« Nous condamnerons en image, en son, en zoom… »

France Inter, jeudi 28 mai 2020,  Augustin Trapenard, « Lettres d’intérieur » : Maïwenn

Maïwenn est comédienne, scénariste et réalisatrice. Sa lettre est adressée à celui qui a filmé l’assassinat d’un jeune homme noir par quatre policiers à Minneapolis.

Paris, le 27 mai 2020

« À toi qui as filmé,

Quand j’ai regardé mon téléphone, ce matin, il était 6h. Il était encore trop tôt pour lire l’application du Monde, leurs nouvelles s’affichent à 7h. Alors je vais faire un tour sur Instagram. Je tombe sur Madonna. D’habitude je passe, fatiguée de voir son botox ou sa vie extraordinaire, mais là je comprends qu’une vidéo ne la concerne pas, donc je regarde. C’est ta vidéo, celle de l’arrestation d’un homme à Minneapolis, en pleine après-midi.

Au départ, je ne comprends pas, je vois des flics pas du tout gênés d’être filmés par toi alors qu’ils plaquent un homme au sol qui ne présente aucune résistance.

L’homme supplie d’arrêter, il dit « I CAN’T BREATH, JE NE PEUX PLUS RESPIRER », mais le policier qui a un genou sur son cou a l’air d’apprécier que tu le filmes : il bombe le torse, il te regarde droit dans les yeux. C’est surréaliste.

Je me dis que je dois mal comprendre, que j’ai dû louper un épisode !

Puis tu t’approches du policier, tu dois être à 1,50m de l’homme à terre, et là je découvre que l’homme est noir, et je me dis « ah non ils ne vont pas oser recommencer… » Encore la même vidéo aux États-Unis où la police maltraite un homme noir… Tu continues de filmer l’homme à terre qui n’arrive plus à supplier. Ses yeux se ferment petit à petit. Les passants hurlent aux flics qu’ils vont le tuer si ça continue. Ils disent : « Prenez son pouls », mais l’homme à terre ne bouge plus… Je crois voir de la pisse couler au sol. Tu filmes le visage du policier, sa plaque d’immatriculation… Tu filmes tout. Puis une ambulance arrive et on jette l’homme noir sur un brancard, et ta vidéo s’arrête là.

Je me précipite sur les nouvelles américaines pour savoir si l’homme s’en est tiré, et je ne peux pas croire ce que je lis :  l’homme est mort.

Je ferme mon téléphone. J’ai le ventre noué. Je viens de voir à 6h du matin la vidéo d’un meurtre commis par quatre flics en pleine après-midi.

Les minutes et les heures passent. Je n’arrive pas à passer à autre chose.

Dans les années 1990, comme tout le monde, j’avais vu des vidéos prises la nuit, de loin, et en cachette.

Aujourd’hui, ce qui est effrayant, c’est de voir que les policiers n’ont même plus peur d’être filmés. On dirait même qu’ils fanfaronnent.

Je lis que les policiers ont été virés dans la seconde et que les émeutes ont déjà commencé aux États-Unis. Je ne sais pas comment prendre la chose, être fataliste ou pessimiste. Je fais partie des gens qui ont besoin de faire une conclusion pour aller de l’avant. C’est parfois ridicule mais c’est comme ça. Et au bout de plusieurs heures, je me dis que c’est finalement grâce à nos vidéos.

Aujourd’hui, chaque citoyen a une caméra dans sa poche. Sa caméra fera peut-être justice un jour.

Autrefois, ce meurtre aurait mis des années à être jugé et ne serait probablement jamais condamné. Aujourd’hui grâce à notre arme, notre téléphone, les flics racistes ne seront plus jamais tranquilles. Nous filmerons tout dans les moindres recoins. Nous condamnerons en image, en son, en zoom …

L’homme noir s’appelle George Floyd, il était beau comme un Dieu. »

Maïwenn

France Inter, par Rédaction Internationale, 27 mai 2020 : George Floyd, le nouveau visage des violences policières américaines

https://www.franceinter.fr/monde/par-ailleurs-65-george-floyd-le-nouveau-visage-des-violences-policieres-americaines

Les images prises par un passant et largement diffusées sur les réseaux sociaux mardi sont terribles. On y voit George Floyd, un homme afro-américain de 46 ans, non armé, plaqué au sol par un policier. L’agent le bloque avec ses bras et son genou maintient l’homme à terre en lui appuyant sur le cou. George Floyd supplie, dit qu’il a mal, qu’il ne peut plus respirer, puis il hurle « mama, mama » comme s’il savait qu’il allait mourir. Le policier, lui, reste impassible en appuyant sur les cervicales de George Floyd pendant un long moment. George Floyd mourra quelques instants plus tard à l’hôpital. Le policier et ses trois collègues présents lors de l’interpellation ont été limogés ce mardi.

« Rien de ce que j’ai vu ne va », a dit le maire de Minneapolis qui a licencié les quatre policiers. Le FBI mène une enquête. Le bureau du procureur va déterminer s’il entame des poursuites. Des manifestants se sont rassemblés par milliers dans les rues de Minneapolis pour réclamer « justice pour George Floyd » (…) La mort de George Floyd intervient quelques jours après la diffusion d’une vidéo montrant le meurtre d’un autre homme noir non armé, Ahmaud Arbery, par deux hommes blancs dans l’État de Georgie.

Courrier International, 27 mai 2020 : À Minneapolis, la colère après la mort “douloureusement familière” de George Floyd

L’indignation provoquée par la mort de George Floyd, un Africain-Américain de 46 ans suspecté d’avoir utilisé un faux billet dans un supermarché, a débordé dans les rues de Minneapolis (Minnesota) le mardi 26 mai.

Des milliers de personnes, « dont beaucoup portant des masques » selon le Star Tribune, ont défilé pacifiquement depuis le site où Floyd avait été interpellé par des policiers la veille (…)

Dans la soirée du 26 mai, des heurts ont éclaté entre manifestants et forces de l’ordre en tenue anti-émeute. Lors de la manifestation, la foule a scandé « Je ne peux pas respirer » et a demandé que les policiers impliqués « soient rapidement poursuivis », indique le Star Tribune.

Le FBI a annoncé l’ouverture d’une enquête mardi, et la police de Minneapolis a limogé l’agent qui maintenait George Floyd au sol ainsi que trois autres officiers « qui se trouvaient sur les lieux », rapporte le quotidien local dans un autre article.

Pour le New York Times, ces derniers développements n’auraient sans doute pas été possibles avant l’ère du téléphone portable.

Nicolas Coisplet

 Le Parisien avec AFP, 28 mai 2020 : Nouveaux incidents et manifestations après la mort de George Floyd

http://www.leparisien.fr/faits-divers/etats-unis-nouveaux-incidents-et-manifestations-apres-la-mort-de-george-floyd-28-05-2020-8325327.php

Des heurts ont opposé dans la nuit de mercredi à ce jeudi à Minneapolis la police à des manifestants qui protestaient pour la deuxième soirée consécutive contre la mort de George Floyd, après son arrestation violente (…) Alors qu’incendies et pillages se poursuivaient dans la nuit près du commissariat, un homme est décédé après avoir été touché par balle à proximité des manifestations…

Le chef de la police de cette ville du Minnesota avait demandé aux manifestants de garder leur calme pour ne pas connaître les mêmes débordements que la veille. Mais des échauffourées ont éclaté dans la nuit. Des manifestants ont mis le feu à un magasin de pièces automobiles et pillé une boutique à proximité du commissariat où travaillaient, avant leur licenciement mardi, les officiers accusés du meurtre de George Floyd (…) Le gouverneur du Minnesota Tim Walz a incité mercredi soir sur Twitter les manifestants à quitter la zone, avertissant d’« une situation extrêmement dangereuse ». Le maire de Minneapolis, Jacob Frey, lui a demandé d’envisager de déployer la Garde nationale.

Les quatre policiers impliqués dans l’arrestation de George Floyd ont été limogés mardi mais laissés en liberté alors qu’une enquête a été ouverte. Le maire de Minneapolis s’est demandé mercredi « pourquoi l’homme qui a tué George Floyd [n’était] pas en prison ».

Des manifestations pacifiques se sont déroulées dans deux autres endroits de la ville, notamment sur le lieu où est mort George Floyd pour rendre hommage à cet Afro-Américain de 46 ans, décédé après une arrestation brutale dont la vidéo est devenue virale (…)

Dans tout le pays se multiplient les appels à ce que justice soit faite. La famille de George Floyd a réclamé mercredi que les policiers impliqués soient inculpés de meurtre. « Car c’est exactement ce qu’ils ont fait, ils ont commis un meurtre contre mon frère », a affirmé sur la chaîne NBC sa sœur, Bridgett Floyd. « J’ai la foi et je crois que justice sera rendue », a-t-elle ajouté, jugeant que leur renvoi n’était « pas suffisant ».

Sans les images diffusées sur les réseaux sociaux, les policiers « auraient donné une fausse version des faits et ils auraient planqué ça sous le tapis », a dénoncé Benjamin Crump, avocat de la famille du défunt.

De nouvelles vidéos semblent écarter la thèse avancée par la police selon laquelle George Floyd, soupçonné d’avoir tenté d’écouler un faux billet de 20 dollars, aurait résisté à son interpellation. Sur des images captées par les caméras du restaurant devant lequel il a été arrêté, il a les mains menottées dans le dos et n’oppose aucune résistance quand un policier le conduit vers une voiture de patrouille.

L’affaire évoque la mort d’Eric Garner, un homme noir décédé en 2014 à New York après avoir été asphyxié lors de son arrestation par des policiers blancs. L’affaire avait contribué à l’émergence du mouvement Black Lives Matter (« La vie des Noirs compte »). D’autres décès de Noirs aux mains de la police avaient provoqué des émeutes dans le pays.

Fort-de-France, le 28 mai 2020