L’université comme chambre close

— Par André Lucrèce —

Je viens de lire le roman plein d’ardeur de Corine Mencé-Caster Le Talisman de la présidente, paru aux éditions Ecriture, où tout le travail littéraire est conçu à partir à la fois de son expérience de présidente d’université, telle que vécue par « son moi social », et de son regard vif sur la société martiniquaise.

Il y a quelques années, j’avais donné une conférence à la bibliothèque de l’université sur trois romans écrits par de jeunes martiniquais dont la génération murmure sa propre réplique aux oreilles d’un monde, aux confins de la turpitude et de l’incertitude. Les vieilles questions de notre tradition littéraire antillaise sont ainsi posées là où le regard, la perception, la vision demeurent toujours à naître devant nos hallucinations. J’affirmais alors que le roman pouvait nous révéler les pôles antagonistes face aux consciences déshumanisantes que génèrent les sociétés.

Le roman de Corine Mencé-Caster, par sa faculté qui consiste à prendre de la hauteur par rapport à une affaire qui a affecté l’université et qui a défrayé la chronique, pose clairement le problème de l’irrationalité qui règne de plus en plus dans nos sociétés antillaises, Martinique et Guadeloupe.

Ce roman illustre parfaitement la question que je me pose depuis des années : pour quelles raisons un peuple peut-il céder si facilement à l’irrationalité qui peut aller jusqu’à un déchainement de haine dans un pays où le soleil brille 360 jours par année, où les paysages sont féériques, où la nature dans sa diversité est une merveille, où nous avons inventé des périodes festives propres à nous ressourcer face aux petits tracas de la vie ?

Bien entendu, j’ai la réponse à cette question, mais ce n’est pas, ici, ma réponse qui importe. Ce qui nous intéresse, c’est l’interrogation formulée par l’auteur de ce roman dont le rythme est parfait, l’écriture fluide, l’ironie mordante et divertissante, interrogation qui interpelle le lecteur jusqu’à ce qu’il fasse son examen de conscience.

Je voudrais rapprocher ce roman de celui de Yannick Lahens, écrivaine d’Haïti qui vient de publier Douces déroutes, livre qui pose les mêmes questions : « Ici, vivre, c’est dompter les chutes. La ville est un chaudron et il faut viser l’écume pour ne pas aller racler le fond », dit l’un des personnages. Remplacer le mot ville par le mot pays, et vous avez la description de ce qui se passe chez nous.

Ce que décrit le roman de Corine Mencé-Caster c’est l’existence d’un système qui n’hésite pas à s’attaquer aux institutions les plus nobles. Dans ce système, il y a des affairistes, des accapareurs, des jouisseurs, des spécialistes en vénalité, des maquignons de toutes sortes. Et puis, il y a les autres : ceux qui s’autorisent à pratiquer le doute ingénieux et la surdité arrangeante.

Ce roman n’hésite d’ailleurs pas à dénoncer la lâcheté de certains individus devant le scandale qui a concerné l’université : « Leur lâcheté, leur tiédeur, leur silence avaient transformé une noble lutte pour assainir une institution gangrenée de l’intérieur, en un sinistre combat de coqs, en un affrontement entre gangs rivaux ». L’un des personnages du roman de Yannick Lahens confirme : « Nommer certaines choses est devenu un délit et non le fait que ces choses existent ». Et nous y voilà : l’université de ce pays ou toutes autres institutions sont-elles des chambres closes, où tout peut se passer parce qu’inaccessibles ? Tel est le sujet de ce livre. Et je ne peux que le recommander au lecteur afin qu’il puisse se faire une opinion et peut-être en extraire un supplément de conscience.

André LUCRECE