« Mangrove »: une chorégraphie de Christiane Emmanuel

— Par Roland Sabra —

mangroveChristiane Emmanuel dans, Mangrove, créé en 2011 et donné dans une nouvelle version, les 25 et 26 avril 2013 à l’Atrium, évoque un monde mouvant, dans lequel les frontières entre la terre et la mer son floues, indécises, en perpétuelle recomposition. Fidèle à elle-même la chorégraphe martiniquaise nous parle d’identité avec cette sensualité que l’on retrouve comme un fil conducteur de l’ensemble de son œuvre. Il s’agit là d’identité première. L’identité sexuelle. Problème de tous les temps, posé aujourd’hui avec un peu plus d’acuité, sous la pression débordante d’un individualisme forcené qui prétend en faire une question de choix personnel. La mangrove ce lieu d’indécision est la métaphore d’un univers indifférencié, à l’origine du monde dans lequel humanité et animalité ne sont pas bien séparées.Elle est le royaume d’un personnage extravagant et androgyne (Ricardo Miranda). Doté d’une poitrine phallique, deux énormes cônes dressés et bariolés, l’androgyne règne sur un monde qui ne repose que sur l’absence de différence, sexuelle entre autres. Au début du spectacle, couchés sur le plateau le long d’une diagonale il y a des tas, plus exactement des corps dans des postures désarticulées ou enchevêtrées dans l’horizontalité du plateau. L’androgyne debout dans sa verticalité traversera le plateau sur l’autre diagonale. En son absence les quatre danseurs, deux hommes et deux femmes bien sûr, vont tenter, réussir, échouer, et de nouveau retenter de faire émerger de l’altérité. La dé-fusion d’avec l’Alma mater est la condition sine qua non de l’émergence du processus d’individuation. La fin du spectacle pourrait paraitre un peu pessimiste, ce qu’elle n’est pas. La lutte pour l’émancipation est un combat sans fin, c’est la vie même.. L’androgyne a certes un domaine considérablement réduit, il limite son jeu à une partie du plateau mais on le sent toujours là, rugissant, dépité mais non définitivement vaincu.

I

miranda_mangroveIl y a beaucoup de travail au sol de la part des danseurs. Est-ce simplement le fait du propos déroulé ou de la nécessité de faire cohérence avec la prestation d’un artiste plus souvent aperçu comme comédien que comme danseur ? Dans un mode de jeu à la Copi, qui semble être son modèle, Ricardo Miranda relève le défi, qui consiste pour un comédien de réussir à s’intégrer dans une chorégraphie. Un joli décor projeté sur la scène et sur le mur du fond figure à la fois la soupe originelle, les laves en fusion et dans les moments d’effacements de l’indifférenciation un monde végétal et ou humain. Antienne inusable et éternelle en Martinique on déplorera le peu de représentations offertes. Regrets d’autant plus vifs que cette situation contrarie le nécessaire travail d’affinage des corps en particulier et du spectacle en général.

Pas sûr que notre lecture du spectacle corresponde tout à fait au propos de Christiane Emmanuel, elle qui prétend ne pas délivrer de message, mais « simplement » permettre au spectateur de déployer son propre imaginaire. Ce que nous avons fait tant il est vrai qu’une œuvre rendue publique n’appartient plus tout à fait à son auteur(e).

R.S.

Création musicale : Jeff Baillard

Danseurs :
Lindy Callégari
Lyvia Gercé
Ricardo Miranda
Robert Régina
Fabrice « Flexx » Vaillant

Copi dans Eva Peron

Copi dans Eva Peron