Le déni de réalité de l’injustice persistante de la structure actuelle de l’économie de la Guadeloupe

— Par Jean-Marie Nol, économiste —

Depuis des décennies, la Guadeloupe s’efforce de briser les chaînes de l’injustice structurelle ancrée dans son économie, mais les promesses de changement semblent se dissiper dans un océan de déni et d’indifférence. C’est le système néo colonial en place qui se joue de l’intérêt bien compris d’un modèle productif en Guadeloupe.

Le débat sur la pertinence de la « main invisible » de l’économiste de renommée internationale Adam Smith révèle les failles du libéralisme économique face à une économie encore de type coloniale.

En se concentrant uniquement sur le changement des institutions, on détourne le regard de la nécessité de modifier l’infrastructure même de l’économie.La promesse de promouvoir des cadres supérieurs locaux d’origine antillaise reste lettre morte, alors que les décisions officielles sont souvent monopolisées par des responsables métropolitains, ignorant ainsi les besoins et les aspirations de la population locale à un nouveau modèle de développement moins inégalitaire . Malgré les discours politiques promettant une promotion des cadres antillais et le développement des entreprises locales de production , une étude récente révèle des écarts abyssaux dans les opportunités entre les natifs guadeloupéens et leurs homologues métropolitains.

D’Adam Smith, on ne connait que « la main invisible du marché, censée résumer la pensée libérale. C’est bien réducteur d’une œuvre profonde et d’une pensée beaucoup plus complexe qui s’applique parfaitement à la situation économique de type néo – coloniale des départements d’outre-mer.

« En dirigeant cette industrie de manière à ce que son produit ait le plus de valeur possible, il n’aspire qu’à son propre gain et, en cela comme dans beaucoup d’autres cas, il est conduit par une main invisible à promouvoir une fin qui n’entrait pas dans ses intentions . En poursuivant son intérêt personnel, il contribue souvent plus efficacement à celui de la société, que s’il avait vraiment eu l’intention d’y contribuer. » Un passage lu et commenté par des générations d’économistes  et dont on convient communément qu’il synthétise, à travers la métaphore de la « main invisible », le libéralisme de Smith en matière économique. En discuter pourtant la pertinence fait écho à un débat public à vrai dire jamais interrompu depuis Smith, dans lequel l’idée selon laquelle un marché libéré de contraintes réaliserait les fins les meilleures pour tous vient buter sur la mise en évidence de ses possibles défaillances et insuffisances, qui exigent d’autres moyens d’action. Un lecteur déjà convaincu retrouvera dans ces quelques lignes sur la main invisible trois ingrédients qu’on reconnaît habituellement au libéralisme économique : d’abord, la référence à la poursuite exclusive et sans entrave de l’intérêt personnel d’une société d’hyper consommation , qui renvoie à un Etat égoïste, étranger à toute considération relative au bien public ou à la simple solidarité avec autrui ; ensuite, l’idée d’un mécanisme, que l’on décrira comme un mécanisme de marché, qui fait se combiner ces multiples égoïsmes pour réaliser le bien de la société ; et enfin, la dissociation entre des intentions explicites (les intérêts personnels) et leurs réalisations in-intentionnelles (le bien commun) : personne n’a jamais voulu ce qui se produit et pourtant, le bien de la société émerge comme effet in-intentionnel des comportements d’individus qui ne se soucient que d’eux-mêmes.

Continuer à se focaliser sur un changement des institutions relève de l’hérésie et de la malhonnêteté intellectuelle , alors même que la responsabilité de la vie chère, du mal développement, et du mal être identitaire , incombe pour l’instant à la structure déséquilibrée de l’économie de comptoir . C’est l’infrastructure de l’économie qu’il faut modifier à l’aide d’un nouveau modèle économique et social qui devrait tendre à l’érection d’une économie de production. Malgré les engagements réitérés des autorités françaises, la réalité persistante d’une économie de type néo-  coloniale monopolistique continue d’étouffer les aspirations locales à la responsabilité politique et à la prospérité économique . Le chantier jamais ouvert de la promotion de cadres supérieurs locaux d’origine antillaise pour des postes de responsabilités en Guadeloupe. La promesse des différents présidents français de promouvoir plus de cadres supérieurs d’origine antillaise dans la haute fonction publique n’a jamais été respecté pour des raisons occultes.

Cependant, l’image donnée par les réunions des chefs de service de l’Etat et de la justice voire aussi dans le secteur bancaire et financier en Guadeloupe ne laissent pas de choquer, à juste titre, en raison de la présence quasi exclusive de responsables métropolitains lors de ces rencontres. La scène des réunions officielles où les responsables métropolitains prédominent, ignorant ouvertement la nécessité de représenter adéquatement la population locale est familière à bon nombre de guadeloupéens . Des images saisissantes, relayées par la presse , mettent en lumière cette réalité cruelle : un ministre de l’Intérieur et de l’outre-mer entouré exclusivement de directeurs de services métropolitains, une réunion de travail avec une ministre des DROM submergée par la présence de cadres et chefs d’entreprises métropolitains. Ces scènes révèlent l’exclusion flagrante des voix locales dans les décisions administratives et économiques.

Pourtant, les discours politiques continuent de promettre une promotion des cadres antillais et le développement d’entreprises locales de production. Une récente étude de France Stratégie révèle pourtant des écarts abyssaux dans les opportunités entre les natifs guadeloupéens et leurs homologues métropolitains, mettant en lumière une inégalité persistante dans l’accès à l’éducation supérieure, à l’emploi et aux postes de cadre.La mobilité sociale, souvent citée comme solution, reste une illusion pour de nombreux ultramarins. Les obstacles discriminatoires, notamment liés à la couleur de peau, continuent de bloquer leur ascension professionnelle. Les taux d’accès aux postes de cadre restent significativement inférieurs à ceux des métropolitains, malgré des qualifications similaires. Les secteurs publics offrent une relative sécurité d’emploi mais ne résolvent pas le problème sous-jacent de la sous-représentation des cadres supérieurs locaux et des entrepreneurs autochtones dans le tissu économique . Cette injustice sociale et professionnelle nourrit un mal-être identitaire croissant en Guadeloupe, alimentant des aspirations à l’indépendance et des tensions sociales similaires à celles observées dans d’autres territoires d’outre-mer en crise aiguë. Face à ces défis, le gouvernement français ne peut plus se permettre de détourner le regard. Des actions concrètes et une volonté politique affirmée sont nécessaires pour apaiser les tensions identitaires et promouvoir une véritable égalité des chances.Il est impératif que les promesses politiques se traduisent en actions tangibles pour émerger d’un modèle économique et social archaïque et injuste.

L’avenir de la Guadeloupe dépend de la volonté du gouvernement français de corriger ces déséquilibres et de répondre aux aspirations légitimes de sa population. Il est temps de cesser de se focaliser sur de simples réformes institutionnelles et de s’attaquer au cœur du problème : la structure déséquilibrée de l’économie. Seul un nouveau modèle économique et social, basé sur l’inclusion et l’équité, peut conduire la Guadeloupe vers un avenir plus juste et plus prometteur et non pas la chimère de changement des institutions de la Guadeloupe.Quelle confiance accordée à des élus adeptes de l’idéologie néo- nationaliste tenant si peu compte des avis de la population, exprimés par ses votes ? Comme en 2003, la volonté de rester dans le droit commun de l’article 73 de la constitution doit s’imposer avec force , avec le maintien de deux assemblées accompagné de la capacité de légiférer à l’aide d’une  habilitation générale. Comment croire que des politiciens incapables de gérer des compétences actuellement dévolues, pourront assumer une véritable autonomie d’un territoire, dans la diversité et la complexité de ses attributions. Derrière le dessous des cartes se cache l’éternel serpent de mer de l’autonomie étape vers une indépendance à contenu indéfinissable . C’est à dire tout sauf l’intérêt économique et financier véritable de la Guadeloupe.Face à ces défis, le gouvernement français doit passer des paroles aux actes.

Il est temps de s’attaquer au cœur du problème : la structure déséquilibrée et inégalitaire de l’économie de la Guadeloupe. En foi de quoi, le déni persistant de l’injustice structurelle dans l’économie et le fonctionnement du système financier de la Guadeloupe ne peut plus être toléré. Des actions urgentes sont nécessaires pour transformer un actuel modèle économique injuste et inefficace en un nouveau système économique et financier inclusif et équitable, répondant aux besoins et aux aspirations de la population guadeloupéenne.

« Mové sizo gaté bon twèl »

Traduction littérale : Les ciseaux de mauvaise qualité abîment la bonne étoffe.

Moralité : On ne fait rien de bon avec de mauvais outils