Le festival de marionnettes de Case-Pilote (édition 2019)

— Par Selim Lander —

Qui croirait que dans notre petite île plusieurs compagnies se consacrent à l’art de la marionnette ? Tous les deux ans, à l’initiative de Jala, Pilotine du nord bien connue pour ses livres pour enfants et ses marionnettes, se tient le festival BBM (« Bamboula, Bwabwa & Marionnettes »). Certains des spectacles du festival basé à Case-Pilote essaiment dans d’autres communes. L’édition 2019 réunit six compagnies dont quatre martiniquaises (« ZigZag » qui reprend Terre, fleur d’amitié présenté récemment à l’Atrium[i]), « La Case aux Bwabwa de Jala », « L’ïle des Marionnettes » et la compagnie Luc Peseu) auxquelles s’ajoutent deux « invités », le Dominicain Ernesto Lopez et les trois Bretons de « La Case ».

Si le rythme des récits paraît le plus souvent exagérément lent aux yeux d’un adulte – qui ne peut s’empêcher de comparer avec Yeung Faï, « The Puppet Show-Man », ce virtuose de la marionnette (chinoise) à gaine[ii] –, force est de constater que les enfants invités à assister aux différents spectacles ont semblé captivés de bout en bout. Et prêts à répondre à la moindre sollicitation pour montrer du doigt ou est caché, par exemple, tel ou tel personnage d’un conte.

Le Secret de la montagne de feu

A tout seigneur tout honneur, le spectacle de Jala – qui manipule en solo toutes ses figurines – se doit d’être présenté en premier. Au commencement, une petite Etiennise dont la bouche s’ouvre en grand quand Jala la fait parler avec son don de ventriloque, veut raconter elle-même l’histoire de la montagne. Comme elle est incapable de manipuler les objets, marionnettes ou autres, qui peuplent le récit, elle doit laisser faire la marionnettiste. L’histoire évoque alors sans la nommer l’éruption de la Pélée (provoquée par un monstre et son complice « Soukouyan ») ; elle fait appel à plusieurs sortes de marionnettes dont certaines très élégantes comme « Naturesse », la bonne fée de la nature, et « Alizé(e) » qui fera souffler un vent vivifiant, deux marionnettes à gaine, tandis que d’autres sont de simples « bwabwa » en papier mâché, sans oublier l’impressionnant vieillard « bunraku » tenu comme il se doit d’une main à l’arrière de la tête, l’autre main enfilée dans une manche du costume. On apprécie également le décor avec les maisons joliment colorées de « Pierreville », toujours en papier mâché, et qui une fois retournées montrent leurs façades noircies par l’incendie.

La Voie de la forêt

L’histoire contée par « L’île des marionnettes » est celle d’une tatie un peu négligente qui perd son neveu Tobby lors d’une promenade en forêt. Ce dernier va essayer de se retrouver avec l’aide d’un papillon. Des marionnettes à fil figurent ces trois personnages du conte tandis que les animaux bienveillants (ragondin, ours) ou plus souvent malveillants (lapin, serpent, loup, cochon) que rencontrera Tobby sont représentés pour leur part par des marottes (tenues par une tige au sommet de la tête). La forêt est symbolisée par un tableau devant lequel circulent les personnages du conte. A l’avant-scène un gros caillou, un champignon, un cactus sont autant d’obstacles entre lesquels ils circuleront. Trois manipulateurs passent d’une marionnette à l’autre. Et bien sûr, à la fin, Tobby aura retrouvé sa tatie.

Mami konnèt la vie

Luc Peseu, qui est accompagné d’un acolyte, cultive pour sa part du « théâtre d’ombre ». Ses marionnettes articulées sont découpées dans du papier ; deux baguettes permettent de les faire bouger derrière l’écran sur lequel elles se détachent en ombres chinoises. Les enfants présents lors de la représentation à laquelle nous avons assisté ont suivi l’histoire de la mamie poursuivie par un malandrin sans manifester le moindre ennui, alors que cette technique inventée en Asie dans un passé reculé est bien moins spectaculaire que les autres, d’autant que les silhouettes qui apparaissent sur l’écran sont de dimension bien modeste. Il faut dire encore un mot du décor – également en ombres chinoises – en particulier les habitations qui nous mettent immédiatement dans l’ambiance d’antan longtemps, quand on habitait des cases, parfois des maisons, en bois. Dans le cours de l’histoire les rôles se renverseront. Car la mamie connaît bien le terrain où s’est imprudemment engagé son ravisseur et les plantes qui y poussent. Sans compter que le méchant homme tombera dans un piège et ne devra son salut qu’à la mamie. C’est l’occasion de faire découvrir aux spectateurs que l’espèce de castelet qui supporte l’écran recèle un secret : en ôtant deux planches, on fait apparaître le trou au fond duquel se morfond le ravisseur.

La Ballade marionnettique africaine

Place maintenant aux invités et pour commencer à la compagnie « La Case » venue avec deux spectacles, Cosmofluo (auquel nous n’avons malheureusement pas pu assister) et donc cette Ballade marionnettique africaine qui est un prodige d’invention au niveau de la conception et de la mise en mouvement des vingt-cinq marionnettes à fil, toutes fabriquées avec des matériaux naturels (où dominent les calebasses de diverses taille) lors d’une résidence au Togo. Les marionnettes sont toutes admirables depuis le petit enfant jusqu’aux musiciens (guitare, tam-tam et balafon) et les danseuses en passant par divers animaux (poussin, mygale, serpent etc.) et d’autres personnages humains ou surhumains (sorcière ou fée). On ne sait comment exprimer son émerveillement devant un spectacle fascinant où les marionnettes qui se succèdent à un rythme effréné sont capables de piler le mil, de se laver le visage et, bien sûr (façon de parler) de « jouer de leur instrument » en suivant la bande son ou le musicien présent sur le plateau, le troisième de la bande avec les deux manipulateurs. Il n’y a pas ici d’histoire à proprement parler, seulement une suite de tableaux musicaux qu’on suppose situés dans un village de brousse. Tout cela est si bien fait, avec une telle technique, un tel rythme (ce rythme qui fait trop souvent défaut aux marionnettistes locaux) qu’on n’en demande pas davantage. On peut néanmoins s’interroger sur le point de savoir si ce spectacle était bien adapté aux enfants de l’école maternelle présents en même temps que nous. Pour la première fois, nous avons noté que quelques enfants – certes pas tous et loin de là – donnaient des signes d’impatience (sauf évidemment dans les moments les plus forts comme lorsqu’ils étaient menacés directement par de dangereux animaux). A cette réserve près, on ne peut que saluer la performance des artistes qui ont fabriqué et animé des marionnettes aussi belles esthétiquement que compliquées à manipuler.

Las Sueňos de Lorca

Ultime représentation du festival au théâtre A’Zwel, à Terreville de cette pièce d’Ernesto Lopez qui a circulé auparavant dans divers lieux devant de jeunes élèves. Nous ignorons ce qu’ils en auront tiré ! Disons pour notre part que Las Sueňos de Lorca (le rêve de Lorca), en espagnol non sous-titré, est d’un abord ardu. Et que la prestation d’E. Lopez – qui relève davantage du théâtre, du seul en scène accompagné d’objets, que des marionnettes à proprement parler – paraît devoir intéresser davantage les spécialistes qui s’interrogent sur les frontières de l’art de la marionnette que le public enfantin. E. Lopez, loin de s’effacer derrière ses créations, les abandonne souvent pour se présenter seul, à l’avant-scène, en maniant deux éventails. Il est muni d’un micro lequel s’avère dans la petite salle de l’A’Zwel plus nuisible que superflu. Les marionnettes (Lorca et ses parents, des animaux, un corbillard, etc.), des silhouettes peintes sur plexiglas, avec les jambes, parfois aussi les bras mobiles, et tenues par le haut grâce à une tige, jouent devant des décors tirés d’un livre géant dont les pages se déplient pour faire apparaître tantôt une île, tantôt le fond de la mer, tantôt un ksar marocain, etc., au gré des fantaisies censées habiter le crane de Lorca endormi. Ce grand livre posé verticalement et dont la couverture a la forme d’un paquebot constitue le décor du prologue (trop bavard, du moins pour des non hispanisants).

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Festival Bamboula, Bwabwa & Marionnettes, du 2 au 8 février 2019, accompagné d’une exposition dans la halle de Case-Pilote, d’ateliers, d’une conférence sur le thème « Passion et processus de création ».

[i] Le 22 décembre 2018 à la « Terrasse ». http://www.madinin-art.net/cloture-de-la-ribotte-des-petits-terre-fleur-damitie/

[ii] http://www.madinin-art.net/des-marionnettes-de-la-chine-et-loccident/