— Par Hélène Lemoine —
Les jurées du Prix Femina se sont réunies lundi 3 novembre au Musée Carnavalet pour couronner une œuvre qui a bouleversé la rentrée littéraire. Leur choix s’est porté sur La Nuit au cœur (Gallimard), de Nathacha Appanah, un récit aussi intime que collectif, tissé autour de trois destins de femmes emportées dans la spirale des violences masculines.
Aux côtés de la romancière mauricienne, le jury a également distingué John Boyne, pour son roman Les Éléments (Lattès), dans la catégorie Étranger, et Marc Weitzmann, lauréat du Prix Essai pour La Part sauvage (Grasset), un texte consacré à Philip Roth.
Trois femmes, une même tragédie
Avec La Nuit au cœur, Nathacha Appanah a franchi un pas décisif dans son œuvre. Elle y entrelace trois voix : celles de Chahinez Daoud, brûlée vive par son ex-mari à Mérignac en mai 2021 ; Emma, sa cousine, tuée par son mari à l’île Maurice en 2000 ; et la sienne, survivante d’une relation violente dont elle s’est échappée à vingt-cinq ans.
Trois femmes, trois existences traversées par la peur, la domination et la fuite – mais aussi par le courage de dire.
« J’ai pensé à Chahinez, j’ai pensé à Emma, et je me suis dit qu’il était temps de me regarder moi-même », confie la romancière, émue, au micro de France Inter. « Si je ne le fais pas, pourquoi irais-je vers la vérité de ces femmes ? »
Écrire pour comprendre, écrire pour ne plus taire
Le livre est né, dit-elle, « le lendemain de la mort de Chahinez Daoud ». Ce fait divers d’une brutalité absolue a réveillé une douleur enfouie. Vingt ans plus tôt, Nathacha Appanah avait elle-même vécu sous l’emprise d’un homme plus âgé, poète et journaliste, qui l’avait isolée, humiliée, puis brisée.
De cette expérience, elle avait gardé le silence, n’en livrant qu’une brève allusion dans Petit éloge des fantômes (2016). Avec La Nuit au cœur, elle ose affronter cette part d’ombre, trouvant les mots justes pour raconter la peur, la honte, la sidération — mais aussi la possibilité de se relever.
« Il y a l’impossibilité de la vérité entière à chaque page, mais la quête désespérée d’une justesse au plus près de la vie, de la nuit, du cœur, du corps, de l’esprit », écrit-elle.
Un texte à la croisée des genres
Entre roman, essai et témoignage, La Nuit au cœur brouille les frontières habituelles de la fiction. Appanah parle d’une « écriture de l’impuissance et de l’égarement », un geste d’exploration où se mêlent enquête, mémoire et introspection.
« C’est mon douzième livre, dit-elle, mais le premier où je me sens au plus près de moi-même. Je n’ai pas eu peur de l’écrire. »
Cette audace lui vaut aujourd’hui la reconnaissance du jury Femina, qui salue une œuvre d’une puissance littéraire rare et d’une humanité bouleversante.
Réparer par la littérature
En distinguant Nathacha Appanah, les dames du Femina saluent un acte de réparation. Par son écriture, la romancière rend justice à Chahinez et à Emma, tout en affirmant la voix des survivantes.
Comme la sainte Marguerite de Raphaël, évoquée dans  un article du Monde, elle pose le pied sur l’aile du dragon qu’elle a vaincu. Elle avance. Elle est en vie.
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