Le geste organique de Ricardo Ozier-Lafontaine

Exposition « RESET » – Fondation Clément – 25 mai-18 juillet 2018

— Par Selim Lander —

Les plasticiens, aujourd’hui, se doivent d’être originaux. De plus en plus conceptuel, l’art s’éloigne de l’artisanat, au risque de paraître malhabile ou bâclé. La recherche de l’originalité apparaît d’ailleurs comme une gageure, le répertoire des formes et des couleurs étant par nature limité (et Picasso en a déjà exploré plus que sa part !). Si bien que le visiteur habitué des galeries et des musées d’art contemporain échappe rarement  à une impression de déjà-vu, pas nécessairement gênante, au demeurant : c’est un jeu pour l’amateur que de chercher des parentés entre les artistes.

Les toiles de Ricardo Ozier-Lafontaine, peintre martiniquais né en 1973, saisissent d’abord par leur unité et leur rigueur. Rarement aura-t-on vu la série poussée aussi loin et avec une telle constance. Ozier-Lafontaine conjugue en effet le gigantisme et un soin du détail porté à l’extrême. Ses toiles font couramment 2x2m, rarement moins et bien davantage dans les portraits de famille des Intercesseurs (3,40x2m). Or dans les séries intitulées Le Vivant, le Réel la toile est intégralement couverte de petites figurines dont la juxtaposition constitue l’œuvre entière. Dans les autres séries – Les Signes, Les Villes, Les Intercesseurs – si la toile n’est pas intégralement couverte, chaque sujet est construit suivant la même logique interne.

Profusion des détails. On se perd dans les toiles d’Ozier Lafontaine. On s’y noie, submergé par une masse grouillante de petits organismes, figés par l’instantané du tableau mais à l’évidence bien vivants. Le dessein/dessin d’ensemble est perçu seulement dans un second temps. Perçu ou pas, tant la profusion des petits êtres (cellules ? bactéries ?) de cette folie biologique peut se révéler oppressante, en particulier dans la série justement nommée du Vivant !

La joie. Ce  serait néanmoins trop réducteur de s’en tenir là. Du vertige cinétique qui saisit le regardeur surgit finalement, inattendue, une jubilation. Allegro ma non tropo. Il y a bien des manières pour un peintre de chanter la vie, le joli minois d’un modèle de Renoir, par exemple. Ozier-Lafontaine s’y prend tout autrement mais avec la même éloquence. Le foisonnement, la prolifération qui émergent de ses toiles nous submergent à un point tel que nous n’avons d’autre solution que de convertir notre malaise en une sorte – inédite – de bonheur.

Conversion, transmutation, ces termes s’imposent à l’évidence face à la série des Intercesseurs qui clôture l’exposition. Ces personnages fabuleux, plus grands que nature, sont des chamanes – au dire de l’artiste lui-même – surgis d’un autre temps, censés nous faire accéder à une autre réalité, que certains diraient primordiales. À ce point tout le monde n’est pas tenu de suivre… Restent ces figures imposantes qu’on ne peut contempler sans percevoir « quelque chose ». Mais quoi ? Il faudrait sans doute être moins vieux, moins sceptique, moins rationaliste (ceci impliquant cela) que l’auteur de ces lignes pour y « comprendre » quelque chose !

Reste l’oppression, reste la joie ! Ce n’est pas tous les jours qu’un artiste nous apporte tout cela.

Que dire de plus ? Que tout ceci est en noir est blanc, à l’exception d’une très grande toile de la série Le Réel (2×2,70 m), en noir et rouge, et que, à chercher des comparaisons, les tableaux d’Ozier-Lafontaine nous ont remémoré les peintures aborigènes (d’Australie), à cause en particulier des petits points qui « comblent le vide » autour de certains motifs de quelques tableaux.

Fondation Clément, Le François, Martinique, FWI, du 25 mai au 18 juillet 2018.