Le Venezuela au bord du précipice

— Une analyse de Yves Besançon. —
venezuela_precipiceLa République bolivarienne du Venezuela, ébranlée par une crise à la fois économique, politique et humanitaire, est en passe, dans sa chute vertigineuse, de retrouver un niveau de son produit intérieur brut (PIB) par habitant inférieur à celui du début des années……soixante ! Bien évidemment, cette crise économique est à mettre en relation avec la diminution sensible du prix du pétrole à partir de 2013 – le cours du Brent passant en moyenne annuelle de 112 à 40 dollars entre 2012 et le premier semestre 2016 -, dans le cadre d’une économie nationale caractérisée par la « monoculture pétrolière ». Pour autant, la baisse du prix de l’or noir ne saurait tout expliquer du cataclysme en cours. Radiographie d’un chaos économique inédit dans l’histoire pétrolière du pays..Le naufrage en chiffres
La détérioration des principaux indicateurs du tableau de bord de la santé économique et sociale, depuis 2014, donne carrément le tournis : une récession qui prend les allures d’une dépression avec une chute du PIB de 3,9 % en 2014, 5,7 % en 2015, et une baisse prévue de 8 % en 2016 et de 4,5 % en 2017, selon les dernières prévisions du Fonds monétaire international (FMI) ; toujours selon le FMI, une baisse vertigineuse des revenus liés au pétrole, passant de 80 milliards de dollars en 2013 à une fourchette allant de 20 à 25 milliards en 2015 ; une hyperinflation qui lamine le pouvoir d’achat des salaires avec une hausse des prix de 181 % en 2015 et qui devrait atteindre les 500 % en 2016, selon les experts du FMI ; un taux de chômage qui passe de 7,5 % en 2013 (après avoir culminé à plus de 18 % en 2003, il avait baissé pour atteindre son minimum historique à 7,4 % en 2008) à 14 % en 2015, avec une perspective de plus de 20 % en 2017, selon le FMI ; une explosion de la pauvreté, avec près de la moitié des 31 millions d’habitants vivant en deça du seuil de pauvreté en 2015, alors qu’ils étaient moins d’un quart en 2010, s’exprimant en particulier par une pénurie gravissime des produits de première nécessité (trois produits de base sur cinq sont concernés) et des médicaments de base (70 % sont en rupture de stock),… sans oublier la pénurie d’eau qui vient s’ajouter au tableau, avec une sécheresse exceptionnelle cette année ; des comptes publics à la dérive, avec un déficit dépassant déjà la barre des 14 points de pourcentage du PIB en 2012, pour s’envoler aujourd’hui à plus de 20 % ; un effondrement des réserves de changes du pays qui ne s’élevaient plus qu’à 18 milliards de dollars en 2015.… contre 40 milliards en 2007 !

Des causes conjoncturelles
La baisse du prix du pétrole enregistrée ces dernières années n’a pu qu’impacter sérieusement une économie hyper-dépendante de la vente de son pétrole, sachant que l’or noir représente 96 % des exportations vénézueliennes ! La baisse des recettes à l’exportation a dégradé la demande globale qui, à son tour, a entraîné l’offre productive dans un cercle vicieux à la baisse (la diminution de la demande génère une baisse de la production, et donc des revenus, qui rétroagit elle-même sur la demande et ainsi de suite). Parallèlement, elle a réduit la capacité à importer du pays (les exportations apportant les devises nécessaires au financement des importations), en particulier les produits de consommation, en provenance quasiment tous de l’extérieur, et a favorisé une dépréciation du cours de la monnaie nationale, entraînant à son tour une hausse du prix des importations. A cet égard, la politique de change (1), initiée sous la présidence d’Hugo Chávez (1999-2013), consistant à provoquer, afin de limiter l‘inflation et de préserver le pouvoir d’achat des plus pauvres, une surévaluation du bolivar, a été contreproductive. En effet, non seulement elle n’a pas empêché le taux de change du dollar par rapport au bolivar d’exploser sur le marché noir (la barre des 1000 bolivars pour le billet vert a été franchie en mai dernier, soit une valeur 160 fois plus élevée que le taux de change officiel subventionné sur les produits de base !), mais, de surcroît, elle a constitué un cadre favorable à l’hyperinflation : en dépit du contrôle des changes, la corruption aidant, l’accès aux taux de change subventionnés ne peut qu’entretenir des ventes spéculatives du bolivar contre devises étrangères, d’autant plus élevées qu’elles anticipent une dépréciation du change qu’elles finissent par provoquer.

Cercle vicieux imparable !
Par ailleurs, la baisse à l’exportation des ventes de pétrole a aussi fortement dégradé la situation des finances publiques du pays. On rappelle que la rente pétrolière a joué un rôle crucial dans le financement de l’importante augmentation des dépenses sociales, décidée par Hugo Chávez, dans le cadre des « missions sociales » créées en 2003, afin d’offrir à la population un accès élargi aux services d’éducation et de santé. Cette politique sociale a ainsi permis de réduire de façon conséquence le taux de pauvreté, qui est passé de 43 % en 1999 à 30 % en 2013, et d‘accomplir des progrès importants du point de vue du droit à l‘éducation. Mais, lorsque cette rente pétrolière s’étiole, c’est donc tout l’équilibre des comptes publics qui s’en trouve grandement affecté, avec un pétrole assurant la moitié des recettes budgétaires, et ce, d’autant plus, lorsque l’État retarde le plus possible les ajustements nécessaires en termes de dépréciation du change national (la dépréciation du bolivar par rapport au dollar a l’avantage de renforcer la valeur de la rente pétrolière libellée en bolivars, d’où une augmentation des recettes fiscales). L’accroissement du déficit budgétaire qui s’en est suivi, a été largement financé par une création monétaire massive (hausse de 600 % de la liquidité monétaire entre 2012 et 2015) qui, sans stimulation de l’investissement et donc de l‘offre productive, a dès lors provoqué une vive accélération de l’inflation, entraînant avec elle, faute d’une revalorisation des rémunérations, un effondrement tout aussi spectaculaire des salaires réels. Trois facteurs aggravants sont venus amplifier ces forces hyperinflationnistes : le gonflement de la création monétaire par le rachat…

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