« Lignes de faille ». Du roman au théâtre

— Par Selim Lander —

Lignes de faille1Nancy Huston a obtenu le prix Femina pour Lignes de faille en 2006. Ce gros roman de presque 500 pages, polyphonique, a fait l’objet d’une adaptation par Catherine Marnas (actuelle directrice du Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine – TnBA), adaptation actuellement présentée au Rond-Point, à Paris. Le livre est une sorte de saga familiale qui, partant de Sol (Solomon) remonte successivement au père Randall, à la grand-mère Sadie et enfin à l’arrière-grand-mère (« AGM ») Kristina. Passer du roman au théâtre s’avère particulièrement délicat, en l’occurrence, non seulement en raison de l’ampleur du premier mais encore parce qu’il est constitué de quatre monologues successifs qui sont situés dans la tête des personnages alors âgés de six ans !

La version littéraire du roman fonctionne à merveille. Au théâtre, c’est plus compliqué. D’abord, restituer ne serait-ce que l’essentiel d’une histoire aussi longue prend beaucoup de temps et le spectacle s’étire sur quatre heures (entracte non compris). Or, entendre quasiment tout au long de la pièce des comédiens adultes monologuer en s’efforçant de prendre une voix de fausset (par ailleurs amplifiée) peut devenir assez rapidement une épreuve pour le spectateur. Les quatre comédiens chargés des rôles principaux jouent également leur personnage adulte : ainsi rencontrons-nous dès le premier tableau le père (et la mère) de Sol, sa grand-mère (dans une chaise roulante – nous apprendrons plus tard, de la bouche de Randall, à la suite de quelles circonstances) et son « AGM ». Il y a donc des dialogues mais l’essentiel reste sur le registre du monologue.

Lignes de faille2

La scénographie est simple et efficace. Une table autour de laquelle se regroupent les personnages et quelques chaises font le lien entre tous les tableaux, lesquels se distinguent par les accessoires disposés sur des plateaux mobiles qui aident à dynamiser le jeu des comédiens. Ces derniers se battent avec vaillance, passant sans discontinuer d’un personnage à l’autre (ils sont huit pour en incarner trente-et-un). Néanmoins on ne les sent pas tous aussi à l’aise dans leurs diverses incarnations et les quelques parties chantées, en particulier, laissent vraiment à désirer.

Demeure le texte. Même réduit par la force des choses, il conserve l’essentiel de sa force et le récit de N. Huston éclaire d’un jour assez neuf soixante ans de l’histoire récente de l’Occident (1944-2004), avec quelques épisodes tragiques comme les enfants volés à fin de « germanisation » par les Nazis, lors de la deuxième guerre mondiale, ou les massacres de Sabra et Chatila.