« Les territoires ultramarins ne sont pas un fardeau, mais une richesse pour l’Europe »

— Collectif —

Dans une tribune au « Monde », des parlementaires socialistes et Place publique alertent sur les conséquences du projet de la Commission européenne pour le futur budget 2028-2034, qui ferait disparaître les lignes budgétaires spécifiques aux régions ultrapériphériques. Ils déplorent un bouleversement « des fondements mêmes de la solidarité européenne », et appellent au retrait de ces propositions.

Le 16 juillet, la Commission européenne a présenté ses propositions pour le prochain cadre financier pluriannuel 2028 – 2034. Sous couvert de simplification, ce texte bouleverse les fondements mêmes de la solidarité européenne. Pour les régions ultrapériphériques (RUP) françaises – Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion, Mayotte et Saint-Martin –, les conséquences seraient dramatiques.

La Commission propose de fusionner la politique de cohésion, la politique agricole commune et la politique de la pêche dans un seul instrument national : les « plans de partenariat ». Ce virage technocratique marque une renationalisation inédite des politiques européennes et fait disparaître les lignes budgétaires spécifiques qui garantissaient depuis vingt-cinq ans un traitement différencié pour les RUP.

L’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui consacre la reconnaissance de leurs contraintes structurelles – insularité, éloignement, vulnérabilité économique – serait ainsi vidé de sa substance. Les RUP perdraient l’assurance de bénéficier de financements dédiés pour compenser leurs spécificités : le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (Posei) pour l’agriculture, les plans de compensation dans la pêche, les allocations Fonds européen de développement régional (Feder)-RUP et le cofinancement majoré.

Abandon et de déclassement
Au-delà du symbole, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon les projections de la Commission, la France recevrait à peine 3,7 milliards d’euros pour l’ensemble de ses régions les moins développées, contre 3,45 milliards d’euros pour les seules RUP sur la période actuelle. Cette même enveloppe serait désormais partagée entre trois régions métropolitaines (Limousin, Picardie, Lorraine, soit six millions d’habitants) et les RUP françaises (deux millions d’habitants). Autrement dit, les moyens destinés à nos outre-mer seraient drastiquement réduits.

Ce recul budgétaire serait d’autant plus incompréhensible que les défis restent immenses : taux de chômage des jeunes supérieur à 30 %, coût de la vie structurellement plus élevé, dépendances énergétique et alimentaire structurelles. Supprimer les dispositifs qui permettent de corriger ces inégalités reviendrait à condamner ces territoires à un décrochage durable.

La proposition de la Commission est injuste, inefficace et dangereuse. Injuste, parce qu’elle nie le principe d’égalité réelle entre citoyens européens. Inefficace, parce qu’elle recentralise la gestion des fonds à Paris et à Bruxelles, loin des collectivités qui sont au plus près des réalités de terrain. Dangereuse, parce qu’elle alimente le sentiment d’abandon et de déclassement que nos territoires ultramarins subissent depuis trop longtemps.

Une part de son âme et de sa crédibilité
Nous, parlementaires socialistes et Place publique, demandons le retrait pur et simple de cette proposition. Elle viole les traités et trahit l’esprit de la cohésion, pilier historique du projet européen. Nous appelons la Commission à revoir intégralement sa copie pour garantir le maintien de lignes budgétaires distinctes et pérennes pour les RUP, la préservation du Posei, des compensations dans la pêche et des allocations Feder-RUP, la mise en œuvre pleine et entière de l’article 349 du TFUE, et l’engagement rapide d’un « Omnibus RUP », une initiative législative d’adaptation des normes européennes aux réalités ultramarines.

Les territoires ultramarins ne sont pas un fardeau : ils sont une richesse stratégique, écologique et humaine pour l’Union. Ils ancrent l’Europe dans quatre océans et témoignent de sa diversité. Les affaiblir, ce serait priver l’Union européenne d’une part de son âme et de sa crédibilité.

Nous refusons qu’au nom d’une logique budgétaire à courte vue, l’Europe sacrifie celles et ceux qui incarnent concrètement sa devise : unis dans la diversité. La cohésion européenne ne doit pas être une promesse abstraite. Elle doit demeurer une réalité vécue, y compris à des milliers de kilomètres du continent.

Parmi les signataires : Audrey Bélim, sénatrice de La Réunion (PS) ; Christophe Clergeau, député européen (PS) ; Jean-Marc Germain, député européen (PS) ; Raphaël Glucksmann, député européen (Place publique) ; Pierre Jouvet, député européen (PS) ; Aurore Lalucq, députée européenne (Place publique) ; Murielle Laurent, députée européenne (PS) ; Nora Mebarek, députée européenne (PS) et autrice principale de la tribune ; Emma Rafowicz, députée européenne (PS) ; Eric Sargiacomo, député européen (PS). Liste complète des signataires à retrouver ici..

Source : Le Monde