Le théâtre amateur en Martinique est bien vivace

 

De la nécessité d'organiser et de promouvoir le théâtre amateur en Martinique

Le théâtre amateur en Martinique est bien vivace. Michèle Césaire vient de proposer au Théâtre de Foyal les Premières rencontres du Théâtre Amateur, en mai 2008, suivie par la ville de Trinité qui propose elle aussi des rencontres pendant la première semaine de juin. Jandira Bauer de Jesus l’an dernier dans « Madame Marguerite, la jeune Daniely Francisque le 22 mai de cette année, avec Neg Pa Ka Mo, nous ont offert dans des registres très différents, des spectacles porteurs de promesses d’avenir.

La programmation du Théâtre Municipal de Foyal était assez restreinte . Trois pièces, dont une déjà programmée l’an dernier à titre privé. En premier lieu nous avons vu « Le dindon » de Feydeau, mis en scène par Claude Georges Grimonprez  qui dirige  la Compagnie théâtrale Courtes Lignes fondée en 1993  avec  Anne-Marie CLERC. La troupe nous avait gratifié l’an dernier de « Douze hommes en colères. » Il y a dans cette compagnie, un bonheur à jouer dont on ne peut douter, et qui éclate sur scène. C’est cette énergie qui fait oublier les imperfections, les maladresses, inhérentes à cette pratique. Mais le théâtre c’est aussi ça. La ligne directrice de la Compagnie, que l’on peut deviner à travers ses productions passées et présentes est celle d’une ouverture au monde, au grand large, dans un dialogue entre l’ici et l’ailleurs qui rappelle que si les Antilles sont des îles, elles ne sont pas pas que cela. Cette année la troupe multiethnique, elle est à cet égard une belle image de la Caraïbe aujourd’hui, propose un ‘Dindon » bien enlevé, haut en couleur ( et pour cause) dont la thématique éternelle, infatigable, inépuisable de l’infidélité conjugale trouve un solide écho créolisé en Martinique. Le public ne s’y est pas trompé, lui qui s’est tenu les côtes plus d’une fois dans la soirée. La troupe nous a offert un moment de plaisir, sans prétention autre que de nous faire partager son amour du théâtre. Les costumes, les décors, la régie, tout, absolument tout est pris en charge par des bénévoles. On attend le prochain spectacle avec confiance.

Le travail de Nady Nelzy de la Compagnie Obidjoul, « Et nous ne dirons plus qu’un mot », inspiré de « La noce » d’Anton Tchékhov s’inscrit lui aussi dans une perspective d’ouverture au monde à partir d’un lieu repérable, parce que parfaitement identifié et assumé : la Martinique. La scènographie, superbe n’a rien a envié à ce que font certaines troupes professionnelles. La scène  est occupée par une vaste table, à la décoration parfaitement soignée, autour de laquelle vont se déplacer, parfois lourdement, souvent gauchement les convives dans des tenues recherchées. Mais ce n’est pas là l’essentiel. Nady Nelzy s’inscrit dans la ligne de ce que Jean-René Lemoine le metteur en scène haïtien internationalement reconnu, avait déjà suggéré avec « La cerisaie » et que nous avions eu la chance de voir à l’Atrium il ya deux ans, à savoir un parallèle, osé et somme toute loin d’être gratuit entre la situation de la Russie à la fin du 19ème siècle et celle de la Martinique tout juste sortie de l’esclavage. Il y a là comme une mise à distance, une mise en relation, un recul qui permet de mieux voir, ou de voir autrement ce qu’a été notre histoire ou tout au moins celle de la petite bourgeoisie mulâtre. Une façon de rire de nous sans que ce soit tout à fait nous. Il y a un vrai travail de réflexion sur  les modes d’expression théâtrale de l’ambivalence,  quelle soit sociale, économique, matrimoniale, ethnique d’une classe située dans un entre-deux.  Le parti pris scénographique, cette table imposante, limite l’espace de jeu de comédiens forcément imparfaits  et eux-mêmes participent, de ce fait, à cette limitation de l’expression scénique d’une approche intéressante en soit. Mais encore une fois, le moment passé n’était pas désagréable, loin s’en faut.

« Terrible rencontre » clôturait ces « Premières Rencontres  du Théâtre Amateur. Le texte est écrit par le metteur en scène Jean-Michel Dubray. Gisèle attend le retour de Luc  plus âgé qu’elle a épousé et qui a disparu, envolé, il y 5 ans. Gisèle est fragilisée par cette fuite, mais on découvrira qu’elle l’était déjà avant son mariage et le retour impromptu et surtout inattendu du mari, par ce qu’il va révéler la fera basculer définitivement du coté de la folie. Sans vouloir en dire plus,  il est question d’inceste refoulé et de non-dits, dans une description de la société martiniquaise que ne renierait pas l’ UFM (Union des Femmes de Martinique). Le jeu des comédiennes est outrancier, à la hauteur du propos tenu. Comme le dira, avec bienveillance, le comédien et metteur en scène  Hervé Deluge, « C’est un mélodrame, et il y a longtemps que je n’en avais vu un ». La difficulté des troupes « amateurs » qui ne jouent pas souvent leur production, est de se trouver confrontées à l’absence de critiques, de regard autre que celui du metteur en scène, et donc d’une année sur l’autre d’accentuer les défauts de leur travail. Cette année la pièce a été allongée, il faudrait dire alourdie, par des scènes sans texte et la comédienne principale est incitée à exagérer. Le trait qui souligne le propos en vient à masquer le propos lui-même. Et c’est vraiment dommage car il n’est pas si fréquent de voir sur scène une présentation des structures familiales antillaises et une critique de ce qu’elles peuvent avoir de pathogène. Le Théâtre du Bon bout est une petite structure qui a le courage et le mérite d’affronter des problèmes graves, comme l’emprisonnement dans le mensonge et les secrets de famille, mais il pèche, paradoxalement, par sa pratique théâtrale dans ce qu’il dénonce : l’enfermement dans un regard autocentré, dont il n’est pas le seul responsable. Il faut déplorer la quasi impossibilité pour les troupes  d’amateurs de se produire, de se montrer, de se confronter les unes aux autres, pour se critiquer et donc s’enrichir, comme si la Martinique toute entière et à elle seule était un archipel sans communication.

Et ce n’est quand même pas dû à l’absence de réforme du statut, l’absence de mise en œuvre de l’article 74 de la Constitution, que l’on doit cette carence ou alors il faudrait avoir un esprit sacrément tordu. On ne peut donc que souhaiter que la collectivité locale chargée de la culture prenne, en charge et en concertation avec les intéressés, l’organisation de ce type de rencontres et les multiplie. Ce qui se fait pour le sport serait-il impossible pour la culture? Et pourquoi ne pas inviter des troupes d’amateurs de la Caraïbe? Cela se fait déjà dans d’autres îles!

Le 31 mai 2008 à Fort-de-France

Roland Sabra