Michel Foucault et archéologie de prison

—Par Jérôme Lamy, historien des sciences —
prisonDans son cours sur la « société punitive », l’historien et philosophe étudiait comment les sociétés capitalistes traitent les individus ou les groupes dont elles veulent se débarrasser.

La société punitive, de Michel Foucault. Éditions Ehess, Gallimard, Seuil, 2013, 26 euros.  Dans son cours au Collège de France de l’année 1972-1973, Michel Foucault abordait ce qui allait devenir la thèse centrale de son livre Surveiller et punir, à savoir la transformation, au XIXe siècle, des modes de répression des illégalismes. L’enseignement du philosophe s’ouvre sur une analyse serrée de la figure du criminel comme ennemi social. En considérant la politique comme une perpétuation de la guerre civile, Foucault réinscrit l’économie de la punition dans l’ordre capitaliste de la modernité. Il remarque également que la morale religieuse vient redoubler la structuration pénitentiaire. La bourgeoisie, jusqu’à la Révolution, s’est accommodée d’une certaine forme d’illégalisme des classes populaires. Mais une fois au pouvoir, et disposant de l’institution judiciaire, les illégalismes des plus humbles lui sont devenus insupportables, car elle craignait une confiscation de son capital. Foucault pointe ici la double articulation du système punitif aux exigences capitalistes et aux impératifs moraux. Le corps des ouvriers devient la première source d’inquiétude pour la classe dominante qui voit, dans les fêtes ou les distractions, une inutile dissipation des énergies laborieuses. Le capitalisme impose donc une maîtrise du temps, non pas seulement pour la production, mais pour la vie tout entière. Il n’est plus un instant qui ne soit soumis à une surveillance rigoureuse. Un ensemble complexe de systèmes « parapénaux » (comme les caisses pour limiter la dépense ouvrière) viennent soutenir l’entreprise de confiscation du temps ouvrier. La prison constitue le point nodal de ce nouvel ordonnancement social et politique du capitalisme industriel. L’architecture pénale quintessencie la surveillance permanente et la punition comme menace. La « séquestration du temps » vient clore la prise panoptique du capital sur les vies des plus humbles. Cette nouvelle société punitive produit donc des normes rigoureuses qui quadrillent l’existence ainsi qu’un ensemble de savoirs (psychiatriques, sociologiques) destinés à la fonder théoriquement. Le cours de Foucault, parce qu’il montre la coextensivité du capitalisme et des pratiques de surveillance généralisée, est d’une brûlante actualité. Il vient rappeler que les modes de coercition sont toujours articulés sur des logiques économiques qu’ils servent et qu’ils soutiennent.

Jérôme Lamy, historien des sciences.

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