« Le Loup de Wall Steet » : rire mordant contre les loups… de la Bourse

— Par Dominique Widemann —

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Le Loup de Wall Street, de Martin Scorsese. États-Unis. 3 heures. Une comédie foisonnante dans laquelle Martin Scorsese et son acteur Leonardo DiCaprio pulvérisent l’univers boursier à grand renfort
 de cinéma.

Dès les séquences d’installation, l’implacable satire à laquelle va se livrer Martin Scorsese au travers de la jungle boursière se place sous les signes conjugués du spectaculaire et de l’obscénité, guidés par une incroyable énergie cinématographique. Soit Jordan, « le loup », Belfort (Leonardo DiCaprio), fait comme un rat dans un costume à deux mille dollars, célébrant l’apogée de la firme de traders qu’il préside par un lancer de nains entre les bureaux. Stratton Oakmont pèse ses cinquante millions, apogée d’un périple de voracité dont rien ne nous sera épargné, par les talents conjugués du cinéaste, du scénariste Terence Winter et d’acteurs fabuleusement habités de leurs rôles. Autant de personnages, à très peu près, engloutis corps et âme dans une addiction à l’argent, au fric, au pognon, révélant derrière le lion qui sert d’emblème à leur société des bienveillances de crotales à l’égard de leurs congénères et du reste du monde.

Ce monde des « pue-la-sueur » dans lequel « personne n’a envie de vivre ». Le film s’appuie sur le récit livresque du véritable Jordan Belfort, multimillionnaire à vingt-six ans dont l’ascension viendra se crasher contre un mur de lois qui ne se soucient pas forcément de morale. Même les fameux « marchés » ne survivent qu’au prix d’un ordre qui écarte les têtes brûlées avant de se cramer les ailes en escadrilles. Marché du vent, du rien, d’une économie de la « fugacité » qui ne profite qu’aux profiteurs et laisse hors champ les champs de ruines qu’elle induit, présents en permanence de n’être pas figurés. Ainsi le déclinera en tout cynisme Mark Hanna (Matthew McConaughey, impérial), premier mentor du jeune Belfort quand celui-ci n’était encore qu’un « jeune con cupide », selon ses propres mots, qui, en voix off, seront tenus au fil du film comme une ligne de basses, en l’occurrence de tréfonds. Belfort intègre les codes tribaux, la drogue comme un indispensable étai à qui arnaque son prochain sans entraves, le sexe comme une décharge, des plaisirs de sphincters en relâchement d’où exploseront un jour baraques à blindes d’hectares, yachts et hélicoptères, prostituées à échelles de tarifs, le tout dûment chiffré jusqu’à l’épouse trophée (Margot Robbie) qui elle n’a peut-être pas réalisé une affaire en or.

De Billy Joel en passant par Plastic Bertrand

Pour ce qui est du rock and roll, Scorsese le confie à la bande-son, de Billy Joel à Madness en passant par le Ça plane pour moi de Plastic Bertrand. Belfort avait commencé menu. Trader chez Rothschild, le krach de 1987 lui ferme le clapet mais n’entrave pas ses appétits. De petites sociétés se montent, qui fourguent à de modestes épargnants les bulles bas de gamme non cotées. Le ratissage de ses économies de plombiers rapporte en revanche de grosses commissions. Avec une bande d’escrocs au petit pied de sa connaissance, un frère d’armes, Donnie Azoff (Jonah Hill), Belfort prendra son envol de prédateur vers des paradis artificiels où sentiment rime avec Satan. Quand le FBI, incarné par l’agent Patrick Denham (Kyle Chandler), fourrera son nez dans les trous, les millions iront se faire blanchir ailleurs, chez l’un de ces banquiers suisses corrompus joué par Jean Dujardin. Mauvaise pioche. Une seconde partie du film, à sa moitié, décrira la descente en flammes de Belfort disjoncté aux quaaludes, drogue jadis psychédélique, en deux paliers, l’ensemble toujours regonflé de scènes de bravoure. De cette dépravation de plus en plus mécanique et compulsive, de ses champs lexicaux et visuels fondés sur l’expression « fuck » (baise) qui en résume tout, Scorsese nous offre une intense jubilation, de vrais fous rires aux larmes, une exultation contagieuse. Les deux dimensions de l’écran semblent cadrer à celles d’un billet de mille, fausse monnaie en libre circulation.

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Dominique Widemann

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