Le yagé, breuvage rituel amazonien devenu phénomène urbain

— Par Ariela Navarro | AFP —
yage_breuvageBreuvage rituel et séculaire des indigènes d’Amazonie, le yagé, au pouvoir hallucinogène, s’est converti en phénomène urbain en Colombie. Il séduit même de plus en plus les touristes étrangers. Parfois au péril de leur vie.

A la Calera, sur les hauteurs de Bogota, Miguel Garcia, un Mexicain de 42 ans, est venu participer à une séance d’ivresse collective, en compagnie d’une trentaine de personnes, sous le contrôle d’un chaman, issu de l’ethnie Kämentsa, qui officie en poncho et coiffé d’une couronnes de plumes.

« Je viens en Colombie pour boire le yagé parce que ça me permet de me sentir bien et d?avoir de bonnes vibrations. C?est là que je recharge mon énergie », lance à l’AFP cet ingénieur, qui a déjà effectué pas moins de cinq déplacements dans le pays andin.

« C’est un voyage qui peut t’emmener loin, depuis la création du monde jusqu’à l’enfer », ajoute-t-il, enveloppé dans une couverture au motif léopard, le front ceint d’un bandeau.

Boisson obtenue à partir de lianes, le yagé, appelé aussi ayahuasca, constitue depuis des milliers d’années un remède pour les communautés d’Amazonie et des Andes en Colombie mais aussi au Brésil, en Equateur, au Pérou ainsi que certaines régions de Bolivie et du Venezuela.

Parmi ses composants, une substance stupéfiante, la diméthyltryptamine (DMT), provoque visions et hallucinations.

Interdite dans plusieurs pays et considérée comme un psychotrope par l’Organe international de contrôle des stupéfiants des Nations Unies, elle est toutefois tolérée pour son usage traditionnel en Amérique latine.

« Cela sert à soigner beaucoup de maladies. Cela aide à se libérer de son ego, de sa colère, à apprendre la patience », assure le chaman, Juan Martin Jamioy. « Ce remède, c’est comme un psychologue de l’esprit, il te parle directement et te dit des vérités », poursuit-il, en soulignant l’attrait que suscite le rituel pour les étrangers.

– ‘La liane des esprits’ –

« Il y a beaucoup d’Européens qui viennent. Là-bas, la vie est différente. Ils cherchent la connaissance et les chemins spirituels, ils sont lassés de leur vie monotone », explique-t-il.

Fabian Sanabria, directeur de l’Institut colombien d’anthropologie et d’histoire, rappelle que cette tradition est très ancienne. On retrouve des statues précolombiennes représentant des chamans le visage tordu ou en train de vomir, l’un des premiers effets de la plante.

Désormais, « cela attire et séduit beaucoup de personnes dans le monde contemporain », indique l’anthropologue.

En langage indigène, ayahuasca signifie « la liane des esprits ». Voix intérieure, communion avec des parents décédés, contact avec l’inconscient: les témoignages évoquent toute sorte d’expérience.

« Cela t’emmène dans le passé et te fait rappeler des choses nécessaires », confie à l’AFP Sergio Berejano, un designer de 24 ans. Sous l’effet du yagé, il raconte entendre en lui une voix bienveillante qu’il appelle son « grand-père » et qui l’aide à résoudre ses problèmes personnels.

Malheureusement les aventures oniriques peuvent parfois très mal se terminer, d’autant que de faux chamans ont saisi l’intérêt du filon.

Un mauvais mélange peut ainsi provoquer des tachycardies, de l’anxiété, des attaques de panique, voire même la mort. En avril dernier, un touriste britannique de 21 ans a succombé à une intoxication lors d’un rituel célébré dans la région du Putumayo, dans le sud de la Colombie.

Ricardo Diaz, un sociologue qui tient la revue « Visions de chaman » et organise lui-même des sessions autour du yagé, met en garde: « C’est toujours une intoxication, mais c’est une intoxication contrôlée ».

Déconseillant l’usage du yagé à des fins récréatives car « ce n’est pas une partie de plaisir », il recommande de faire appel à un chaman expérimenté et d’observer au préalable une diète évitant les viandes rouges, le lait, l’alcool et les drogues.

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