Lettre à un élève croyant

— Par Sarah Roubato —

Cette lettre se veut un outil pour les enseignants pour aborder cette rentrée difficile, qui tente de faire des élèves croyants des interlocuteurs et non plus les objets d’analyse d’articles d’opinions qui ne les atteignent pas. 

Quel titre affreux. Avec un titre pareil je t’isole du reste des élèves, je pointe mon stylo vers toi spécifiquement parce que tu es croyant. C’est justement le contraire de ce qu’est la laïcité et l’idéal d’égalité. Mais il arrive un moment où le réel rattrape les grands principes, un moment où il faut dire les choses. « Porter la plume dans la plaie » comme disait Albert Londres, un grand reporter que tu aimerais sûrement, qui a fait le tour du monde pour parler des opprimés et des exclus.  Rassure-toi, je ne dis pas que tu es une plaie. Tu sais, parfois on dit « J’ai mal à l’humanité » ou « J’ai mal à la France. » Ça veut dire : « J’ai mal à quelque chose que j’aime et qui est menacé ». 

Je sais que je dois faire très attention en écrivant ces lignes. Je vais même t’avouer quelque chose : je n’ai jamais eu aussi peur d’écrire qu’en t’écrivant cette lettre. Et pourtant c’est mon métier. Mais je sais à quel point les mots peuvent faire mal. Et je sais qu’il est plus facile d’entendre dans les mots de l’autre ce qui nous conforte dans nos opinions plutôt que ce qui nous invite à regarder autrement les choses. Tout le monde le fait. Et dans les religions, les mots ont un grand pouvoir : le pouvoir de prier, le pouvoir de créer, le pouvoir de se convertir. Alors j’espère que tu me liras avec autant de prudence que j’en mets à choisir mes mots.

Voilà une semaine que je rumine des mots dans tous les sens.  J’aurais pu écrire un article pour parler de liberté d’expression, de laïcité, de l’islam en France ou de France. J’aurais tenté d’analyser pourquoi on en est arrivé là, j’aurais pointé les responsables et j’aurais essayé de faire le ménage dans les idées reçues. J’aurais dû me situer entre ceux qui fabriquent la réalité et ceux qui la nient. J’aurais parlé de toi sans m’adresser à toi.  Ça aurait été bien plus confortable que ce que je suis en train de faire. Mais en me demandant ce qui serait le plus utile, c’est apparu comme une évidence : t’écrire, te prendre comme interlocuteur. Faire de toi un sujet et non un objet. Une évidence devant laquelle j’ai ouvert des yeux terrifiés, je te l’avoue. Tu sais quand on se retrouve devant une pièce ou un placard à ranger et qu’on ne sait pas par où commencer… C’est gasse-gueule, et je me planterai sûrement. Mais quitte à me planter je préfère que ce soit toi qui me le dises.

Être croyant, c’est sans doute important pour toi.1 Tu es musulman chrétien ou juif, hindouiste ou sirkh, mais tu es bien d’autres choses. Tu es enfant unique ou de famille nombreuse, tu es l’aîné ou le petit dernier, tu es enfant de commerçants ou d’ouvriers, tu es pauvre ou de classe moyenne ou supérieure. Tu habites peut-être un appartement trop petit ou assez confortable. Tu es plutôt matheux ou plutôt littéraire, plutôt sportif ou plutôt artiste, et peut-être un peu de plusieurs de ces catégories. Pour l’instant, tu n’as peut-être pas beaucoup de critères pour te définir, à part ce qu’on te donne en héritage et le milieu où tu vis. Mais le monde est si grand – si grand ! – si varié, tu vas ajouter plein de couleurs à ta palette. Tu vas devenir le point de rencontre unique de toutes tes expériences, tes convictions, tes déceptions, tes surprises, tes amours, tes victoires et tes défaites.

Tu n’es pas né en te disant qu’il y avait un ou plusieurs dieux, ou le fils de dieu ou un prophète. On te l’a dit. Et tu le crois, et c’est bien normal. Ce que tu vas avoir à accomplir, c’est décider pour toi-même de ce en quoi tu crois. Ta foi va se frotter à tes expériences de la vie, et à ta découverte d’autres croyances et d’autres manières de penser. Alors tu pourras faire tes choix et quoiqu’ils soient, ils seront enfin ce qui te définit. 

Fréquenter la différence

Je sens qu’il va falloir que je te parle un tout petit peu de moi. Je suis enfant d’une famille monoparentale de classe moyenne vivant en HLM2. J’ai toujours fréquenté des gens de différentes nationalités cultures et religions. J’ai joué, grandi et vécu avec des gens très différents de moi. À l’école, puis en colocation dans les pays où j’ai vécu. Pendant 10 ans, j’ai vécu entre un pays multiculturel et un pays musulman. Au Canada, j’ai vécu en colocation avec des québécois francophones, des canadiens anglophones, des mexicains, des cubains, des chiliens, des polonais, des égyptiens, des éthiopiens. Au Maroc, j’ai vécu avec les Berbères du Haut Atlas dans la région la plus pauvre du pays. Dans ma vie amoureuse, je n’ai jamais fréquenté de personne qui avait la même origine culturelle ou religieuse que moi. Être avec des gens qui me ressemblent, ça m’emmerde.

Au Canada j’ai eu à remplir des formulaires administratifs où je devais cocher à quelle catégorie j’appartenais. J’avais le choix entre Autochtone, Européen, Blanc, Sud-Asiatique Chinois, Noir, Latino-Américain, Arabe ou Juif. On mélangeait des notions géographiques, linguistiques, religieuses, nationales et raciales. Car dans la Constitution du Canada, on reconnaît qu’il existe une race blanche3. Si, je t’assure. En France, jamais aucun papier administratif ne m’assigne à une appartenance. La France ne me dit pas que je suis ceci ou cela du fait de la couleur de ma peau, du pays de naissance de mes parents ou de ma religion. Elle ne reconnaît qu’une chose : que je suis citoyen. Ouf ! Je suis libre de me définir. Me voilà de retour en France depuis quelques temps. Et ici encore je fréquente des gens différents de moi : des paysans, des bûcherons, des ouvriers, des enseignants de la campagne très isolée. 

Forcément, quand on vit comme ça, on apprend à vivre toujours entouré d’autres manières de voir le monde. Tu dois t’en douter, j’adore qu’on me contredise. Qu’on me donne à voir le monde par une autre fenêtre que la mienne. Quelqu’un qui voit le monde comme moi ne m’ouvre à rien. Il m’enfonce un peu plus sur ma chaise c’est tout. Mais quelqu’un qui voit le monde autrement élargit ma vue, m’amène à découvrir un paysage par un côté que je ne soupçonnais pas. Ou alors il m’amène à trouver des arguments en béton pour défendre mon point de vue. Dans les deux cas, il me permet de voir plus loin. Et justement, si tu veux bien, je te propose d’aller voir une salle de classe depuis la fenêtre d’un enseignant. 

Être prof : c’est quoi ?

Est-ce que tu t’es déjà demandé : c’est quoi en fait, être prof ? Comment ça se vit ? Être prof c’est faire face à trente, quarante regards qui vous dévisagent de la tête au pied, qui remarquent tous vos petits tics. Trente à quarante forces à qui on demande de rester assis huit heures par jour, trente à quarante corps qui bondiraient de joie si on leur annonçait qu’aujourd’hui tu es malade. Être prof, c’est suivre un programme qui t’est imposé et que tu dois appliquer, que tu le trouves pertinent ou pas, faisable ou non4. Pour ça tu dois aller chercher par toi-même des outils les plus intéressant. Tu y passes une bonne partie de tes vacances, de tes weekends et de tes soirées. Tu essayes de construire un  édifice fragile qu’on appelle un cours, qui peut pencher d’un côté ou de l’autre, être ralenti ou interrompu par les questions des élèves, par leurs difficultés à comprendre, par du chahut, ou par un jour férié ou un test incendie. Alors il faut tout rattraper à la prochaine séance. Heureusement parfois il y a des moments de grâce, ce silence quand tu réussis à captiver ta classe comme un artiste sur scène qui prend son public. Bien sûr, ça n’arrive pas tous les jours. 

Mais un prof n’est pas qu’un passeur de connaissances. Il n’est pas censé être un répétiteur de notions que tu n’as qu’à recracher pour avoir de bonnes notes. Un prof – un bon prof ! –  essaye surtout de te transmettre des réflexes de pensée, il essaye d’élargir ton regard sur le monde, cette fenêtre dont je te parlais… Il essaye d’éveiller ta curiosité et ta soif d’apprendre. Il doit être attentif à ce que tu respectes les autres, leurs faiblesses et leurs singularités. Tu sais, une salle de classe c’est un théâtre, et pendant qu’il fait cours, le prof voit tout. Il s’épuise parfois à demander à ses élèves d’avoir juste le respect de l’écouter. Il passe ses journées dans un endroit où il a rarement accès au calme, et il rentre chez lui chargé de copies qu’il corrigera crevé le soir ou entre deux exigences de sa vie de famille. 

L’éducation, ce devrait être te montrer les chemins de la pensée et de la pratique, de la vie en société, et te laisser les parcourir. Pour que tu trouves une place dans la société et que tu puisses y contribuer pour un meilleur avenir. Mais l’éducation n’est pas qu’entre les mains des profs. Il y a les directeurs,  tes pions, les infirmières de ton école, tes coachs de sport et profs d’arts, et puis les moniteurs des colos, les gens qui gèrent les maisons d’ados et les associations. Dans d’autres sociétés il y a aussi les voisins et les familles élargies. Ici, on se contente de la famille nucléaire : tes parents. Pourtant c’est souvent sur le prof seul que tombent toutes les réprimandes quand quelque chose ne va pas. Avec plus d’heures et des classes plus nombreuses, on le tient pour responsable de tout. Alors que ton épanouissement et ta réussite scolaire, c’est le fruit d’un travail d’équipe entre toi, tes profs, tes parents, et même tes camarades

Ces derniers temps, ce travail d’équipe semble de plus en plus difficile. À croire que le prof est de plus en plus considéré comme un prestataire de service et l’élève comme un client. Critiquer l’école parce qu’on a une autre idée d’un idéal de savoir commun laïc, c’est une chose. On peut remettre en question des méthodes ou des manières de poser des sujets, on peut proposer un meilleur équilibre entre les matières et dans les emplois du temps, on peut interroger l’espace de la classe et les méthodes d’évaluation. La démocratie est dynamique et c’est ce qui fait que l’école peut être mise en question. Mais critiquer des programmes à partir de sa singularité, en disant que telle notion ne devrait pas être enseignée parce qu’elle contredit sa foi, ça n’est pas possible. Puisque comme je te le disais, en France la loi ne te reconnaît pas d’après tes appartenances privées. Elle te regarde comme futur citoyen. Et citoyen n’est pas qu’un mot pour tes cours d’éducation morale et civique. 

Être croyant en France

Pendant plus de 1200 ans, la France a été un pays où la religion faisait loi. Ça fait un tout petit siècle que l’État s’est définitivement séparé de l’Église5. Si la France était une personne de 80 ans elle n’aurait été laïque qu’à l’âge de 60 ans. Alors imagine un peu le défi : tu as des habitants de ton pays qui croient en un Dieu et d’autres qui croient qu’il y en a plusieurs. Des croyants en un seul dieu qui disent que Jésus est son fils, d’autres qui disent que Jésus n’est qu’un prophète et que le dernier prophète est Mohammed, d’autres qui attendent encore le messie. Tu as des gens qui disent qu’il n’y a pas de Dieu et d’autres qui disent qu’il n’en savent rien. Et il faut faire vivre tout ce monde-là dans un même espace qu’on appelle la France, et établir des règles communes pour que tous se disent et se pensent frères. Frères en République. Frères sans que personne n’impose à d’autres sa vision de ce qui est sacré ou de ce qui est intouchable. Tu parles d’un programme ! 

En pays laïc, ni Dieu ni ses prophètes ne sont sacrés. Donc toute personne a le droit d’en rire et de les critiquer. Critiquer, ça n’est pas condamner. C’est mettre à distance et proposer autre chose. Quand Beaumarchais écrivait sur la noblesse : « Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus6. », tu imagines la bombe que c’était, dans une société où il était considéré que la noblesse héréditaire venait de Dieu ! Quand Molière se moquait des faux dévots7, qu’il montrait que des hommes de l’institution la plus importante du royaume pouvaient être hypocrites, son œuvre a été interdite, il a dû la réécrire sinon il risquait la prison. Quand Voltaire écrit « Le peuple reçoit la religion, les lois, comme la monnaie, sans les examiner8 », il propose de regarder les religions à la lumière de la Raison. Et c’est ce qui sera l’un des piliers de la France post-monarchique. On peut ne pas être d’accord, mais c’est bien ça la France. 

Mais au fait, c’est quoi une religion ? On se pose rarement la question de ce qui paraît évident. Et c’est quand ça paraît évident que ça se révèle compliqué. Disons qu’une religion, c’est un système de croyances et de pratiques qui sépare le profane du sacré9. Dans un pays laïc, le but c’est que croyants et athées puissent vivre ensemble, et non pas à côté. Pour ça il faut que chacun puisse un instant regarder le monde par la fenêtre de l’autre. Il doit être difficile pour un athée de comprendre ce que veut dire croire, comme il doit être difficile pour un croyant de comprendre ce que veut dire ne pas croire.

Croire, c’est autre chose qu’une préférence personnelle et intime. Croire en un être tout-puissant et en un texte qui serait sa parole, c’est croire en un ordre du monde qui ne vienne pas du pays et des lois mais de plus loin, c’est se sentir appartenir à une communauté qui dépasse la communauté nationale. Chaque croyant de chaque religion est persuadé au fond de lui détenir la vérité du monde. Et voilà que dans un pays laïc on te demande de considérer ta vérité comme une vérité allégorique et qu’on te demande de faire usage de ta raison pour accepter les découvertes scientifiques et historiques validées par des siècles d’études d’expériences et de vérifications. 

Ne pas croire, c’est se rattacher à un ordre du monde qui ne s’explique pas par un principe extérieur à lui. C’est reconnaître qu’il y a des processus sans éprouver le besoin d’en trouver une cause unique. C’est rattacher sa morale à des idéaux reconnus comme venant des humains, qui peuvent être discutés et mis en question.  

L’athée dit au croyant : « Je dois respecter ton droit à croire, comme tu dois respecter mon droit à ne pas croire. En République, ton droit à croire est sacré, mais pas ta croyance. Je n’ai pas le droit de t’insulter parce que tu crois. Si je le fais, je suis passible de prison10. Mais tu n’as pas le droit de m’interdire d’insulter ta religion.  »

Tes croyances sont protégées par la République. Ta foi est protégée par la loi, mais ta foi ne fera pas loi. La loi protège de la même manière toutes les fois et toutes les appartenances, mais pas en interdisant d’en rire. Au contraire, en les mettant sur le même plan que tous les autres sujets dont on peut rire. Au lieu de mettre à part les croyants, on les inclue. Et en le faisant, chacun d’entre nous, qu’on soit athée ou croyant, musulman chrétien juif ou autre, est invité à défendre toute personne attaquée du fait de sa croyance ou de sa non-croyance. Si j’apprends qu’on t’a refusé du travail parce que tu t’appelles Mohamed, je le dénoncerai comme je dénoncerai le fait que tu sois obligé de quitter ton école parce que tu t’appelles Isaac11 comme je dénoncerai un athée qui serait harcelé parce qu’il a ri d’une religion. 

En résumé : dans un pays laïc, ce qui est sacré pour toi ne l’est pas au regard de la loi. Donc ce qui est intouchable pour toi ne l’est pas. Donc, on ne doit aucun respect à aucune religion. On a le droit de blasphémer. Mais on a le devoir de respecter les croyants. Je sais que c’est difficile à admettre, mais manquer de respect à ta religion, ce n’est pas te manquer de respect. Bien sûr tu peux me dire que quand on se moque de ton Dieu ou de ton prophète, tu te sens insulté·e. Oui mais voilà : un sentiment personnel ne peut pas faire loi dans une institution. La religion est quelque chose qui touche au plus profond de soi. Dans un pays religieux, elle fait loi et elle détermine l’organisation sociale. Dans certains pays, elle est un critère pour catégoriser les gens et les rattacher à une communauté. En France, elle est un trésor qu’on te demande de garder dans l’écrin de ton intimité, pour laisser tout l’espace de liberté au citoyen que tu vas devenir.

Tourner la tête, ça ne suffira pas

Si tu passes ton chemin en tournant la tête quand la liberté d’expression est atteinte, si tu te dis que c’est affreux de tuer des gens mais que quand même, ce serait mieux de ne pas les publier, si tu récites bien tes cours d’éducation civique et puis une fois passé le seuil de la classe, tu te dis que c’est n’importe quoi, l’école n’aura pas de quoi être fière. On peut te faire passer tous les tests de laïcité qu’on veut, ça ne servira à rien, sauf à t’apprendre à être hypocrite si tu en as envie. Liberté égalité fraternité, ce qui est important c’est que tu les vives.

Ah bien sûr, si on vivait dans un pays sans préjugés, sans racisme, sans amalgame, ce serait simple. Ce n’est pas le as, et tu vas souvent devoir faire le premier pas. Car si on attend que les autres respectent des valeurs pour les appliquer soi-même, on ne va pas s’en sortir. C’est plutôt le contraire : agis envers les autres comme tu aimerais qu’on agisse envers toi. Alors tu pourras faire partie d’un nous au-delà de ta religion, et tu n’as pas idée ce que ce nous peut être riche et stimulant.

Si tu te mets à tracer une ligne entre eux et nous d’après ta religion ou tes origines culturelles, alors c’est qu’ils ont gagné, et que la France ne sera bientôt plus qu’une idée du passé. Si tu ne regardes le monde que par la toute petite  lucarne de ton identité religieuse, tu n’as pas idée comme tu seras pauvre. Pauvre d’esprit et pauvre d’âme. Tu te retrouveras avec dans la tête un dictionnaire à deux mots :  croyants⁄mécréants, victimes⁄oppresseurs. Tout t’apparaîtra clair, comme tous les grands mensonges. Car la vérité est toujours  plus complexe et plus difficile à saisir que le mensonge. On te fera avaler des équations absurdes : rire = insulte, insulte = racisme, sionistes = Juifs = Israéliens, occidentaux = colons, blancs = oppresseurs. On ne te dira pas que les Arabes et les Turcs ont aussi colonisé, qu’il existe beaucoup de Juifs anti sionistes,  d’Israéliens pour la paix et qu’il existe du racisme et du racisme systémique parmi les non « Blancs ». On ne te dira pas que le Prophète était représenté dans des ouvrages islamiques de l’empire ottoman. On ne te dira rien de tout ça, parce qu’alors il faudrait que tu puisses comparer des faits, croiser des données, utiliser ta raison pour juger par toi-même. 

T’accueillir dans ce qu’est la France

Toutes ces distinctions, ces pages de l’Histoire, c’est l’école qui peut les mettre devant toi et t’offrir les outils pour exercer ton propre jugement. L’école est là pour te permettre de te décentrer, de regarder par d’autres fenêtres. Elle pourrait t’apprendre l’incroyable richesse de toutes les religions. Les différents regards sur le message de Jésus portés par chaque apôtre, l’originalité du judaïsme dans son rapport à la loi, la diversité des cultures islamiques, la beauté du rapport à la divinité dans le bouddhisme ou les animismes, etc. Elle pourrait t’apprendre la place du rire dans les grandes religions, te montrer les rabbins prêtres et imams qui donnent une interprétation allégorique de leurs textes sacrés, elle pourrait te montrer comment les religions ont évolué dans l’Histoire, puisque les religions sont vivantes.  À travers l’histoire, le français, l’éducation morale et civique, la philosophie, l’école peut t’ouvrir à la connaissance de ta religion comme à celles d’autres religions, comme elle t’ouvre à la philosophie, au droit, aux idéologies qui ont façonné notre monde. L’école n’est pas l’ennemie de ta croyance. Elle est l’ennemie de l’ignorance. Elle te donne les armes pour penser librement et pour pouvoir croire librement. Et qui peut être libre de croire sans connaître sa religion, celles des autres, et la pensée de ceux qui ne croient pas ?

Quand ton prof te propose de regarder ta religion comme un objet de savoir qu’on peut analyser, comme un phénomène historique qui a évolué, comme un sujet de société dont on peut se moquer, il n’est pas en train de participer à la persécution des croyants. Il est en train de te traiter comme un citoyen doué de raison et d’intelligence. Donc il est en train de te dire que tu es comme tous les autres. Analyser, questionner, utilise le rire comme un outil de réflexion, c’est t’accueillir dans ce qu’est la France.

Si demain on décidait qu’on ne peut pas rire de ta religion, alors on te mettrait à part. Ce serait toi d’un côté dont on ne pourrait pas rire, et les autres. Et si les autres se mettaient aussi à revendiquer la même chose ? Alors rions de tout sauf des religions ! Et pourquoi rire des vegans alors ? Pour eux, ne pas manger d’animaux est une conviction profonde, aussi profonde que celle des religions. Et les convictions politiques ? Pourquoi en rire ? Si on ne rit plus des opinions et des croyances, alors pourquoi pourrait-on rire de l’apparence physique, des hommes, des femmes, des jeunes des vieux ? Alors on ne pourrait plus rire de rien, et alors ça ne serait plus la France. 

La France n’est pas (censée être) une suite d’individus et de communautés isolées qui n’auraient en commun que la sécurité sociale, l’école gratuite, une langue, une élection présidentielle tous les cinq ans, du bon fromage et des beaux paysages. Faire partie d’un pays c’est autre chose. C’est un projet et un idéal. C’est un héritage et l’envie d’y participer. C’est inventer quelque chose de commun qui fait qu’on tient, malgré toutes nos différences. Et dans ce projet, tu y as ta place à part entière. Tu as le droit d’y apporter ta pierre, de contester ce qui est, de proposer autre chose, tant que tu le fais pour l’ensemble des citoyens et pas pour défendre tes particularismes. Tant que tu le fais en regardant le réel dans sa complexité, et non en suivant ceux qui te diront ce que tu as envie d’entendre. Et si les valeurs de ce pays ne te conviennent pas, et bien tu auras le droit de le quitter quand tu seras adulte pour aller vivre dans un pays religieux ou bien un pays qui gère autrement la diversité religieuse. 

Petit frère, petite soeur, j’aimerais pouvoir dire que l’avenir sera meilleur. Ce serait un mensonge qui fait du bien. Je préfère te dire une vérité amère : il va falloir te retrousser les manches pour le rendre meilleur. Et pas seulement meilleur pour toi et ceux qui te ressemblent, mais meilleur pour tous, y compris ceux qui ne te ressemblent pas. Y compris ceux qui ne sont pas d’accord avec toi. 

Je te souhaite de rencontrer beaucoup de différences dans ta vie, de visiter le monde par plein d’autres fenêtres, de réajuster ton regard en permanence. De pouvoir te réinventer. De devenir ce que personne ne pourra limiter à une appartenance religieuse ethnique ou sociale. Cette liberté d’exister par toi-même, la France te l’offre. Et j’espère qu’elle se donnera enfin les moyens de te la rendre accessible. 

Je souhaite que ton chemin de vie suive la boussole d’un bien commun à toi et à tes dissemblables, que tu marches les bonnes questions et non pas celles qui t’arrangent, que tu sois fier des valeurs de ton pays quel qu’il soit, que tu marches la tête levée, prêt à rire de toi-même, et prêt à défendre la liberté d’expression même quand elle atteint ce qui pour toi est sacré. Alors tu auras accompli un miracle et Samuel Paty ne sera pas mort pour rien.

 

 

1. 83% des adolescents qui se déclarent musulmans accordent une très grande importance à leur religion, 22% des catholiques et 40% d’autres confessions (juifs, protestants, etc.), Sebastian Roché, Sandrine Astor, Ömer Bilen. « Sentiment national : un clivage entre adolescents irréligieux et musulmans ». Pierre Bréchon; Anne-Laure Zwilling. Entre indifférence religieuse et athéisme militant, 53, Presses universitaires de Rennes, pp.99-115, A paraître. halshs-01676524f 

2. habitation à loyer modéré, logement social pour les revenus les plus faibles.

3. Loi sur l’équité en matière d’emploi L.C. 1995,ch.44, gouvernement du Canada :  « Font partie des minorités visibles les personnes, autres que les autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche ». Parmi les sous-catégories on trouve dans certains formulaires « Nord-africain non-blanc » ou encore «Turc » sous la catégorie Arabe.

4. « Les enseignants, ces larbins de la République » Jean Mohamed de la Bastille, http://www.francesoir.fr/opinions-tribunes/les-enseignants-ces-larbins-de-la-republique.

5.  loi de 1905

6. Pierre August Caron de Beaumarchais, Le mariage de Figaro, acte V scène 3, 1784.  

7. Molière, Le Tartuffe ou l’Imposteur, 1669

8. Voltaire, Le sottisier, 1880, publication posthume

9. Émile Durkheim, Formes élémentaires de la vie religieuse, 1912

10. Sera punie d’un an d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende l’injure commise (…) envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. » Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, article 33.

11. « Les deux tiers des élèves juifs ont quitté depuis une quinzaine d’année l’enseignement public » Jean-Pierre Obin, France Culture, « Signes des temps », 25 octobre 2020,auteur de  « La déscolarisation des élèves juifs de l’enseignement public français », Commentaire 2017⁄1 (numéro 157), p.171-174

 

S. Roubato a publié :

Chroniques de terrasse

À différentes terrasses d’une ville, un narrateur anonyme observe du matin à la nuit le flot des passants et les scènes qui se jouent. Depuis son petit coin de trottoir, il est le témoin d’une société et d’une époque que racontent des personnages qui ne durent que le temps d’un verre.

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« Qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? Voilà des années qu’on te la pose cette question. Et pour celui qui te la pose, elle ne se réduit qu’à une chose : ton métier. Moi j’aurais une autre question à te poser : Quel est le verbe de ta vie ? Pas le métier, non, le verbe. »

Une jeune femme écrit à un adolescent et lui propose d’envisager son avenir avec un autre regard que celui qu’on lui a appris, pour faire face à un monde qui change et qu’il va devoir réinventer. Une lettre qui résonne à tout âge pour ceux qui ont eu envie de quitter les chemins tout tracés et à qui on a dit que c’était impossible.

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30 ans dans une heure

Partout en France et ailleurs, ils sont sur le point d’avoir trente ans. Une foule d’anonymes qui cherchent à habiter le monde ou à le fuir, à dessiner leurs rêves ou à s’en détourner. Au cœur du tumulte, ils s’interrogent, se font violence et ce sont leurs voix que l’on entend se déployer 

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Lettres à ma génération

Un recueil de lettres adressées à toutes celles et ceux, même s’ils ne peuvent pas répondre, qui peuplent la solitude d’une jeune femme éprise de la beauté du monde. Comment la dire, comment la préserver, comment y participer, alors que des forces contraires – l’hyperconsommation, les renoncements politiques, l’ambivalence du progrès technologique – nous isolent toujours plus les uns des autres ?

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