L’épidémie révèle les fragilités de Mayotte

Par Patrick Roger —

La propagation du Covid-19 est redoutée sur cette île de l’océan Indien, dont les infrastructures médicales sont insuffisantes et où l’habitat est précaire pour une grande partie de la population L e premier cas de Covid-19 à Mayotte a été identifié le 14 mars. Il s’agissait d’un voyageur de retour de l’Oise. Trois jours après, le 17 mars, l’île était placée en connement, tout comme le reste du territoire français. Cette mise en connement intervenue très tôt dans la chronologie de l’épidémie a probablement permis d’éviter, à ce stade, le tant redouté dans ce département de 279 000 habitants sous-équipé médicalement au regard de la moyenne nationale, où 84 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, où quatre logements sur dix sont des constructions précaires et trois sur dix n’ont pas accès à l’eau courante. « tsunami sanitaire »

 

Trois semaines après l’apparition du premier malade, 147 cas ont été confirmés à Mayotte, dont 31 chez des professionnels de santé et une vingtaine chez les policiers ; 17 patients sont hospitalisés au centre hospitalier de Mamoudzou, et on compte deux décès, chez des personnes qui présentaient d’importantes fragilités. , veut rassurer le préfet, Jean-François Colombet. Le nombre de lits de réanimation a été porté de 16 à 25 et , affirme-t-il. Toutefois, si le nombre de cas continue à augmenter régulièrement, il y a peu de malades en réanimation : seulement trois. Peut-être du fait de la jeunesse de la population, dont la moitié a moins de 18 ans, seulement 4 % ayant plus de 70 ans. « On se prépare activement pour faire face à la vague qui pourrait venir mais, pour l’instant, elle n’est pas là » « on peut rapidement, en quarante-huit heures, passer à 50 »

Pour l’heure, l’épidémie ne s’est pas disséminée sur le territoire. Tous les cas contacts sont identifiés, avec des foyers de contamination circonscrits, soit en milieu professionnel (santé et police aux frontières), soit géographiquement. , a expliqué, jeudi 2 avril la directrice de l’agence régionale de santé (ARS) de Mayotte, Dominique Voynet, lors d’une audioconférence de presse. [à Bandrélé, dans le sud de l’île] « L’écrasante majorité des cas est liée aux voyages Certains se sont développés au sein d’une même famille. Mais, pour deux autres foyers, nous avons deux fréquentations possibles : ils sont tous allés dans le même cabinet médical et sont tous allés aux mêmes obsèques . Dans ce cas, le risque est grand, puisqu’on a tendance à vouloir montrer de la compassion envers la famille et à oublier de ne pas serrer des mains ou de ne pas s’embrasser. »

Connement efficace

Surtout, il n’y a pour l’instant pas de diffusion dans les bidonvilles, où les appels au connement ont été passés en shimaoré (la principale langue parlée) avec des mégaphones. Le grand cadi (le chef religieux), Mahamoudou Hamada Saanda, a également fait passer le message. Les 325 mosquées du département et toutes les écoles coraniques sont fermées. Dans toutes les communes, les bonnes pratiques ont été diffusées par les haut-parleurs des mosquées.

Alors que beaucoup craignaient que les appels au connement ne soient guère respectés, les Mahorais font preuve de discipline. La circulation reste très réduite, même si environ 200 procès verbaux sont dressés quotidiennement. Le connement est tellement efficace qu’il a désorganisé l’économie informelle, qui représente les deux tiers des entreprises marchandes à Mayotte. De ce fait, l’État et les mairies unissent leurs efforts pour distribuer des colis alimentaires aux familles en grande difficulté. , confie M Voynet, qui attend des renforts, notamment chez les professionnels de santé, maintenant que le département a été désigné prioritaire pour la réserve sanitaire. Le principal souci porte sur la logistique et l’approvisionnement en matériel médical depuis que les vols réguliers ont été suspendus. , constate la directrice de l’ARS.

« Tout le secteur sanitaire et social est sous tension » me « Cela a totalement désorganisé notre travail On a des besoins massifs en médicaments, réassorts, pièces détachées, vaccins, produits sanguins… Organiser tout ça est une vraie galère alors qu’en plus on est en compétition avec La Réunion pour la répartition du fret puisqu’il n’y a plus de vols directs vers Mayotte. »

L’inquiétude se renforce à l’approche du ramadan, qui devrait débuter autour du 23 ou du 24 avril et qui constitue par essence un moment « antidistanciation sociale ». Les autorités administratives tentent, en lien avec les autorités religieuses, d’établir des recommandations pour concilier ce mois saint pour les fidèles musulmans avec les impératifs de protection des populations. A Mayotte, le mot d’ordre reste de rigueur : « Ra hachiri » (« Soyons vigilants »).

Source: LeMonde.fr