« Même la pluie » : l’eau, c’est la vie » et le cinéma alors?


— par Roland Sabra —

Iciar Bollain, actrice, scénariste et réalisatrice espagnole, connue jusqu’alors pour des films plutôt intimistes, comme « Ne dis rien » qui dénonce les violences conjugales, est une admiratrice de Ken Loach à qui elle a consacré un livre en 1996. Cette admiration va jusqu’à lui emprunté, pour son dernier film, «  Même la pluie », son scénariste préféré, Paul Laverty, engagé par ailleurs dans les causes humanitaires en Amérique centrale. Du film intimiste au ciné social le lien est moins ténu qu’il n’y paraît. « Ne dis rien » reposait sur un solide travail d’enquête sociologique qui soulignait que la dépendance économique des femmes ne suffisait pas à expliquer l’existence de relations violentes. C’est ce refus d’un simplisme construit à partir de fausses évidences que l’on retrouve dans « Même la pluie ». Le scénario est une mise en abyme pirandellienne qui prend la forme de la réalisation d’un film dans le film. Il ne s’agit pas tant de faire un film sur le cinéma, à la façon de Godard dans « Le mépris » ou de Truffaut dans « La nuit américaine », que d’évoquer la question de l’engagement. Qu’est-il préférable ? Faire œuvre d’art et laisser une trace pour l’avenir ou se colleter au réel et tenter de transformer la réalité présente ? Engagement artistique ou engagement politique ? Inclusion transitive ou disjonction inclusive ?

Il existe au moins trois niveaux dans le film qui vont venir s’imbriquer et qui vont inter-réagir. Le premier registre est un film sur la vie Frei de Bartholomé de Las Casas, compagnon de Christophe Colomb, et qui fût, comme beaucoup esclavagiste, avant de trouver son chemin de Damas et de se convertir à la cause des indiens. Le second registre est celui de l’équipe du film et du lieu de tournage , la Bolivie choisie pour des raisons économiques et financières. Il est plus facile de recruter à vil prix, deux dollars par jour, des Indiens Quetchuas, comme figurants que des descendants des Caraïbes à la Dominique.

Le troisième registre est la lutte menée, dans les années 2000, par ces Indiens contre la privatisation et donc la vente à des compagnies étrangères des réseaux de distribution de l’eau, considérée comme un bien commun.

Le fil d’Ariane est, on l’aura compris, celui de la colonisation et de ses acteurs d’hier et d’aujourd’hui avec des parcours croisés. A la conversion de Frei de Bartholomé le miroir renverra, atténuée, la transformation du producteur du film, formidable Luis Tosar dans le rôle de Costa, tandis que Sebastian, Gael Garcia Bernal un peu transparent dans le rôle du réalisateur, d’abord sensible aux conditions misérables des Indiens finira par privilégier son film, à mesure qu’il croira voir l’objet de son désir se réaliser fut-ce au prix de l’abandon à la mort d’une jeune fille .

Juan Carlo Aduviri dans le rôle de Daniel  qui est un des leaders de la rébellion populaire mais aussi la personne choisie pour incarner le chef indien Hatuey

La dernière partie du film la plus faible est celle où la réalisatrice se laisse emporter par un sentimentalisme de bon aloi quand elle filme des scènes d’enfants blessés ou des scènes d’effusion entre personnages d’abord opposés.

Cela dit il faut  reconnaître à Iciar Bollain un talent indiscutable. Chaque niveau du film fait l’objet d’un traitement en rapport avec le discours tenu. Les plans du film dans le film sont construits avec un souffle épique à la façon du Fitzcarraldo de Herzog, et la lutte pour le contrôle de l’eau de même que les scènes d’émeutes en ville, elles, sont filmées caméra au point ou à l’épaule façon reportage. L’histoire passée et l’histoire présente sont suggérées comme intimement mêlées dans des séquences de répétition des scènes du film avec des comédiens vêtus  à la mode d’aujourd’hui. Des personnages secondaires on retiendra celui du comédien qui endosse le personnage de Colomb et dont l’esprit noyé dans les vapeurs d’alcools sera toujours néanmoins très clairvoyant. Mais surtout crève l’écran d’une présence totalement subjuguante  un acteur bolivien, Juan Carlo Aduviri dans le rôle de Daniel, un indigène choisi pour être Hatuey le chef des rebelles face à Colomb, un petit homme au regard incandescent, totalement habité, et plus vrai que nature.

Les sixièmes rencontres Cinémas de Martinique pouvaient difficilement mieux commercer.

Le 08 juin 2011

Roland Sabra

PS. Le film « Même la pluie » est programmé au CMAC le samedi 11 juin à 18h 30 et aux Jeudis de Madiana la semaine suivante