Parentalité : et si on les éduquait…au lieu de chercher à les dresser… !

— Par Gracienne Laurence —

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La Vierge donnant une fessée à l’Enfant Jésus, Max Ernst

L’enfant est-il un être humain ? Bien fou serait celui qui répondrait par la négative à une question aussi simple que banale. Donc on reconnaît à l’enfant un statut de personne, on lui reconnaît des droits comme à toute autre personne. Donc la déclaration universelle des droits de l’homme le concerne et le protège de tout châtiment corporel c’est-à-dire tout acte commis pour le punir et qui s’il était appliqué à un adulte serait une agression illégale.
Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies donne la définition suivante des châtiments corporels comme : « Tout châtiment impliquant l’usage ou la force physique et visant à infliger un certain degré de douleur ou de désagrément, aussi léger soit-il. La plupart de ces châtiments donnent lieu à l’administration d’un coup (« tape », « gifle », « fessée ») à un enfant, avec la main ou à l’aide d’un instrument (fouet, baguette, ceinture, chaussure, cuiller de bois,/ Ce type de châtiment peut aussi consister, par exemple, à donner un coup de pied, secouer et projeter un enfant, le griffer, le pincer, lui tirer les oreilles, ou encore à forcer un enfant à demeurer dans une position inconfortable, à lui infliger une brûlure, à l’ébouillanter ou à l e forcer à ingérer quelque chose(par exemple laver la bouche d’un enfant avec du savon ou l’obliger à avaler des épices piquantes) ».
C’est pourquoi le 20 novembre 1989 l’assemblée générale des Nations Unies à adopter à l’unanimité la Convention Internationale des Droits de l’enfant qui stipule en son article 19 que les « États, parties, prennent toutes les mesures, législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toutes formes de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié ».
En ratifiant cette Convention c’est-à-dire un texte qui a force de loi la France accepte ipso facto son contenu et s’engage à respecter sa signature. Or depuis son adhésion à cette loi la France n’a pris aucune mesure législative claire concernant l’interdiction des châtiments corporels et les mauvais traitements infligés aux enfants dans la sphère familiale comme méthode éducative. Et lorsqu’elle est interpelée sur ses manquements, elle brandit haut et fort son code pénal qui interdit les violences sur mineurs. Ce qui ne satisfait ni les ONG ni le Comité Européen des Droits Sociaux. Pour le Conseil de l’Europe la France est en infraction en ne disposant pas d’une législation claire sur les châtiments corporels infligés aux enfants. Et pourtant ce pays qui fait du respect des droits de l’homme l’une de ses vertus cardinales a déjà été interpelé à plusieurs reprises à ce sujet. Mais il continu à faire de la résistance. La société française aurait-elle gardé en mémoire des traces d’une éducation à la dure qui a persisté jusqu’au début du XIX siècle ? A cette époque, le père omnipotent pouvait faire incarcérer son enfant, le battre, lui balancer des coups de pied aux fesses selon son humeur. Ce personnage avait également le droit de battre sa femme et ses domestiques. Sur ce dernier point beaucoup de changements sont intervenus. Battre sa femme est puni par la loi, et les domestiques sont des employés qui ont des droits qu’il convient de respecter.
Ici, en Martinique que dit l’opinion sur la question des châtiments corporels ?
Il suffit de prêter l’oreille de-ci, de-là pour comprendre que notre société est très fortement attachée aux châtiments corporels seule méthode selon la grande majorité des martiniquais capable de faire l’enfant rester dans le droit chemin, de respecter ses parents et de ne pas tomber dans la délinquance. La famille attend de l’enfant obéissance, soumission, tremblement et peur vis-à-vis d’elle. Il n’y a pas si longtemps l’enfant était sommé de baisser les yeux quand le parent lui faisait une remontrance. Et si d’aventure il refusait d’obtempérer il s’exposait à une déferlante de violence faite de coups, d’insultes et de menaces terrifiantes. Nous avons à nous interroger sur cette méthode éducative qui se transmet de génération en génération depuis des siècles. De quelle mémoire avons nous héritée ? Est-ce celle de la société française ou celle qui vient de notre histoire douloureuse c’est-à-dire l’esclavage ? Eh oui, n’en déplaise à certains ! Les parents martiniquais ne seraient-ils pas entrain de perpétuer sur leurs propres enfants ces traitements ignobles et inhumains que le maître (tant décrié) faisait subir à nos aïeuls. C’est une hypothèse avancée par beaucoup de chercheurs afro-caribéens. D’ailleurs les droits de l’enfant d’une manière générale ont été assez mal compris ici. Et beaucoup de parents ne veulent même pas en entendre parler. Ils sont persuadés qu’en reconnaissant des droits à l’enfant c’est-à-dire ceux à l’éducation, à la sécurité, à la santé, au respect, au dialogue, l’Etat les empêche d’éduquer correctement leurs enfants.
Et pourtant beaucoup de spécialistes dénoncent les méfaits des châtiments corporels sur le développement de l’enfant. D’abord les coups font mal. Ils marquent le corps. Ils occasionnent des bleus, des ecchymoses. Ils créent non seulement de la douleur physique mais également de la souffrance psychologique. Une chercheuse américaine, Elizabeth Thompson Gershoff a publié les conclusions d’une méta-analyse conduite en 2002 qui sont les suivantes : « les châtiments corporels entraînent de nombreuses conséquences négatives et aucun effet positif sur le long terme. Ils tendent à altérer la santé mentale de l’enfant, fragilisent les relations enfants-parents, fragilisent l’intériorisation des règles morales, accroissent l’agressivité infantile, sont un facteur d’attitude asociale chez l’enfant qui plus est, ces effets perdurent à l’âge adulte. L’expérience précoce des châtiments corporels peut altérer la définition que l’on a de la violence. Les individus qui ont subi des punitions sévères dans leur enfance ont de fortes chances de grandir avec l’idée que leur expérience était normale. Et s’inscrire dans un cycle de violence. Certains iront jusqu’à remercier leurs parents de les avoir battu » mais quelques uns resteront marqués par ces brutalités et en voudront à ceux qui les ont fait souffrir. La violence parentale bloque la joyeuse spontanéité de l’enfant qui devient introverti, timoré. La confiance de l’enfant en lui-même se nourrie de celle que lui accorde son parent. Cette construction intérieure ne peut se faire que dans climat exempt de violence et empreint de respect et d’affection. Se pose le problème de l’éducation de l’enfant. De quoi l’enfant a-t-il besoin pour se développer sereinement et harmonieusement avec une estime de soi bien ancrée ? Si être parent est une expérience très enrichissante, remplir sa mission d’éducateur est loin d’être simple pour des parents qui ont comme références celles que leurs parents leur ont transmises, mais qui malheureusement ne sont plus adaptées à l’époque actuelle. Alors que faire ? Conscients des conséquences de ce problème pour la société, beaucoup de pays y compris la France ont mis en place des programmes d’aide à la parentalité pour soutenir les familles. Non pas pour leur donner un mode d’emplois, une espèce de catéchisme qui deviendrait vite un carcan. Il s’agit de leur apporter des informations spécifiques qui leur permettront de comprendre le développement et les besoins de l’enfant. C’est à dire, que l’enfant a besoin de limites et de règles clairement définies qui vont lui apporter un sentiment de sécurité. Pour y parvenir, les parents doivent user de l’autorité naturelle que leur confère leur expérience de la vie. En aucun cas il ne saurait être question d’autoritarisme, ce travers de l’autorité qui ne laisse pas de place à l’écoute et au dialogue. Ne bâillonnons pas les enfants ! Ils ont des choses à dire. Notre société démocratique actuelle a besoin plus que jamais d’enfants auxquels on aura permis de penser par eux-mêmes, à faire des choix et à assumer des responsabilités. Il est illusoire de forcer un enfant à se soumettre en le battant et espérer qu’il réfléchisse par lui-même.
Gracienne LAURENCE DESS en science de l’éducation familiale.