Mobilisation internationale pour stabiliser Haïti et restaurer l’ordre

— Par Jean Samblé —

Port-au-Prince, la capitale haïtienne, est plongée dans une crise sécuritaire profonde, marquée par l’escalade des violences liées aux gangs, suscitant une réaction internationale immédiate. Ce week-end, la Communauté des Caraïbes (CARICOM) a convoqué en urgence une réunion en Jamaïque, rassemblant des représentants des États-Unis, de la France, du Canada, et de l’ONU, soulignant l’ampleur de la préoccupation mondiale face à la situation explosive.

Les évacuations d’ambassades occidentales à Port-au-Prince attestent de la détérioration dramatique de la sécurité. L’Union européenne, les États-Unis, et l’Allemagne ont retiré leur personnel diplomatique non essentiel, accentuant ainsi la pression sur les autorités haïtiennes.

Les réponses internationales s’articulent autour d’une mobilisation diplomatique et sécuritaire. Antony Blinken, chef de la diplomatie américaine, se rendra à Kingston pour participer à la réunion de la CARICOM. La France envoie la secrétaire d’État Chrysoula Zacharopoulou, mettant l’accent sur la nécessité de lutter contre les groupes criminels armés et de restaurer l’autorité de l’État.

Le Conseil de sécurité de l’ONU a émis un appel urgent à des « négociations sérieuses » entre les acteurs politiques haïtiens pour rétablir les institutions démocratiques. L’accent est également mis sur l’arrêt immédiat des actions déstabilisatrices des gangs et la traduction en justice de leurs auteurs.

Les États-Unis annoncent le renforcement de leurs effectifs militaires à Port-au-Prince et l’accélération du déploiement de la Mission multinationale d’appui à la sécurité, approuvée par l’ONU. Cette mission vise à stabiliser Haïti et à soutenir la transition politique par la création d’un collège présidentiel indépendant.

La situation humanitaire est préoccupante, avec des écoles et administrations fermées, des déplacements massifs de population, et des hôpitaux visés par les gangs. Les membres de la CARICOM, dont le Canada, cherchent des solutions pour rétablir l’ordre en Haïti et apporter un soutien concret à la population.

L’ambassadeur canadien aux Nations unies, Bob Rae, souligne l’urgence d’établir un État capable de protéger la population haïtienne, affectée par une spirale de violence. Il insiste sur la nécessité d’une réponse collective pour éviter le débordement de la violence au-delà des frontières haïtiennes.

Alors que la crise haïtienne semble sans précédent, la communauté internationale cherche des moyens concertés pour stabiliser le pays et restaurer la démocratie, tout en assurant la protection des Haïtiens face à cette situation désastreuse.

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Déclaration de l’Assemblée des Peuples de la Caraïbe sur la Crise en Haïti – 9 mars 2024

Le 6 mars dernier, le Comité Exécutif Régional de l’Assemblée du Peuple Caraïbe (APC) s’est réuni virtuellement pendant plusieurs heures pour discuter de la crise en Haïti. La réunion, à laquelle ont participé des membres d’Haïti, de Cuba, de la République dominicaine, de Porto Rico, de Martinique, de la Barbade et de Trinité-et-Tobago, a été l’occasion de recevoir un rapport détaillé et une analyse de la situation en Haïti de la part du Chapitre Haïtien de l’APC, soulignant la détérioration quotidienne de la situation.

En solidarité avec le peuple haïtien, le Comité Exécutif Régional a convenu des actions suivantes :

  • Émettre immédiatement une déclaration de solidarité au nom de l’Assemblée du Peuple Caraïbe, identifiant les causes profondes de la crise, analysant la situation actuelle, et précisant ce qui doit être fait – ou non – par la communauté régionale et internationale.
  • Populariser les propositions de l’Accord Montana, regroupement parapluie des mouvements sociaux et de la société civile haïtiens, comme la seule solution réelle à la crise haïtienne.
  • Organiser une conférence de presse régionale le mardi 12 mars, où nos sœurs et frères haïtiens s’exprimeront sur la crise et les perspectives d’avenir. Des membres du Comité Exécutif Régional seront présents en soutien. Lors de la conférence de presse, d’autres actions de solidarité seront annoncées.

Nous, l’Assemblée du Peuple Caraïbe, déclarons que :

  • Il ne doit y avoir aucune intervention militaire étrangère – aucune présence de troupes américaines, ni de troupes d’aucun autre pays dans le Groupe Core, ni de troupes du Kenya, ni de troupes de la CARICOM ou de tout autre État. Nous condamnons fermement les déclarations de certains États membres de la CARICOM affirmant que leurs troupes sont en « préparation » pour se rendre en Haïti.
  • La CARICOM doit cesser de reconnaître Ariel Henry comme Premier ministre d’Haïti. La reconnaissance continue de Henry par la CARICOM malgré les nombreuses Lettres Ouvertes envoyées aux Chefs de gouvernement par l’APC, a renforcé Henry et lui a donné une « légitimité » pour appeler à une intervention militaire de l’ONU. Cet appel avait pour seul objectif de lui permettre, ainsi qu’aux élites politiques et économiques haïtiennes, de maintenir leur contrôle du pouvoir ; et par extension, de servir les intérêts des États-Unis et d’autres puissances impérialistes. Les actions de Henry lors de la dernière réunion de la CARICOM, sa participation à la réunion du CELAC la semaine dernière à Saint-Vincent, étaient toutes des prémices de son déplacement au Kenya pour faire venir des troupes kényanes en Haïti. Henry et ses prédécesseurs du parti PHTK sont corrompus et facilitent la violence et la désintégration des institutions haïtiennes. L’échec de la CARICOM à l’égard de Henry et son soutien à une intervention militaire « dirigée par le Kenya » constituent une tache majeure sur son bilan.
  • La CARICOM doit annoncer au Groupe Core que Henry doit partir et que seule un gouvernement de transition haïtien déterminé, comme le propose l’Accord Montana, peut résoudre la crise.
  • La CELAC doit également cesser de reconnaître Henry.
  • L’ONU et le Groupe Core doivent également cesser de reconnaître Henry et cesser de négocier avec lui pour un transfert de pouvoir. Il est illégitime et toute implication de sa part dans l’établissement d’un arrangement de transition sera illégitime et non acceptée ni approuvée par le peuple haïtien.
  • La seule voie à suivre est que la CARICOM, la CELAC, l’ONU et le Groupe Core acceptent les propositions de l’Accord Montana intitulé « ÉTABLISSEMENT D’UN EXÉCUTIF TRANSITOIRE PAR DES MOYENS CONSENSUELS ET PACIFIQUES : LA FORMATION D’UN GOUVERNEMENT D’UNITÉ NATIONALE/SURSAUT », daté du 10 octobre 2023. Cette proposition est basée sur une solution haïtienne à la crise haïtienne. Elle bénéficie du soutien de centaines d’organisations haïtiennes – mouvements sociaux, organisations de la société civile et partis politiques – ainsi que de personnalités éminentes. Nous avons joint ce document à la présente déclaration.
  • Comme nous l’avons indiqué dans notre Lettre Ouverte du 23 février aux Chefs de gouvernement de la CARICOM, « Nous sommes convaincus que les propositions de l’Accord Montana ne sont pas seulement réalisables mais peuvent créer un environnement dans lequel le peuple haïtien, dans l’exercice de son droit à l’autodétermination et en reconnaissance de sa souveraineté, peut surmonter les gangs et la violence et ramener Haïti sur la voie de la démocratie et de la dignité ».
  • Il y a un vide de pouvoir en Haïti que les groupes armés dirigés par des criminels tentent de remplir. La violence rend presque impossible l’intervention des masses pour combler le vide par des protestations populaires massives légitimes. La reconnaissance continue du Premier ministre de facto, mais totalement illégitime et discrédité, Ariel Henry, a été un autre facteur majeur dans la création de ce vide politique. Cela explique pourquoi son absence du pays a été le signal d’une intensification des actions armées.
  • Ce serait une absurdité et une tragédie si les criminels qui commettent des actes de violence étaient impliqués dans des arrangements de gouvernance transitionnelle. Leur participation ne doit pas être encouragée.
  • Un gouvernement de transition légitime et démocratiquement établi remplira le vide de pouvoir et aura ainsi la capacité de commencer à restaurer la stabilité et de maîtriser les groupes armés avec le soutien du peuple haïtien. Toute assistance nécessaire de la communauté internationale peut être négociée correctement par un tel gouvernement de transition et sur des termes respectant la dignité du peuple haïtien et la souveraineté de la nation haïtienne. Le Groupe Core, la CARICOM et/ou l’ONU ne peuvent pas pré-déterminer une assistance internationale pour faire face à la violence en Haïti. La force multinationale approuvée par l’ONU à la demande de Henry, qu’elle soit dirigée par des troupes kényanes ou autres, ne peut pas être imposée à un gouvernement de transition. Ce serait équivalent à une autre intervention militaire étrangère. L’architecture de sécurité appropriée ne peut être déterminée que par le gouvernement de transition s’il doit y avoir une solution vraiment haïtienne à la crise, appartenant au peuple haïtien.

Nous, l’Assemblée du Peuple Caraïbe, déclarons en outre que :

  • Depuis 2004, Haïti est de facto retournée à un statut colonial, où les ambassadeurs et autres représentants du groupe connu sous le nom de Groupe Core – principalement les États-Unis, la France, le Canada – prennent des décisions sur le processus politique et plus encore en Haïti. Ainsi, Ariel Henry a été installé comme Premier ministre de facto d’Haïti par le Groupe Core, suite à l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021.
  • Depuis l’assassinat de Moïse en 2021, il n’y a eu aucun gouvernement légitime en Haïti. En effet, Moïse lui-même est resté au pouvoir au-delà de son mandat constitutionnel, et il n’y a pas eu de Parlement fonctionnel pendant plusieurs années avant 2021. Il n’y a donc ni président, ni parlement, ni Premier ministre élu.
  • Les mouvements sociaux haïtiens et la société civile plaident en faveur d’un processus qui conduirait au retour de la démocratie et d’une bonne gouvernance.
  • Ce processus est connu sous le nom d’Accord Montana. Formalisé le 30 août 2021, il est issu d’un processus commencé le 6 mars 2021 avec la Commission de recherche d’une solution haïtienne à la crise, qui a abouti à l’Accord Montana signé par environ 1 000 personnes, partis politiques, mouvements sociaux et organisations de la société civile. Il est significatif de noter que ce processus a commencé après que le président Moïse ait dépassé son mandat en début d’année 2021, l’Accord ayant été conclu après son assassinat en juillet 2021.
  • La montée de la violence est le résultat de groupes armés, certains dirigés par d’anciens policiers, financés et soutenus par les élites politiques et économiques en Haïti, avec la complicité des États-Unis et d’autres pays. Il convient de noter que le Canada a sanctionné l’ancien président haïtien, Martelly, en raison de son financement de gangs. Les armes utilisées dans les attaques violentes proviennent largement des États-Unis, qui n’ont rien fait pour arrêter ce flux d’armes. La politique migratoire de Biden visant à miner les processus politiques cubains, vénézuéliens et nicaraguayens a conduit à plus de 3 000 des 12 000 policiers nationaux haïtiens quittant Haïti pour les États-Unis. Cela a vidé la capacité de la PNH à faire face à l’escalade de la violence armée. Le retour de Guy Philippe en Haïti par les États-Unis est une autre manifestation de l’action américaine visant à fomenter la violence et le chaos en Haïti.
  • Les actes de violence ont ciblé la classe ouvrière, les petits agriculteurs, les pauvres et une partie de la classe moyenne inférieure. Les riches et la classe moyenne supérieure n’ont pas été les cibles de la violence. Leurs quartiers n’ont généralement pas été touchés par des actes de violence.
  • Les actes de violence ont pris une tournure très destructrice. Au niveau humain, il y a les actes de barbarie largement rapportés tels que les massacres, viols et agressions. Ensuite, il y a la destruction et l’incendie des infrastructures essentielles du pays telles que les hôpitaux, les écoles, les systèmes d’approvisionnement en eau potable et les zones destinées à la production alimentaire. À un autre niveau, ces groupes armés attaquent également des symboles de la culture haïtienne. Ainsi, ils ont brûlé 8 hectares de terre dédiée à la production du rhum Barbancourt et détruit une ville artistique (Village de Nouailles) – des aspects de la vie haïtienne mondialement renommés. Cette caractéristique destructrice de la violence vise à montrer qu’il s’agit d’une action politique de déstabilisation avec pour objectif de rendre la vie insupportable sur le territoire.
  • La signification du modèle et des cibles de la violence est que ces groupes armés opèrent dans l’intérêt des élites économiques et politiques et des puissances étrangères ; avec pour objectifs : (a) de frustrer et d’empêcher toute action de masse par le peuple haïtien pour imposer une solution politique légitime à la crise ; et (b) de créer les conditions d’un appel à une intervention militaire étrangère. À ce jour, ces objectifs ont été largement atteints.
  • La crise haïtienne ne peut être dissociée de l’importance géopolitique des Caraïbes, et donc du contrôle principalement de l’impérialisme américain. Haïti dispose de ressources précieuses (or, titane, iridium, bauxite, gaz naturel) et nous ne devons pas oublier ce qui s’est passé en 1915 lorsque les intérêts économiques du capital américain ont provoqué la déstabilisation et ensuite l’invasion par les États-Unis.

Nous, l’Assemblée du Peuple Caraïbe, déclarons en outre que :

  • La véritable racine de la crise en Haïti réside dans l’histoire de l’intervention et de l’ingérence impérialistes dans les affaires internes d’Haïti. Cette histoire remonte à l’intervention américaine il y a plus d’une centaine d’années, lorsque les Marines américains ont envahi Haïti en 1915. Les États-Unis ont poursuivi cette occupation pendant 20 ans. Cela était conforme à la politique impérialiste américaine de la Doctrine Monroe, qui repose sur la capacité des États-Unis d’intervenir dans n’importe quelle partie de l’hémisphère occidental si cela leur semble dans leur intérêt. Ces prétendus intérêts sont en réalité les intérêts du capital multinational américain, et en 1915, principalement de la National City Bank de New York. De manière significative, compte tenu des événements en Haïti au cours des dernières années, l’invasion a suivi une période d’instabilité socio-économique et de l’assassinat du président de l’époque. Cette instabilité a été financée et organisée par ladite National City Bank de New York, dans le but de créer les conditions d’une intervention militaire américaine. Cette occupation américaine a soumis les Haïtiens à des conditions inhumaines de travail forcé.
  • La politique de Monroe de l’impérialisme américain a vu la saisie du président démocratiquement élu Jean Bertrand Aristide par les États-Unis et sa sortie physique d’Haïti en 2004. Cela s’est produit dans le contexte d’actes de violence armée dirigés par Guy Phillipe, qui a été plus tard condamné aux États-Unis pour plusieurs infractions criminelles et emprisonné de 2017 à novembre 2023.
  • Il convient de noter qu’en 1994, 20 000 soldats américains sont allés à Haïti pour « restaurer la démocratie » et des troupes des États-Unis et d’autres pays sont restées pendant six ans.
  • À la suite du coup d’État de 2004, les États-Unis et d’autres pays ont une fois de plus envoyé des troupes sous la bannière des Nations Unies. Cette intervention, connue sous le nom de MINUSTAH, a duré treize ans. MINUSTAH a apporté un grand malheur au peuple haïtien, avec des troupes introduisant le choléra, provoquant la mort de plus de 10 000 personnes et infectant des centaines de milliers d’autres ; de nombreux cas de sévices physiques et sexuels commis par des troupes ; ainsi qu’un massacre par des troupes brésiliennes.
  • Pendant 41 des 108 dernières années, les États-Unis et leurs alliés ont eu des troupes en Haïti. Le peuple haïtien, fier de sa guerre qui l’a libéré de l’esclavage et a établi Haïti comme une nation indépendante – la deuxième seulement dans cet hémisphère – s’oppose donc fermement à l’intervention militaire.

Nous, l’Assemblée du Peuple Caraïbe, avons toujours soutenu et réitérons aujourd’hui notre soutien au peuple haïtien dans sa demande de non-intervention militaire étrangère en Haïti. Nous affirmons que la seule voie à suivre est de permettre au peuple haïtien de mettre en place un gouvernement de transition, comme le propose l’Accord Montana.

L’Assemblée du Peuple Caraïbe David Abdulah Pour et au nom du Comité Exécutif Régional

  1. David Abdulah, Trinité-et-Tobago 6. Hilda Guerrero, Porto Rico
  2. David Denny, Barbade 7. Chapitre cubain de l’APC, Cuba
  3. Camille Chalmers, Haïti 8. Claudette Etnel, Suriname
  4. Robert Sae, Martinique
  5. Pedro Franco, République dominicaine