Les ressorts cachés de la réforme des retraites

— Par Jean-Marie Nol, économiste —

Cette réforme qu’on nous dit en concertation depuis plus de 2 ans n’est toujours pas comprise et encore moins admise sur de nombreux » points » par la quasi totalité des Français. Elle est même décriée et combattue par des catégories entières de travailleurs qu’ils soient cols bleus ou cols blancs . De non dits en non dits, de rebondissements en rebondissements, la réforme cache-t-elle quelque chose d’inavouable ? Le gouvernement dit tout et son contraire, pour essayer d’imposer une nouvelle réforme dans un pays qui est pourtant en révolte depuis 1 an avec la fronde des gilets jaunes. Ce qui se passe actuellement est incompréhensible, tant d’un point de vue technique que de la stratégie politique. Pourquoi, tant d’acharnement à faire passer ce système universel de retraite à points aujourd’hui et maintenant ? Pourquoi ce sentiment d’impérieuse nécessité à imposer une réforme des retraites alors même que rien ne l’impose ?
POURQUOI ?
Pourquoi au début de la présentation de la réforme, ce besoin de cacher le réel contenu d’une réforme sur laquelle le gouvernement travaille depuis 2 ans ?
Pourquoi, le gouvernement n’a-t-il pas été capable d’expliquer avec une bonne méthode pédagogique la réforme aux Français ?
Pourquoi une telle obsession pour résorber un déficit de 10 ou 17 milliards d’Euros alors que la seule suppression de la taxe d’habitation représente un manque à gagner de 24 milliards ?
Pourquoi affirmer à longueur de discours que les Français devront travailler plus longtemps alors même que les réformes précédentes ont organisé une augmentation progressive de la durée de cotisation et de l’âge de départ à taux plein pour atteindre 67 ans pour ceux d’entre nous nés après 1955 et 43 annuités pour ceux nés après 1973 ?
Pourquoi autant d’obstination alors même que finalement tout va pas si mal dans le système actuel de trimestre ? Pourquoi chercher à occulter la probable baisse des pensions pour certaines catégories de Français ? Gouverner par la ruse pour anticiper des évolutions futures de la société porte un nom, c’est du machiavélisme politique. À la question de savoir quel sera le montant des pensions dans le futur système, le gouvernement ne répond toujours pas et renvoie les précisions concrètes à plus tard… En fait, pour certains économistes, ces manœuvres dilatoires du gouvernement cachent mal le cœur du projet de retraite universelle voulue par Emmanuel Macron : la baisse probable des pensions, inscrite au cœur de la « règle d’or » budgétaire qu’il entend imposer au système (interdiction du déséquilibre budgétaire) et du plafond de dépenses des retraites à 14 % du produit intérieur brut (son niveau actuel), alors que la part des retraités est amenée à croître dans la population par rapport aux actifs (29 % de plus de 65 ans en 2070, contre 20 % aujourd’hui, soit 9 millions de plus). Conséquence imparable : chaque retraité percevra une moindre part de la richesse produite qu’aujourd’hui, ce qui signifie une chute du « taux de remplacement », c’est-à-dire du montant de la pension par rapport au dernier salaire perçu. Le problème du niveau des pensions se pose dés lors que d’aucuns anticipent une baisse sensible du nombre des actifs pour financer le système de répartition, et ce en raison du chômage de masse induit par l’automatisation et la digitalisation dans les prochaines années. Dans ce contexte, le système actuel de retraite s’avère non viable sur le plan financier.

Vous croyez vraiment qu’il est utile pour le pouvoir de mettre les syndicats dans la rue, quitte à perdre en popularité et ce à l’approche des élections, pour une question d’âge pivot . Non, ce ne peut être la raison du seul déséquilibre du système à partir de 2027 qui impose une telle précipitation à faire passer coûte que coûte cette réforme des retraites ! Pour ce qui nous concerne, les véritables enjeux sont ailleurs. En fait tout cela est bien étrange. C’est comme si quelque chose d’important était en train de se passer sous nos yeux, mais que nous n’arrivions pas à le voir. Mais quoi ? A notre sens la réponse à toutes nos interrogations réside dans les facteurs suivants : la mutation du travail et de la société avec l’introduction massive des nouvelles technologies. C’est également la crise qui vient dans cette décennie 2020 /2030 et qui sera engendrée par l’actuelle politique monétaire destructrice de la banque centrale avec les taux négatifs , la déflation, la décroissance,la baisse à venir du PIB, le problème du financement de la transition énergétique, la révolution numérique et l’intelligence artificielle destructrice de millions emplois quand ce n’est pas internet qui détruit le commerce. C’est là cette réalité qu’on veut dissimuler et ne pas étaler au grand jour pour éviter d’inspirer de l’inquiétude aux Français, car la seule question importante qui se pose désormais au gouvernement est la pérennité du modèle social français . Cet enjeu dépasse le cadre strict de la retraite, mais intéresse l’ensemble du système de protection sociale. Dans un contexte futur qui devrait conduire à réduire les acquis sociaux actuels, les germes de révolte sociale ne doivent pas souffler trop fort avec un sérieux risque d’embrasement de la société française. C’est là tout les non dits de cette réforme des retraites, et dont la consistance évanescente échappe à la quasi intégralité des gens et de même pour les plus qualifiés pour en discuter publiquement dans les médias . Il s’agit d’un aspect du problème de la réforme des retraites méconnu par les spécialistes de la question sociale. C’est du sérieux, car on parle là, à cette occasion de la problématique de la pérennité financière de l’ensemble du modèle social français, qui sera demain sérieusement menacé à terme par la mutation du travail. En réalité pour moi, juste le sentiment d’assister avec cette réforme des retraites à quelque chose dont on ne comprendra que plus tard les fondements et les motivations . Mais souvenons-nous toujours  » qu’anticiper le malheur sans faire partager les affres de l’anticipation, là est le véritable héroïsme. » . Tel sera le défi de Emmanuel Macron !

Jean-Marie Nol, économiste