Madeleine Peyroux dans les pas de Ray Charles

Dans The Blue Room, la chanteuse reprend plusieurs ballades d’un album historique de l’interprète de Georgia.

L’album s’intitule The Blue Room, mais c’est en vain qu’on y cherchera la chanson éponyme, vieil air interprété en son temps par Benny Goodman puis par Perry Como. « J’ai mis du temps à trouver ce titre », explique la chanteuse Madeleine Peyroux, entre deux bouffées de tabac blond, puis deux accords grattouillés sur cette guitare qu’elle semble ne jamais quitter. « Cela s’est imposé par hasard lorsque nous avons voulu réaliser la pochette du disque avec Rocky Schenck, photographe dont j’apprécie l’univers contemplatif et sombre… »

A Burbank, près de Los Angeles, le dit photographe fréquente un bar des années 1950 et tout bleu, The Blue Room. « J’ai tout de suite aimé cet endroit et cette idée d’un espace bleu », poursuit la chanteuse. Une couleur connue pour être celle du blues et de la mélancolie, et dont Peyroux se sert ici comme d’une réplique à la très fameuse pochette rouge de l’album de Ray Charles, Modern Sounds in Country and Western Music, disque qui se trouve être le sujet de sa démarche.

« C’est un album historique en plus d’être très populaire aux États-Unis, rappelle Madeleine Peyroux. Il a été publié en 1962 dans le contexte féroce de la ségrégation. À partir de standards bien connus, Charles y crée un langage musical neuf où les héritages noir et blanc, blues et country, gospel et profanes, ne font plus qu’un. Il force les barrières raciales de la musique. »
Entrain et désespoir

Sur une proposition du producteur et bassiste Larry Klein, avec lequel elle avait déjà repris Careless Love en 2004, Peyroux avait initialement prévu de reprendre l’intégralité du chef-d’œuvre de Ray Charles. Elle ne s’en approprie au final qu’une bonne moitié, dont Bye Bye Love, You don’t Know me, Born to Lose, et I Can’t Stop Loving You, sans chœurs mais avec des orchestrations authentiques en diable. Les autres titres sont aussi des reprises, également choisies dans un esprit où reconstitution et création ne font plus qu’un, et où l’on ne se départ jamais de ces climats languides mais propices à la rêverie. Ils sont empruntés à John Hartford, Warren Zevon, Randy Newman pour le déchirant Guilty, et surtout Buddy Holly pour le single Changing All Those Changes, dont Peyroux et Klein ont su tirer un petit monument d’ironie, entortillant malicieusement l’entrain et le désespoir.
Un humanisme séculier

Dans chacun de ces airs, la voix fêlée de Madeleine Peyroux se sent chez elle, comme revigorée par un parfait dosage entre jazz et country, blues et pop, espièglerie et émotion. « Ce sont des chansons qui parlent de cœurs brisés, d’êtres imparfaits. Cela a beaucoup à voir avec la condition humaine. J’aime beaucoup cette dimension où l’on prend conscience de ses imperfections, ses erreurs, ses laideurs ou ses méchancetés. »

Au-delà de la contribution de Ray Charles à la naissance de la soul comme un genre musical, c’est « ce langage séculier à part entière » qui fascine ici Madeleine Peyroux, intellectuelle branchée et philosophe à ses heures. « Il y a un humanisme séculier qui est indissociable du génie de Ray Charles, une ironie qu’il a su exprimer aussi dans ses ballades. Son rapport à l’héritage religieux était à la fois très humain et très individuel. » La chanteuse y reconnaît un progrès dont elle ne saurait se passer, et qu’elle assimile volontiers à l’avènement, un demi-siècle plus tard, de son autre héros entre tous : Barack Obama.

En concert le 4 mai au Festival de Coutances (Basse-Normandie), le 8 à l’Olympia (Paris).

Alexis Campion – Le Journal du Dimanche

samedi 06 avril 2013

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