Le Cinémartinique Festival, côté documentaire, aussi !

– par Janine Bailly –

Trois films parmi d’autres, parce que si le Festival nous distrait, il nourrit aussi notre réflexion, et nous ouvre intelligemment au monde qui nous entoure.

White Riot (Rubika Shah, Royaume-Uni, 2020),

Le titre est emprunté au premier single du groupe  The Clash,  qui fait la clôture du film sur des images de la performance réalisée au « Carnaval Rock Against Racism », en avril 1978, à Notting Hill. Mais contrairement aux apparences, plus qu’un film musical le documentaire se présente tel une photographie de la situation sociale et politique qui était celle du Royaume-Uni, à la fin des années 70. Face à la montée de l’extrême-droite, sous l’égide du National Front, parti nationaliste et raciste, largement imprégné par un suprémacisme blanc décomplexé, face à ce déferlement de haine que rendent visible des images d’archives propres à vous soulever le cœur, « un mouvement de contre-culture avait vu le jour dans une petite imprimerie de l’Est de Londres. C’était un lieu pour que les jeunes partagent leurs points de vue. Ils croyaient en l’égalité, la musique, le punk, le graphisme étaient leurs armes », nous apprend Rubika Shah. C’est ce groupe de militants qui a initié l’aventure du mouvement « Rock Against Racism », se donnant pour ambition de réconcilier par leurs actions les communautés du pays en crise.

Si la facture du documentaire reste classique, qui fait alterner témoignages contemporains, documents d’archives, coupures de journaux, extraits de concerts, de manifestations et d’affrontements, si nous nous sentons un peu noyés sous l’abondance des informations, l’énergie du film est vivifiante, et lors de la séquence ultime où The Clash, entouré de Tom Robinson et du groupe de reggae Steel Pulse entonne White Riot, « une forme d’allégresse nous saisit, achevant ce récit sur une note résolument optimiste à laquelle, malgré la montée des périls contemporains, on a furieusement envie d’adhérer. » (citation tirée du magazine  “Les Inrocks”) 

Une histoire du siècle dernier, et qui pourtant entre en écho avec notre présent… Selon la réalisatrice, le sujet reste d’une actualité brûlante : « La montée du racisme et du fascisme tout autour du globe, le Brexit et le succès des populismes le rendent incroyablement actuel (…) White Riot est une histoire édifiante, qui montre comment la culture des jeunes peut faire la différence.»

 

17 blocks (Davy Rothbart, USA, 2020, primé au « Champs-Élysées Film festival » 2020)

Quand la caméra est “la meilleure des armes”… Un documentaire où l’on pourrait dire que la réalité surpasse la fiction, tant la vie de la famille Sanford, qui habite le quartier le plus dangereux de Washington D.C à dix-sept pâtés de maisons du Capitole – monument symbolique de cet ailleurs ignorant de la misère vers lequel on voudrait aller –, tant cette vie pourrait ressembler à une tragédie antique, dont elle a les ingrédients, la fatalité qui pèse, le sort qui s’acharne, le malheur qui frappe… Et pourtant, les forces de vie à l’œuvre, la tendresse infinie qui unit les êtres, l’amour qui accorde le pardon, la volonté de s’extraire de la gangue qui poisse et retient et englue, toute cette énergie déployée contre l’adversité font que l’espoir emporte la partie !

De la rencontre entre le réalisateur et le jeune Emmanuel âgé de neuf ans, naîtra cette chronique en huis clos filmée sur deux décennies, pour dire les Sanford et, au-delà d’eux, l’Amérique des démunis, des laissés pour compte :  d’abord captées par le garçon – et qu’importe si la qualité n’y est pas puisque le spectateur entre au sein le plus intime du foyer –, à sa disparition tragique les images plus professionnelles seront assurées par le réalisateur Davy Rothbart.

De cette saga familiale sur trois générations, les pères sont absents… Chéryl, dont les apparitions successives rythment le récit, Chéryl qui lutte contre ses propres démons, hantise du viol ou addiction à la drogue, a élevé seule ses trois enfants, Emmanuel le brillant étudiant sauvagement assassiné, victime d’un sort jaloux qui punirait celui-là qui veut s’extraire de sa condition, Akil dit Smurf, petit dealer rongé de culpabilité, Denice la sœur, solide pilier, rempart contre le chaos, qui assure la cohésion du groupe et permet que gagne l’amour contre la fatalité et les traumatismes successifs. L’espoir, c’est sur son petit garçon Justin qu’il repose, enfant solaire qui grandira dans l’affection des siens, alors qu’Akil est sur la voie de l’amendement, que Chéryl entame une cure de désintoxication, et que Denice accède au métier de policière dans son quartier.

Ainsi que le dit celle qui fut fiancée à Emmanuel, cette famille est attachante, ce pourquoi tout en construisant sa propre vie, elle lui restera à jamais fidèle ! L’image finale de son bébé s’ajoute à celle de Justin pour dire la foi en l’avenir. Ainsi, assemblant les images d’archives confiées par Chéryl à ses propres captations, Davy Rothbart compose un documentaire optimiste sur le courage exemplaire, sur la capacité de résistance, sur la résilience d’une famille marquée par un sort cruel, victime d’une société inégalitaire, indifférente  et insécure.

 

Insurrection du verbe aimer (Julie Peghini, France, 2019)

Plus qu’un véritable documentaire, le film empreint d’une constante poésie, de celle qui déjà émane d’un titre en forme d’octosyllabe et d’oxymore, le film est une ode à son personnage, le poète dramaturge romancier congolais « des deux Congo », Sony Labou Tansi. Lui-même, mort à Brazzaville en 1995, ne sera que brièvement vu et entendu dans deux documents d’archives, où il définit l’acte d’écrire, et les raisons pour lesquelles il est écrivain.

L’évocation de Sony Labou Tansi est prise en charge par le performeur Snake et  trois hommes de théâtre, Dieudonné Niangouna, Jean-Paul Delore, et Étienne Minoungou qui rend au poète ce si bel hommage : « Une fulgurance, comme Thomas Sankara, un géant lumineux avec la bouche grande ouverte, debout, entre la déflagration du Big-Bang et le ciel à l’horizon sombre du prochain Apocalypse. On ne peut pas dessiner Sony, on le peint ou on le sculpte mais alors il faudrait avoir pour tableau ou matière, le cosmos ou la joue d’un enfant ou encore un bout du lit du fleuve Congo… ». L’eau, le fleuve irriguent les images, et composent avec les rues de la ville un cadre où réaliser des performances –  étrange beauté du corps enroulé d’un drap noir, momie roulant sur elle-même dans le flot –, un cadre où laisser vivre le souvenir du poète, où entendre quelques morceaux choisis de ses textes, poèmes de révolte et d’espoir, paroles inspirées d’un homme debout épris des mots, amoureux de la vie et de son peuple.

C’est au travail de ces artistes que nous assistons, de ceux qui par leurs actions et leurs créations donnent suite aux engagements de Sony lui-même, de ces hommes de théâtre et littérature qui se font “passeurs de mots” : montage d’une pièce pour célébrer le grand homme de littérature autant que l’être humain engagé, ouvert au monde et généreux, construction d’un fabuleux décor, décorations installées ou suspendues dans la ville… Et le théâtre descend des tréteaux dans la rue que les comédiens investissent, abolissant ainsi les distances, se rendant à la rencontre des adultes comme des enfants, et se donnant sans réserve au public. Scène forte et symbolique que celle où l’homme en croix est porté au sein de la foule…

Tourné entre Brazzaville, Ouagadougou dans la chaleur d’une révolution et Paris en exil glacé, le film se définit donc comme « un voyage inspiré par la poésie de Sony Labou Tansi ». Le voir fut pour moi l’occasion de mieux appréhender un poète, que je découvris un jour ici-même, sur la scène de Tropiques-Atrium, par le truchement de la pièce de Bernard Magnier, Sony Congo ou la petite vie bien osée de Sony Labou Tansi. 

Fort-de-France, le 29 octobre 2020