgence d’une « stratégie nationale de lutte contre la pauvreté » dotée de moyens réels. La présidente du collectif, Delphine Rouilleault, a mis en garde contre un éventuel gel des prestations sociales en 2026, évoqué dans le cadre d’une année budgétaire « blanche », qu’elle juge inacceptable.

Le Premier ministre, François Bayrou, s’est engagé à maintenir les 203 000 places d’hébergement d’urgence actuelles et à inscrire la lutte contre la pauvreté dans une perspective de réduction sur dix ans, comme le prévoit une loi de 2008. Mais dans un contexte de réduction des dépenses publiques, les arbitrages à venir restent très incertains.