Le jardin des sculptures – entretiens d’artistes: Michel Rovelas

— Propos recueillis par Matilde dos Santos Ferreira, critique d’art et curateur indépendant —

Série d’entretiens avec les créateurs des œuvres du jardin des sculptures. Michel Rovelas a répondu par écrit le 26 juin 2019 au court questionnaire que j’avais envoyé par mail.

MDS : Michel Rovelas en cinq dates. Quels sont pour vous les événements et/ou rencontres qui ont le plus impacté votre destinée ou votre œuvre ?

MR : Compte tenu de l’urgence avec laquelle vous m’invitez à répondre à votre questionnaire, je n’apporterai, que des réponses qui déterminent à mes yeux un champ direct de significations lequel interagit avec la genèse de mon travail de sculpteur et de peintre.

Des bébés surgissent régulièrement dans le monde. Aussitôt, ils commencent à apprendre le monde.

Celui qui réussit à devenir peintre ou sculpteur est celui qui « en donnant son corps au monde transforme le monde en peinture ou sculpture ». Pour comprendre la vie il faut s’ouvrir au monde qui s’offre à vous. Si ce que vous donnez est juste et fondé, vous avez une chance de recevoir.

L’essence de la réalité et celle de l’art sont une seule et même chose. Et dans ce rapport de réalité l’Homme est le plus précieux. Et ce qu’il transforme en peinture, sculpture, est une profération qui vient des profondeurs de la réalité du monde, car s’exprimer est aussi une manière de proférer.

Gérard Xuriguera est la personne la plus importante que j’ai rencontrée dans ma vie. Nous sommes devenus des amis dès le premier jour de notre rencontre en un éclair. Il m’a appris à regarder de tous les côtés à la fois. Cet historien d’art, à la personnalité hors du commun, m’a aidé à discerner entre le mensonge et la vérité. Et nous partageons cette amitié depuis plus de trente ans.

Mais je dois également citer José Toribo ancien Maire du Lamentin qui en m’invitant à monter une Ecole d’Art municipale dans sa commune, a continué à m’aider à poursuivre mes efforts de création artistique, et approfondir ma compréhension de ce que l’on peut appeler « une pédagogie de formation artistique, non aliénée ».

La troisième personne est Lucette Michaux-Chevry, qui défiant les tabous et la paresse intellectuelle ambiante, m’a permis de construire trois œuvres monumentales majeures.

Quant à la quatrième personne, il s’agit également d’un président de région, qui prenant la suite de Madame Michaux-Chévry, s’illustra assez lâchement dans une entreprise sournoise de déprédation des œuvres monumentales sise à l’aéroport Pôle Caraïbes et au rond-point Blanchard au Gosier. Cet ancien ministre a pour nom V.L., actuellement sénateur.

Asé Pleuré, Aéroport Pôle Caraïbe, Les Abymes, Guadeloupe, 2013 photo Ivan Phillois

MDS : Michel Rovelas en cinq œuvres. Il y a-t-il des œuvres que vous considérez comme des sortes de jalons de votre production ? Ou qui sont très spéciales pour vous et pourquoi ?

MR : Bien sûr. C’est le cas pour toute production artistique qui se situe dans la durée.

Adan et Eve, Santo Tirso, Portugal, 2008

 

MDS : Quel est le rapport « d’Etoile du Levant » avec vos autres créations (sur n’importe quelle sorte de critère, matérialité, connexion avec le spectateur, sens…) ?

MR : IL y a la question de la « taille », du volume évidemment. Dans un espace vide à trois dimensions, les contraintes exercées sur les matériaux sont différentes pour des œuvres monumentales et les œuvres d’atelier pour des raisons évidentes. L’Etoile du Levant est à peine plus grande que trois mètres. Les tensions et les forces qui s’exercent entre les éléments indépendants de la sculpture se rassemblent autour d’un axe, qui pousse l’ensemble vers le haut. Il s’agit d’une dynamique d’ascension. Diverses tensions, cherchent à casser ou à freiner ce mouvement vers le haut.

Michel Rovelas, L Etoile du Levant, atelier, photo gracieuseté de L’artiste

MDS : J’avoue que l’œuvre reste très opaque pour moi, pouvez-vous me parler de son sens, de ce que vous avez voulu donner à voir avec cette œuvre ?

MR : Ce que je donne à voir, il est vrai que je l’ai imaginé et fabriqué. Mais c’est avec vos propres yeux que vous regardez l’œuvre, comme tous les regardeurs le font. Le rapport du regardeur avec une œuvre, est profondément intime et ce qui se passe en ces moments dans le cœur et l’esprit du regardeur est hermétiquement protégé par son propre égo, et demeure inviolable. J’ajoute, que l’organisation des formes et des matériaux de la sculpture définit un champ de force, qui peut être désigné comme un champ de significations. Je pense qu’un tel champ de significations est extraordinairement plus vaste et complexe que le concept proposé par le créateur pour réaliser son œuvre. Il est également plus grand que les interprétations des regardeurs. C’est ce que j’appelle le mystère dans l’art.

L’Etoile du levant vient de l’ensemble des questions que le sculpteur que je suis se pose depuis si longtemps. En tant que formes en bois et métal, indépendante et réalisée par le créateur, qui peut prétendre découvrir la somme qui sera toujours non finie de son « sens » ?

 Exposition Or et peaux, Fondation Clément

MDS : L’Étoile du Levant n’a pas été conçue pour les jardins de la fondation clément, pensez-vous néanmoins qu’il ait un rapport spécial au site quand même ? Lequel ?

MR : La seule spécificité qui peut être avancée serait d’évoquer l’origine de l’auteur de l’œuvre. Est-ce possible ?

Si cette œuvre a été installée dans le parc dans des bonnes conditions d’équilibre avec son environnement immédiat, ainsi qu’avec la topographie et la lumière, je pense que chaque visiteur ressentira devant elle ce que chacun ressent devant une véritable œuvre d’art : une émotion profonde et intime.

 

Michel ROVELAS (Capesterre-Belle-Eau, 1939). Vit et travaille en Guadeloupe. Après un passage de cinq années à Paris, où il expose à la galerie Soulanges en 1967, il rentre en Guadeloupe où il ouvre une école de peinture en 1972 et la galerie d’art Igha-Igha à Pointe-à-Pitre par la suite. En 1983 il fonde l’association GREPAC (Groupe de recherche, d’enseignement et de promotion de l’art contemporain). En 1990 il fonde et il prend la direction de l’école d’art plastique du Lamentin avec l’accord enthousiaste de José Toribio. Son travail a été régulièrement présenté en Guadeloupe et à l’étranger. Ses œuvres monumentales se retrouvent dans plusieurs pays.