Métaspora : au-delà de l’identité ou l’ouvroir anthropologique de l’écrivain des Tropiques

— Par Paultre Pierre Desrosiers —

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« Celui qui n’a pas de patrie acquiert une autre liberté. »
– Stefan Zweig, Le Monde d’hier

Métaspora. Essai sur les patries intimes de Joël Des Rosiers est le fruit d’un long et pertinent travail de réflexion qui se donne pour ambition de s’ouvrir aux expériences sensibles, aux modifications des pratiques et des représentations que les « égarés » produisent, car issues des richesses inépuisables de la confusion du monde et de l’enchevêtrement des cultures. C’est que la mondialisation des idées, des biens et de la littérature est un phénomène déjà ancien. Goethe jadis rappelait son espoir de la transfiguration du réel par une Weltliteratur (littérature mondiale). De l’univers contemporain souvent hybride et animé de complexités diverses dont une histoire postcoloniale toujours pesante, Des Rosiers rapporte des utopies culturelles et des fulgurances esthétiques qui congédient la suprématie du local sur l’universel, de l’origine instinctive sur la pensée mûrie⋅ Au fil de lectures et de compagnonnages qui vont bien au-delà des références communes : de la philosophie à la littérature, de la peinture contemporaine à la photographie puis du cinéma à la musique urbaine et à la politique, l’auteur s’empare de toutes les formes de la culture dominante dans une érudition héritée de Borges, fragmentaire et profondément poétique⋅

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Au sens que donnait Horace à L’Art poétique (vers 1 à 14) : « Les poètes, dira-t-on, n’ont-ils pas eu comme les peintres, le privilège de tout oser ? Sans doute, et cette liberté même, nous la réclamons pour nous…» Au fil des pages, la prose de l’essayiste épouse cette liberté de penser quand bien même son écriture ressemble à une langue presque étrangère, baudelairienne, tant il n’y a pas assez de mots pour dire l’enfance, la double absence, l’insignifiance de la mort, l’horreur de la dictature. Et l’art qui répare et sauve. L’auteur réinterprète les œuvres du passé (diaspora, archives, certitudes) pour tendre vers l’avenir (métaspora, égarement, imprévisibilités). Méta, – ce suffixe décliné au commencement du livre, et qui signifie : avec, depuis, au-delà, pendant, – renvoie à autant de formes du discours qui annoncent une déterritorialisation croissante de la culture. « Nous sommes de tous lieux où nous vivons et où nous avons vécu. » écrivait l’essayiste dans son essai précédent Théories caraïbes (1996). C’est en suivant les regards croisés de sa vie intérieure, enrichie par cette rupture, que Joël Des Rosiers explore les problématiques de la vie en noir.

La primauté de la poésie sur l’histoire
Selon la tradition héritée d’Aristote (Poétique, 9), «…l’objet du poète est de raconter non pas tout ce qui est arrivé, mais ce qui serait arrivé, ou ce qui était possible, à considérer la vraisemblance ou la nécessité des choses. » La fonction de l’historien est donc fort différente de celle du poète, l’un raconte ce qui a été, l’autre ce qui aurait pu être. À l’opposé, la chronique historique se borne à cerner l’événement, certes dans sa réalité, mais dont le statut reste infra-ontologique, car particulier et grevé de contingence, lié aux circonstances et donc au hasard. Toujours selon Aristote, « C’est là ce qui fait que la poésie est quelque chose à la fois de plus philosophique et de plus sérieux que l’histoire. »
Des Rosiers dédie son livre aux hommes de sa famille maternelle. En ouvrant l’essai par des dédicaces appelées Élégies, véritable conte poétique basé sur des faits documentés, écrites en hommage au Général Alix Olivier son arrière grand-père et à Joseph Dunès Olivier son grand-père, l’auteur réaffirme une spécificité historique et mythique en mettant des noms propres sur des généralités. « Blanche Bruneau mourut en couches. » ainsi se donne à lire l’incipit. Le général ramena le nouveau-né et la dépouille maternelle en France et l’enfant, devenu adulte, fit le voyage du retour au pays natal mais avec la patrie européenne que son cœur avait élue. Non seulement le portrait du général révèle ce que Des Rosiers appelle « la perversion digitale de la nostalgie » mais l’utilisation de procédés de pixellisation permet à la photo de révéler, hors d’elle-même, un secret floral : elle est une Figure. Un militaire debout, hiératique, en uniforme d’apparat, à Paris en 1877. Et la Figure ainsi isolée devient un Totem, une Image, une Icône. Et cette icône familiale descendue des lambris, échappant à la représentation, à l’histoire qu’elle est censée raconter, se transforme sous nos yeux en fétiche qui appartient à la fois à la naissance d’une nation, la République d’Haïti, et à celle d’un art, la photographie. Le liminaire élégiaque, placé au début, en dedans mais en dehors du livre, ce sont les mots qui manquaient à la photographie. C’est aussi la conversation avec les absents, le lieu de mémoire des violences et des infamies subies sous l’Occupation américaine et sous son prolongement, la brutalité duvaliériste, et qui trouvent encore une malsaine justification politique. Car c’est au nom de la politique que tout était permis. Les chapitres du livre déploient l’interaction entre philologie, ethno-anthropologie et sémiotique axées sur des perspectives interdisciplinaires. Bien que fondée sur la conjonction de mémoires plurielles, africaine, antillaise, haïtienne et européenne, l’approche vise à faire droit à la singularité énonciative de chaque texte de l’ouvrage. Des Rosiers a écrit en quelque sorte un ouvrage de référence, qui vaut introduction à l’ensemble de son œuvre littéraire.
Peu importe les circonstances qui ont accouché de cette œuvre dite « lucide et métasporique » (L. Péan) d´un auteur qui a déjà fait ses preuves à maintes reprises sur la scène littéraire, ce savoir nous intéresse au premier chef, car il fait de la parole et de l´écrit une source de transmission de la psychanalyse et de l’anthropologie sociale. La transmission de la psychanalyse, nous dit Erik Porge, passe, entre autres, par des textes soit écrits par leurs auteurs soit écrits par celui ou ceux qui ont recueilli les paroles d’un autre.
Dans son livre, Joël Des Rosiers compose ses écritures à partir de matières « issues du trésor populaire des mythes, des légendes et des contes ». Les mythes toujours malicieux, le titre du livre donne déjà le ton puisque Des Rosiers y fait référence aux “patries intimes”, celles qu’il a construites sur des terres étrangères, sans autre aide pour soutenir sa mémoire que sa foi en la littérature. Mais nulle terre n’est étrangère, seul le voyageur l’est. Voici des textes dont la queue avale la tête, d’une facture non linéaire faite de l’impossibilité d’une lecture transparente du réel créole où l’on retrouve des mots, des épisodes intercalés, des paroles fondées sur des valeurs politiques, morales et spirituelles, de la culture métissée de l´auteur à sa formation identitaire qui se crée et se recrée sans cesse, se radicalisant à la faveur des oppositions, des conflits politiques au pays natal. Certains passages historiques plongent leurs sources dans un lointain passé, la zombification de nos compatriotes haïtiens et le legs de l´esclavage dans l’inconscient de l´homme noir. Il conteste le « monopole de la culture légitime » dans la construction de l´identité nationale. Bref, son oscillation entre ses multiples appartenances et une « quête de soi » permanente, et sa rhétorique font passer le lecteur par, ce que Michèle Vallenthini qualifie de « chaud-froid savamment ménagé » qui semble faire allusion à ce « cogito brisé » cher à Paul Ricœur où l’identité perd son unité, se diffracte.

Une vision intérieure de la culture
L´interprétation anthropologique et psychanalytique de l’ouvrage de Joël Des Rosiers et l’effet produit par cette création sur le lecteur, illustrent un processus de « fantasmatisation » ; et l’interrogation éclairée de Sigmund Freud consiste à dépoussiérer les efforts de création : « Où l’écrivain va-t-il chercher ces conflits affectifs anciens mais toujours actifs en lui? » L’ouvrage est fait d’une multitude d’hétéronymes, sans liens apparents mais laisse au lecteur une place libre pour que dans sa lecture soit éprouvé le plaisir esthétique suscité par une écriture poétique. L’argument qui sert de point de départ à notre réflexion, augure favorablement le précepte d’une anthropologie psychanalytique. Car l’anthropologie a été traditionnellement la branche des sciences sociales la plus proche de la fiction, de la magie, de la généalogie. La correspondance dès lors s’imagine aisément entre les êtres qui appartiennent au monde invisible de la magie et les entités intrapsychiques qui construisent les sujets humains.
Dans cette mise en crise de la culture noiriste tant soit peu personnelle ou collective, le poète-essayiste plaide pour la refonte de nos institutions sur une base rationnelle et de la création d’une nouvelle société où les différences humaines ne seront point stigmatisées sur l’autel d’un pseudo- réalisme psychobiologique. Il retourne timidement « sous la tiédeur des vérandas » Tribu, p. pour mieux observer les multiples déboires des rescapés de la traite négrière et exposer à la vérité le mythe de ces irresponsables noiristes qui tardent depuis plus de deux siècles à créer une nation.
Le discours psychanalytique de Joël Des Rosiers a « à voir avec la vie” et se rattache à des événements concrets ou des sentiments réels dans une sorte de court-circuit entre pulsion et affect dont nous parle André Green. Suivant la pente qu’il avait inaugurée dans son livre Théories Caraïbes, l’auteur ne cesse de nous parler de ses souvenirs d´enfance et dit sans trop savoir, une vérité infantile inconsciente et refoulée. Ainsi, l´écrivain exprime son vécu, son inconscient, ses pensées et enfin de compte écrit, dans un dialogue fécond, sa psychanalyse sur fond anthropologique.
Grace à sa pratique intuitive de l’auto-analyse, Joël Des Rosiers nous donne un accès privilégié à une réalité psychique issue du trésor culturel assez authentique pour se hausser à l’universel. L´écrivain crée un produit qui est le reflet de son moi profond et de son parcours d’« égaré » dans le monde. Cet ouvrage est vu comme un outil susceptible de contribuer à l’humanisation de l’homme noir et à la satisfaction d’un désir infantile. Les souvenirs d’enfance de l’auteur ne sont pas pour autant un simple retour du passé mais ceux sur lesquels il s’est construit. En effet, chacun se confronte différemment à ses souvenirs d’enfance et mon cousin paternel a su chercher dans notre passé familial des événements propices au surgissement des souvenirs qui donnent une forme cohérente à la manière dont il s’est senti à un moment donné. Du grand-père maternel, de la peinture à la musique, des îles Caraïbes, dans les parages de la Guyane, du Brésil et du Moyen-Orient, la remémoration du passé familial, le remaniement des souvenirs qui se déroule tout au long de son existence en une sorte de travail faisant appel aux forces vives de la personnalité. Et l´auteur a mis à plat le réel.
L’Afrique invisible et mythique est toujours présente dans la création littéraire de Joël Des Rosiers, ce fantasme de « creuser jusqu’à la racine mère de la culture » à travers les représentations des travaux révolutionnaires de l’artiste Wangechi Mutu ou l’essai d’ethnographie de Jean-Price Mars Ainsi parla l’oncle, devenu un classique. L’écrivain n’est jamais en reste d’un regard envoûté par le roman Rosie Carpe de Marie NDiaye, auteure engagée dans une fresque antillaise somptueuse et tourmentée. L’écriture féministe de Maryse Condé dans son autobiographie La Vie sans fards l’interpelle quand elle dénonce autant les abus d’une société coloriste que le cynisme des indépendances africaines. L’auteure guadeloupéenne est alors confrontée à la rencontre interculturelle et se bute à une « barrière » fondamentale, c’est-à-dire les mécanismes psychiques « médiatisés » par une culture différente. L’art de Wangechi Mutu et les codes de représentation des corps des femmes noires dans la société de consommation occidentale transcendent alors une impression d’isolement et de frustration de cet état de non-appartenance. Les écrits de Marie Ndiaye nous font penser aux œuvres du psychiatre et psychanalyste français Jacques Lacan concernant la place du phallus dans les relations entre les hommes et les femmes. Avec les essais d’ethnographie de Jean-Price Mars, l’auteur de Métaspora explore les vastes et fascinantes frontières des études ethno-anthropologiques tout en faisant ressortir les tares d’une société mal adaptée qui trébuche et culbute devant les difficultés sordides de représentation médiatique, principalement raciste du monde occidental.

Par le miroir de l’écriture, Des Rosiers consacre un chapitre à António Lobo Antunes, écrivain issu de la grande bourgeoisie portugaise et médecin psychiatre comme l’auteur de Métaspora. Le romancier de Lisbonne rentre à petits pas dans la nuit noire de l’histoire contemporaine avec son chef-d’œuvre Splendeur du Portugal qui l’a rendu célèbre dans son pays et à travers le monde. Lobo Antunes remet en question les valeurs du système colonial portugais, une colonisation de peuplement caractérisée par l’ampleur du métissage, dans un système pourtant fortement discriminatoire marquée par la violence et le racisme. Dans ses « lettres de guerre » écrites à son épouse, Lobo Antunes traumatisé par la guerre coloniale en Angola, dénonce la politique coloniale portugaise qu’il trouve répugnante et impitoyable. La religion judéo-chrétienne est qualifiée de culpabilisante et jugée trop “hypocrite et corruptrice”. Il exprime son amertume non pas envers la découverte freudienne mais contre les sectes d’où qu’elles viennent : « De tous les médecins que j’ai connus les psychanalystes, congrégation de prêtres laïcs avec bible, office et fideles, représentent la plus sinistre, la plus ridicule, la plus maladive des espèces. » Le Portugal est aujourd’hui brouillé avec lui-même au prisme de l’héritage colonial. Le passé colonial refuse de s’amender. Et la nostalgie des « rapatriés » rentrés au pays avec un gros cœur mêlé de xénophobie, et marqués par la violence et le racisme, découle de la fracture coloniale. Ironie du sort, face aux problèmes économiques croissants auxquels les Portugais sont confrontés, par un phénomène d’immigration à rebours, de nombreux jeunes professionnels reviennent aujourd’hui massivement dans leur anciennes colonies.

Le traumatisme mémoriel postcolonial

Mes périples métasporiques dans plus d’une vingtaine de pays africains m’ont appris que l’expérience coloniale est toujours insidieuse dans une Afrique indépendante mais psychologiquement asservie, caractérisée par son morcellement géographique, ethnique, et linguistique. Au lendemain des indépendances en Afrique, on voit des hommes à la formation intellectuelle rudimentaire, des petits cadres et même des hommes de troupes indigénisées, des « assimilados » hissés au sommet des affaires de l’Etat. Mais devant cette fatalité inouïe, l’Africain a toujours su maintenir son indépendance culturelle. La problématique de la colonisation dans sa brutalité et sa laideur, est une “ sale histoire ”, une “pourriture5” civilisationnelle explique Fanon.
La requête de “l’identité africaine postcoloniale” est toujours de mise. Aussi le discours de Joël Des Rosiers signale la naïveté de ceux qui croient au lieu natif. « Se sentir chez soi est la première vraie erreur…» retrouve-t-on en exergue de l’essai. Ainsi, assume-t-il au cours de l’interrogation de son histoire personnelle le deuil de son détachement identitaire, non seulement de ses racines mais de la terre qui portait ses racines. Sans être identique d’un texte à l’autre, sa création est l’expression d’un vécu qui trouve son origine dans une expérience singulière toute particulière. Son discours semble postuler une « pulsion de connaissance », épistémophilique où il s’offre la possibilité d’une compréhension plus profonde des choses et un désir de savoir qui s’origine dans le dédale de son roman familial, puis débouche sur une sorte d’anthropologie anti-naturaliste du singulier et du quotidien de l’expérience.

Son discours ethno-politique évoque les rapports difficiles entre le pouvoir et la collectivité en Haïti. Le départ des Duvalier du pouvoir et l’avènement de la démocratie ont ouvert un espace public insolite que les Haïtiens n’ont pas su exploiter. La « politocratie » duvaliérienne, gérée par son contrôle du parti unique quoique remplacée par un régime mixte, tarde à se démocratiser. L’héritage de l’esclavage et de la colonisation continue à hanter les assises de la politique haïtienne. Haïti est le pays le plus pauvre de l’hémisphère américain. Est-ce parce que les Haïtiens souffrent de plus en plus d’un embargo psychologique chronique dû en partie à des effets à long terme de la traite des Noirs ? Le discours de l’auteur introduit l’idée d’une force psychique négative qui cherche à se satisfaire. Le problème du pouvoir et les relations de type domination/soumission, noir/blanc, riche/pauvre seraient une dimension majeure dans la psychologie des populations en souffrance et un point fort dans l’œuvre de Joël Des Rosiers.  En interrogeant la pigmentocratie de la culture politique haïtienne, on remarquera qu’elle fut construite sur un processus de non-reconnaissance, d’exclusion et de négation de l’indigène. Cette querelle permanente faite au paysan haïtien est directement liée au modèle inachevé d’intégration dans une société où l’univers de la créolité est refoulé dans un passé pourtant magnifié mais hautement traumatique. L’exclusion sociale et la précarisation sont des sujets abondamment présents dans les textes de l’ouvrage métasporique. Les populations des villes et « quartiers » de Haïti sont encore « indigénisées » et reléguées aux marges de la grande société haïtienne. C’est une souffrance qui a souvent conduit à des réactions violentes dues, semble-t-il, à des contraintes illégitimes, physiques ou morales ou à des carences profondes du tissu social, survenues tout au long de l’histoire de cette république nègre. La mort politique de Wyclef Jean, artiste auquel un des chapitres les plus aboutis de l’essai est consacré, au profit d’un autre professionnel du spectacle Michel Martelly beaucoup plus malléable, nous montre comment la figure de l’indigène continue à obséder l’action politique en Haïti. Pays où l’on peut devenir un zombi politique et rejoindre des « groupes d’hommes en larmes » qui errent, entre « l’origine et le monde » (Théories caraïbes, 1996).

La création littéraire de Joël Des Rosiers ne se résume pas à une éventuelle littérature du déracinement. L’ouvrage est inaugural par son sujet. Métaspora est cosmopolite, c’est le contour délimité d’une écriture sans fin, un assemblage de fragments issus du trésor culturel, une clé du dialogue entre les cultures et les civilisations, le heurt sur quoi la pensée bute. L’écriture de l’auteur est complexe et témoigne de la volonté de soumettre l’histoire à la poésie et d’égarer le lecteur dans l’ouvrage à la fois hypnotique et savant, sans pour autant accélérer le rythme de la lecture. En définitive, avec son éloge de « l’égarement », Des Rosiers délaisse le romantisme du migrant, du déraciné pour des rives plus intimes de la souffrance individuelle. Nous répétons avec Jacques Lacan que Les écrits ne restent pas. Ce qui reste, c’est la trace matérielle de quelque chose de toujours déjà perdu. Comme un héros égaré, Joël Des Rosiers s’est investi dans la recherche d’une idée juste et claire de la condition humaine. Il a parcouru les traces de la perte pour en dégager le dépassement. C’est une affaire qui outrepasse l’accomplissement de soi. Métaspora est un concept sonore et rythmique qu’il a forgé pour nier les séparations strictes entre la poésie et l’essai, l’écrivain et le médecin, les îles et le continent, les lettres et la musique. En raison d’une fascination et d’un pressentiment, des lecteurs successifs, des chercheurs, des écrivains, des artistes se sont appropriés de « l’intensité littérale de ce mot, pur nœud d’un mot avec un autre mot ». Seule la poésie permet ce forçage. De l’Arménie à la Pologne, de la République dominicaine à la Martinique, après la Sorbonne, Oxford et Harvard, les chercheurs s’y réfèrent tandis qu’un dialogue émerge où nous saisissons la grandeur de ce livre.

Paultre Pierre Desrosiers, M.D., MPH, Ph.D.
Médecin, anthropologue

1. Erik Porge, Des fondements de la clinique psychanalytique, Toulouse, érès, 2008
2. Joël Des Rosiers, Métaspora – Essai sur les patries intimes, Montréal, Éditions Triptyque, 2013,
3. André Green, Le psychisme entre anthropologues et psychanalystes. Une différence d’interprétation. In: L’Homme, 1999, tome 39 n°149. pp. 25-42.
4. Paul Ricœur, Philosophie de la volonté I: Le Volontaire et l’Involontaire (Paris: Aubier, 1950), 17.
5. Jacques Lacan, Le séminaire, livre XX , Encore – p. 153
6. Peter Gay: Freud, une vie. Hachette, 1994

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