Les violences durant l’enfance et l’adolescence en Martinique

En France, la prévalence des violences intra-familiales sur les personnes mineures reste encore mal connue. L’enquête nationale sur les violences envers les femmes (Enveff) de 2000 a fourni de premières estimations pour les femmes durant l’enfance et l’adolescence [1]. Quinze ans après, l’enquête Violences et rapports de genre (Virage) réalisée en France métropolitaine en 2015 actualise les données en les enrichissant ; elle intègre un échantillon d’hommes et fournit de nouvelles estimations de la fréquence des violences physiques et sexuelles subies avant 18 ans et, pour la première fois, permet d’estimer l’importance des violences psychologiques et verbales, également considérées comme de la maltraitance par les textes internationaux [2].
L’enquête Enveff, conduite en France métropolitaine en 2000, a également été réalisée en Martinique en 2008 [3]. Elle révèle alors des taux plus élevés que ceux constatés dans l’Hexagone et montre comment les fortes inégalités sociales et territoriales fragilisent une partie de la population face à ces actes. En 2018, l’enquête Virage a été déclinée à son tour en Martinique (voir encadré). Cette nouvelle enquête confirme la fréquence plus élevée des violences que dans l’Hexagone : 18 % des femmes sont en situation de violences conjugales [4], soit un taux plus de 3 fois plus élevé qu’en France métropolitaine, et dans 23 % des cas, les faits de violences jugés graves par ces femmes ont eu lieu devant les enfants. Dans ce contexte, la fréquence des violences commises sur les enfants et les adolescents, est-elle aussi plus élevée au sein de la famille et de l’entourage proche ? Quelles différences observe-t-on entre les expériences des filles et des garçons ? Quels en sont les auteurs ?

Violences sur mineurs en Martinique
Stéphanie Condon, Sandrine Dauphin, Justine Dupuis et l’équipe Virage dans les Outre-mer

Des prévalences de violences avant 18 ans plus élevées qu’en moyenne dans l’hexagone
En Martinique, d’après l’enquête Virage dans les Outre-mer, 31 % des femmes et 26 % des hommes déclarent des faits de violence avant 18 ans dans les différentes sphères de vie (études, loisirs, cercle amical, famille, proches). Ces faits se produisent principalement au sein de la famille et de l’entourage proche (26 % des femmes et 21 % des hommes en déclarent dans ce cadre). Les violences avant 18 ans dans la famille et l’entourage proche sont sensiblement plus fréquentes que dans l’Hexagone : 1 femme sur 4 (contre 1 sur 6 dans l’Hexagone) et 1 homme sur 5 (contre 1 sur 8) déclarent au moins un fait (cf. tableau). Comme pour l’Hexagone, les résultats mettent en lumière des différences de genre : les femmes déclarent davantage de violences subies de type psychologique et verbal, mais surtout sexuel.

Les violences psychologiques et verbale, une expérience courante
L’enquête en Martinique relève des taux pour les différentes formes de violences psychologiques et verbales plus élevés que dans l’Hexagone (cf. tableau). De plus, de graves tensions ou un climat de violences entre les parents ont été vécues pendant l’enfance par une femme enquêtée à La Martinique sur 6 et un homme sur 7 (1 sur 8 pour femmes et hommes dans l’enquête hexagonale).

Les femmes déclarent avoir sub autant de violences physiques que les hommes

De même, les taux de violences physiques sont plus forts que ceux relevés dans l’Hexagone. Un peu plus d’une personne sur dix ayant répondu à l’enquête en Martinique, soit 10,5 % des femmes et 11 % des hommes, a déclaré de tels faits avant 18 ans (comparés à respectivement 8 % et 7 % en France hexagonale, cf. tableau). Ainsi ces violences concernent autant les filles que les garçons. Ce résultat semble contre-intuitif compte tenu de modes d’éducation incluant des injonctions à la virilité – qui donnent plus fréquemment lieu à des corrections physiques pour les garçons [5]. Il y aurait peut-être un grand contrôle des filles dans leurs comportements au foyer et à l’extérieur, pouvant passer aussi par des corrections physiques. Mais il est également possible que les hommes banalisent ce type d’actes et les rapportent alors moins souvent lorsqu’ils sont interrogés.

Des violences sexuelles subies par près d’une fille sur dix
En Martinique, comme dans l’Hexagone et ailleurs dans le monde, c’est surtout pour les agressions sexuelles que les expériences des femmes et des hommes diffèrent : 9 % des femmes et 3 % des hommes ont déclaré avoir subi de telles agressions dans le cercle familial et l’entourage proche. Ce sont des taux très proches à ceux relevés par l’enquête de 2008 [3]. Il s’agit principalement d’attouchements des fesses (ou des seins pour les femmes) ou de baisers forcés. Les viols et tentatives de viols avant 18 ans ont été déclarés par un peu plus de 3 % de l’ensemble des femmes enquêtées. Ces violences sexuelles ont pu commencer très jeunes : pour plus du tiers des femmes en ayant déclaré (36 %), la première agression est survenue avant l’âge de 8 ans, et les violences se sont répétées au cours de l’enfance et de l’adolescence pour les deux-tiers de ces victimes.

Des taux de violences déclarée plus élevés dans les jeunes générations
Pour chacune de ces catégories de violence, les taux baissent pour les générations au-dessus de 50 ans au moment de l’enquête. Les taux plus élevés parmi les moins de 50 ans peuvent refléter une sensibilisation accrue à l’intolérance de certains actes (critiques répétées, insultes, coups) et dans certains cas, une remémoration de faits subis à des âges où l’on est le plus exposé aux violences conjugales ou aux violences au travail. Mais certaines violences restent plus dicibles que d’autres, surtout lorsqu’elles sont récentes. Ainsi, on observe des taux de violences sexuelles nettement moins élevées parmi les 20-29 ans, femmes et hommes, traduisant, comme des études l’ont montré, une plus grande difficulté à parler de relations violentes toujours en cours ou récentes [2].

Un contrôle social des filles plus important par la famille, notamment par les mères
Les parents directs — le père et la mère — sont les principaux auteurs des violences psychologiques et physiques dans le cadre de la famille et l’entourage proche. Cependant, le père est plus souvent cité que la mère : pour 40 % des femmes et 28 % des hommes, les pères sont auteurs de violences psychologiques, et pour 37 % et 33 % respectivement de violences physiques. Ceci dit, les femmes désignent leur mère comme auteure de critiques, d’humiliations et d’insultes nettement plus souvent que ne le font les hommes (30 % des faits cités par les femmes victimes contre 18 % pour les hommes) et également près de deux fois plus souvent comme auteure de violences physiques (44 % et 24 % respectivement) et ce, quelle que soit la configuration familiale (parents en couple ou famille monoparentale). À noter que l’enquête Virage dans l’Hexagone révèle aussi l’importance de la mère en tant qu’auteure de violences psychologiques et physiques, avec néanmoins un moindre écart entre les déclarations des femmes et des hommes [2]. L’éducation serait ainsi plus différenciée selon le genre en Martinique. Les mères, sur lesquelles reposent principalement les tâches éducatives, exerceraient un contrôle plus important sur leurs filles, donnant davantage lieu à des tensions et des conflits et, a contrario, accorderaient des marges de liberté plus grandes à leurs fils dans leurs comportements au foyer et à l’extérieur [6].
L’analyse de l’expérience de violences au sein de la famille ne peut se limiter aux seules relations parent-enfant, ni aux personnes cohabitantes, et ce d’autant plus qu’en Martinique l’entourage familial des personnes enquêtées a pu y être composé de nombreux oncles, tantes, cousins et cousines issus des fratries de
leurs deux parents. Il n’est pas rare que plusieurs générations habitent la même rue ou le même quartier, voire la même maison [3.] En effet, en Martinique, dans des proportions supérieures à la moyenne dans l’Hexagone, les hommes et les femmes victimes de violences psychologiques et verbales ou physiques dans l’entourage familial citent des membres de la famille élargie, donc autres que les parents ou la fratrie, comme auteurs des faits (figure). Un oncle est notamment cité comme auteur des violences psychologiques par 8 % des femmes et 14 % des hommes victimes, une tante par près de 10 % des femmes et 7 % des hommes. Les hommes de la famille élargie sont également auteurs de violences physiques, surtout en ce qui concerne les hommes : un oncle est l’auteur de 15 % des faits cités par les hommes victimes, un grand-père de 5 %, un autre homme de la parenté (cousins, beaux-frères…) de 7 %. Ces personnes de la famille élargie exercent sans doute un rôle actif de régulation, voire d’autorité au sein du groupe familial, d’autant plus que les membres de la parentèle vivent souvent à proximité les uns des autres. Au sein du cercle familial plus proche, les frères ou demi-frères sont fréquemment cités comme auteurs de violences physiques (20 % par les hommes, 13 % par les femmes) et également de violences psychologiques (10 % et 15 % respectivement). En somme, l’exercice du contrôle social des filles et des garçons s’étend à l’ensemble des hommes de la famille et s’exprime fréquemment par des mots ou gestes violents.

Les auteurs de violences de violences sexuelles sont majoritairement des hommes de la famille élargies ou de l’entourage proche.
C’est dans le cercle de la famille et de l’entourage proche que se produisent la plupart des violences sexuelles subies par les femmes avant l’âge de 18 ans. 13 % de femmes ont déclaré des violences sexuelles avant 18 ans, quels que soient le ou les auteurs ou le cadre de vie, et que dans près des deux tiers/plus de la moitié des cas (60 %) au moins un des auteurs est un membre de la famille ou de l’entourage proche….
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