Les Ateliers de la pensée : « Œuvrer pour la décolonisation des esprits africains »

— Par Fatimata Wane-Sagna —

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© Fatimata Wane-Sagna | Le groupe des intellectuels africains présents aux Ateliers de la pensée : Achille Mbembe, Felwine Sarr, Alain Mabanckou, Abdourahmane Waberi, Françoise Vergès

Cela faisait 50 ans qu’autant d’intellectuels africains ne s’étaient pas réunis en Afrique pour débattre de l’avenir du continent. C’était l’ambition de ces Ateliers de la pensée qui se sont tenus du 28 au 31 octobre au Sénégal.

Si le monde s’est créé en sept jours, l’historien camerounais Achille Mbembe et son ami l’économiste sénégalais Felwine Sarr ont eu besoin de trois jours pour repenser l’Afrique. L’idée était ambitieuse : emmener un groupe hétéroclite de penseurs africains à réfléchir sur les enjeux du continent à partir du Sénégal. Déconstruire les clichés accolés depuis trop longtemps à l’Afrique. Interroger l’héritage colonial. Redonner de la fierté aux peuples africains. Restaurer son histoire. Œuvrer pour la décolonisation des esprits. Le programme des Ateliers de la pensée est colossal.

Le premier jour comme un prélude à l’intensité des débats, les débats ouvrent à l’institut français de Dakar sous une chaleur écrasante. Les mesures de sécurité à l’entrée sont drastiques, le terrorisme à depuis longtemps repensé la spontanéité des lieux. Mais qu’importe, pourvu que l’ivresse des échanges soit au rendez-vous. Et ce vendredi 28 octobre, le groupe, après une nuit relativement courte (beaucoup sont arrivés la veille), est très enthousiaste pour l’ouverture des Ateliers de la pensée, qui se déroule d’abord à huis-clos. Et c’est l’impérieux Célestin Monga, économiste, vice-président de la BAD qui a interrogé la pertinence du lieu, l’institut français, « une petite défaite » : réfléchir sur l’Afrique chez l’ancien colon ?

Une critique souvent reprise par les spectateurs, mais balayé par les organisateurs. Achille Mbembe rétorque qu’il « s’y sent chez lui »… Et puis, il faut des espaces d’accueil. L’important étant la teneur des débats. D’ailleurs, l’hôte n’a pas été ménagé. L’idée de ce colloque était de sortir de ce face à face avec l’Occident. Penser l’Afrique à travers le monde. Quelle place réservée à la tradition ? Mamadou Diouf, historien à l’université de Colombia, a New York, a fait l’éloge du paganisme, souhaitant une meilleure compréhension des traditions africaines. Puis c’est au tour de Souleymane Bachir Diagne, un autre compatriote sénégalais, philosophe de renommée internationale de plaider pour une universalité latérale. Une universalité qui au lieu d’exclure car forçant tout le monde à intégrer un modèle unique vertical, s’ouvre à l’autre pour mieux l’intégrer.

On peut dire qu’à la pause, les rares spectateurs triés sur le volet sont conquis. À l’image de Aicha Deme, agitatrice culturelle très connue au Sénégal, qui souligne que « d’habitude il faut aller en Europe pour écouter ces intellectuels, c’est une chance qu’ils viennent ici, ce sont des modèles de la jeunesse africaine ».

Mais pour que la fête soit plus belle, il fallait aller au contact du public, ce fut cas le soir lors de la Nuit de la pensée qui a eu lieu en plein air au théâtre de la verdure, dans les jardins de l’institut français. Les spectateurs sénégalais sont venus nombreux pour échanges avec tous ces penseurs. Interroger sur l’Histoire, mais surtout le développement. L’économie au centre de toutes les préoccupations africaines.

L’Afrique n’a rien à rattraper

Un conseil, ne parlez pas au très affable Felwine Sarr de sous-développement, OMD, ODD, tous ces gros mots de l’économie et du capitalisme mondial, il pourrait se mettre en colère. C’est tout l’enjeu de ces rencontres : proposer une autre vision du monde. C’est pourquoi, les échanges ont été vifs le lendemain, à ce sujet particulièrement, dans la cour du Codesria qui est le lieu de la recherche africaine en sciences sociales, Achille Mbembe, Mamadou Diouf, Souleymane Bachir Diagne, tous y sont passés. Mais c’est bien la nouvelle génération qui a marqué les esprits. Ngongo Samba Sylla, par exemple, économiste, a largement eu la faveur de l’assistance lorsqu’il a plaidé pour une nouvelle forme d’emploi décent, arguant que la fin du salariat comme modèle unique de développement était inéluctable. Pour lui, avec la démographie galopante du continent « c’est une illusion de croire que les gouvernements africains peuvent créer des millions d’emplois décents pour la jeunesse. Le défi de l’Afrique c’est comment réfléchir à un nouveau modèle de répartition des richesses créées ».

Et les femmes dans tout cela…

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