Les têtes des résistants algériens n’ont rien à faire au Musée de l’homme

— Par collectif —

tetes_resistants_algeriensLes crânes des révoltés de 1849 doivent être restitués pour rappeler l’histoire de la colonisation

En mai 2011, l’historien algérien Ali Farid Belkadi lançait une pétition  » pour le rapatriement des restes mortuaires algériens conservés dans les musées français « , en particulier les crânes de résistants algériens tués par le corps expéditionnaire français dans les années 1840 et 1850, qu’il venait de retrouver dans les réserves du Musée de l’homme à Paris. Alors que cet appel était lancé un an après le vote, par le Parlement français, d’une loi exigeant la  » restitution – à la Nouvelle-Zélande – de toutes les -têtes maories détenues en France « , il n’a eu malheureusement que peu d’écho. En mai dernier, l’universitaire algérien Brahim Senouci a lancé un nouvel appel pour que soient restituées les  » têtes des résistants algériens détenues par le -Musée de l’homme « , afin que leur pays les honore, avec cette fois un écho plus large. Il nous a paru -important de le relayer en rappelant la raison de la présence dans un musée parisien de ces restes mortuaires, à partir de l’histoire de l’un d’entre eux : le crâne du cheikh -Bouziane, chef de la révolte de Zaâtcha en 1849, écrasée par une terrible répression, emblématique de la -violence coloniale.

En 1847, les militaires français croient que c’en est fini des combats en Algérie, après plus de dix ans d’une guerre de conquête d’une sauvagerie inouïe. Mais, début 1849, dans le Sud constantinois, le cheikh Bouziane reprend le flambeau de la résistance. Après des affrontements, il se retranche dans l' » oasis  » de Zaâtcha, véritable cité fortifiée où, outre des combattants retranchés, vivent des centaines d’habitants.

Le 17 juillet 1849, les troupes françaises entament un siège. Après un premier assaut infructueux, l’état-major envoie une colonne de renfort de plus de 5 000 hommes, commandée par le général Emile Herbillon, suivie d’une autre, des zouaves dirigés par le colonel François Certain de Canrobert. Le 26 novembre, les assiégeants, exaspérés par la longueur du siège, voyant beaucoup de leurs camarades mourir (des combats et du choléra), -informés du sort que les quelques Français prisonniers avaient subi (torture, décapitation, émasculation…), s’élancent à l’assaut de la ville.
Destruction méthodique

Après d’âpres combats, au cours desquels les Français subissent de lourdes pertes, l’oasis est conquise. Deux ans plus tard, Charles Bourseul, un  » ancien officier de l’armée d’Afrique  » ayant participé à l’assaut, publiera son témoignage :  » Les maisons, les terrasses sont partout envahies. Des feux de peloton couchent sur le sol tous les groupes d’Arabes que l’on rencontre. Tout ce qui reste debout dans ces groupes tombe immédiatement sous la baïonnette. Ce qui n’est pas atteint par le feu périt par le fer. Pas un seul des défenseurs de Zaâtcha ne cherche son salut dans la fuite, pas un seul n’implore la pitié du vainqueur, tous succombent les armes à la main, en vendant chèrement leur vie. « 

Mais l’oasis abritait aussi des femmes, des vieillards, des enfants, des adolescents et la destruction de la ville fut totale, méthodique. Les  » indigènes  » qui n’étaient pas ensevelis furent passés au fil de la baïonnette. Dans son livre La Guerre et le gouvernement de l’Algérie, le journaliste Louis de Baudicour racontera en 1853 avoir vu les zouaves  » se précipiter avec fureur sur les malheureuses créatures qui n’avaient pu fuir « , puis s’acharner :  » Ici un soldat amputait, en plaisantant, le sein d’une pauvre femme qui demandait comme une grâce d’être achevée, et expirait quelques instants après dans les souffrances ; là, un autre -soldat prenait par les jambes un petit -enfant et lui brisait la cervelle contre une muraille ; ailleurs, c’étaient d’autres scènes qu’un être dégradé peut seul comprendre et qu’une bouche honnête ne peut raconter.  » D’après les estimations les plus basses, il y eut ce jour-là huit cents -Algériens massacrés. Tous les habitants tués ? Non. Le général Herbillon se crut obligé de fournir cette précision :  » Un aveugle et quelques femmes furent seuls épargnés.  » Le pire est que la presse française d’alors reprit ce rapport cynique.

Il y eut trois autres  » épargnés « … provisoirement. Pour faire un exemple, les Français capturèrent vivant le chef de la résistance, le cheikh Bouziane, son fils de 15 ans et Si-Moussa, un marabout. Le général Herbillon ordonna qu’ils soient fusillés sur place, puis décapités. Leurs têtes, au bout de piques, furent emportées jusqu’à Biskra et exposées sur la place du marché, afin d’augmenter l’effroi de la population. Un observateur, le docteur Ferdinand Quesnoy, qui accompagnait la colonne, dessina cette macabre mise en scène qu’il publia en 1888 dans un livre sur L’Armée d’Afrique depuis la conquête d’Alger.

Que devinrent les têtes détachées des corps des combattants algériens ? Qui a eu l’idée de les conserver, pratique alors courante ? Où le furent-elles et dans quelles conditions ? Quand a eu lieu leur sordide transfert en  » métropole  » ? Cela reste à établir, même si certaines sources indiquent la date de 1874, d’autres la décennie 1880. Il semble que certaines d’entre elles aient été d’abord exposées à la Société d’anthropologie de Paris, puis transférées au Musée de l’homme. Elles y sont encore aujourd’hui.

Soutenir les appels de citoyens -algériens à rapatrier ces dépouilles dans leur pays, pour leur donner une sépulture digne, comme cela fut fait pour les rebelles maoris ou le résistant kanak Ataï et ses compagnons (en 2014), ne revient aucunement pour nous à céder à un quelconque tropisme de  » repentance  » ou d’une supposée  » guerre des mémoires « , ce qui n’aurait strictement aucun sens. Il s’agit seulement de contribuer à sortir de l’oubli l’une des pages sombres de l’histoire de France, celles dont l’effacement participe aujourd’hui aux dérives -xénophobes qui gangrènent la société française.

Les signataires: Pascal Blanchard historien ; Raphaëlle Branche, historienne ; Christiane Chaulet Achour, universitaire ; Didier Daeninckx, écrivain ; René Gallissot, historien ; François Gèze, éditeur ; Mohammed Harbi, historien ; Aïssa Kadri, sociologue ; Olivier Le Cour Grandmaison, universitaire ; Gilles Manceron, historien ; Gilbert Meynier, historien ; François Nadiras, Ligue des droits de l’homme ; Tramor Quemeneur, historien ; Malika Rahal, historienne ; Alain Ruscio, historien ; Benjamin Stora, historien ; Mohamed Tayeb Achour, universitaire.