« Nous, les filles-mères », réalisé par Sophie Bredier

France 5 (émission « La case du siècle ») dimanche 5 juillet à 22 h 45

Peut-on imaginer à l’heure des procréations médicalement assistées, du mariage homosexuel et des nouveaux combats féministes qu’il fut une époque où l’opprobre pesait sur les « filles-mères », ces femmes rejetées et méprisées parce qu’elles avaient conçu un enfant en dehors des liens du mariage ? Mai 68 est passé par là, avec la contraception et la loi sur l’avortement, et progressivement ces « filles-mères » sont devenues des « mères célibataires » si bien que les nouvelles générations ignorent même jusqu’à ce terme.

Pourtant ce passé occulté, refoulé n’est pas si lointain. Les traces sont toujours là, à vif du combat que ces mères, abusées ou abandonnées, durent mener pour élever seules leur(s) enfant(s) alors qu’elles étaient méprisées et rejetées par la société. Il s’agit de la génération de nos parents et grands-parents.

En mêlant témoignages et archives, ce film raconte à la fois l’évolution et la permanence du regard posé sur les « filles-mères » et leurs « bâtards » et déroule les grandes étapes de la politique familiale en se focalisant sur l’histoire d’une institution méconnue : les établissements maternels. A l’ère des questions de genre et du regain féministe, il s’agit de comprendre comment la honte d’avoir été des « filles-mères » avait pu à ce point être partagée, voire entretenue par la société, à une époque où le mariage était obligatoire pour fonder une famille.

J’ai conçu ce film comme la chronique d’une émancipation collective à travers un choeur de femmes de toutes générations et de toutes origines témoignant de leur parcours individuel de “fille-mère” et de leur passage en institution maternelle. A la fois en marge et subversive, la “fille-mère”, d’abord méprisée et rejetée, puis finalement peu ou prou acceptée en tant que « mère célibataire » dans les années 70/80, a pourtant participé au mouvement de libération des femmes — la maison maternelle et ses avatars reflétant tout à la fois les avancées, les pesanteurs et les réticences de la société.

Sans autre commentaire, ces femmes parlent sans fard, souvent pour la première fois, dans l’émotion de cette remémoration difficile des discriminations et des épreuves endurées. Ces témoignages sont surtout d’authentiques portraits de femmes, certaines rebelles, d’autres plus fragiles. Portraits de mères-courage refusant d’abandonner leur enfant… Combats de femmes en quête de légitimité prônant leur indépendance et la reconnaissance de leur statut. Parfois à leur insu et à leurs dépens, elles ont contribué à « défaire les normes » et à faire accepter la maternité célibataire dans nos sociétés.

Le film déroule un fil chronologique dont les différents témoignages assurent la progression et la cohérence du film. Ainsi chaque témoignage prend en charge de manière affective et subjective une période historique, l’éclaire à l’aune de sa propre expérience. Il croise dans le même temps les grandes étapes des politiques familiales nées après-guerre qui ont permis aux « filles mères » d’être progressivement intégrées dans la société. En effet, les pouvoirs publics, en sortant des deux Guerres mondiales, durent engager à des fins natalistes tout un processus pour « dé-stigmatiser » la maternité célibataire et contribuèrent ainsi à leur émancipation. Pour une fois, ce n’étaient pas les marges qui cherchaient à se faire entendre et à être reconnues, mais l’Etat qui avait besoin d’elles pour se reconstruire. Par ellipses et par dates-clés, se tissent ces différents éléments : l’histoire des institutions maternelles et des politiques sociales en passant par la lutte de libération des femmes. C’est cet enchevêtrement complexe de conditions historiques et de conquêtes sociales qui a conduit à faire reconnaître le statut particulier de « mère isolée ».

Un long travail de recherches a permis de retrouver des archives des établissements maternels mais aussi des lettres et journaux intimes de « filles-mères », anonymes ou disparues. S’y révèlent le désespoir, la détresse et la révolte de ces femmes abandonnées à leur sort. Il était important qu’elles soient incarnées à travers une voix identifiable par les jeunes générations. Par sa lecture sensible, Camélia Jordana donne corps à toutes ces mères et les réunit dans un même combat, un même cri. Dans ce même souci de mêler l’intime et le politique, le film donne la parole à deux spécialistes invités à poser le cadre historique, juridique et sociologique de cette histoire méconnue ; ils se révèlent être également des personnages du documentaire, ayant chacun à sa manière, vécu dans son parcours de vie, des expériences similaires… Nadine Lefaucheur surtout, intellectuelle et féministe engagée, a consacré tous ces travaux à la maternité célibataire contribuant largement à la « déstigmatiser » et à la faire reconnaître comme un choix. Elle est le fil conducteur impliqué et concerné de ce film qu’elle nourrit à la fois de ses connaissances et de ses propres émotions.

Ce film poursuit et prolonge mon travail entamé depuis plus de vingt ans sur les naissances irrégulières et illégitimes. « Nous, les filles-mères » rend hommage à ces mères courage et tente de leur redonner la place qu’elles méritent dans l’histoire des femmes encore à poursuivre.

Résumé

Peut-on imaginer à l’heure des procréations médicalement assistées, du mariage homosexuel et des nouveaux combats féministes, qu’il fut une époque où l’opprobre pesait sur les « filles-mères » ? Pourtant ce passé refoulé n’est pas si lointain. Les traces sont toujours là, à vif du combat que ces femmes, abusées ou abandonnées, durent mener pour élever seules leur(s) enfant(s). Mai 68 est passé par là, avec la contraception et la loi sur l’avortement, et progressivement ces « filles-mères » sont devenues des « mères célibataires ».

En mêlant témoignages et archives, ce film raconte, par ellipses et dates-clés, l’évolution et la permanence du regard posé sur les « filles-mères » et déroule les grandes étapes de la politique familiale en se focalisant sur l’histoire des institutions maternelles de l’après-guerre à nos jours.

Camélia Jordana prête sa voix aux lettres et journaux intimes de « filles-mères », anonymes ou disparues, et fait résonner cette histoire au présent. Quant à Nadine Lefaucheur, intellectuelle et féministe engagée, elle nourrit le film de ses connaissances historiques et de ses propres expériences, redonnant à ces mères courage la place qu’elles méritent dans l’histoire des femmes.

 

Sophie Bredier, née en Corée du Sud et adoptée en France, est réalisatrice de films documentaires et scénariste de fiction. La plupart de ses films, engageant une parole intime, traitent de la filiation et de la perte en partant d’un matériau physique tel le corps ou les lieux.

D’abord largement autobiographiques, ses trois premiers films (“Nos Traces silencieuses” en 1998 et “Séparées” en 2000 — coréalisés avec Myriam Aziza ; “Corps étranger” en 2004) mettent en scène ses interrogations identitaires autour du mystère de ses origines et de sa perception ambiguë d’“étrangère”. Puis, ses films se progressivement tournés vers les autres tout en demeurant fondamentalement travaillés par une poignée de thématiques personnelles comme le statut des femmes (“Femmes asiatiques, femmes fantasmes”, “Maternité secrète”), la perte (“Elie et nous”), l’abandon (“La tête de mes parents”), la réparation (“Mon beau miroir”), ou encore la filiation (“Orphelins de la patrie”).

Ses films sont diffusés tant à la télévision (Infrarouge, Docs interdits, Arte) que sélectionnés dans des festivals internationaux comme Le Cinéma du Réel, La Berlinale, le FID, Pusan, San Francisco, DOKLeipzig, FIPA etc… Elle a par ailleurs coécrit le scénario du film de fiction “La Robe du Soir” réalisé par Myriam Aziza.

Parallèlement elle encadre régulièrement des ateliers documentaires dans diverses structures (FEMIS, Normandie Images, Arcadi, Mellionnec…). Elle est en charge de l’Atelier documentaire en Master à Paris 7-Diderot depuis 2017.