Le comédien Michel Bouquet, géant du théâtre et du cinéma, est mort à l’âge de 96 ans

Michel Bouquet, l’anarchiste du théâtre

C’est un monstre sacré qui disparaît, l’un des derniers grands noms du théâtre et du cinéma. Michel Bouquet était un comédien singulier, un amoureux des mots et des beaux textes. Il restera l’inoubliable interprète de « L’avare » de Molière et de « Le roi se meurt » de Ionesco.
***
Dans un livre d’entretiens avec Gabriel Dufay, l’acteur de 91 ans évite toute langue de bois.

[…]il est assez plaisant d’entendre, dans la bouche sans lèvres d’un acteur nonagénaire, des propos que ses jeunes camarades n’oseraient jamais tenir. Michel Bouquet, lui, n’a que faire des modes et il n’a plus le souci de son avenir artistique. La langue de bois, il ne connaît pas. Et les metteurs en scène, ces nouveaux maîtres du théâtre dont les noms, sur les affiches, éclipsent désormais ceux de Shakespeare, Molière ou Tchekhov, il s’offre le plaisir de les remettre sèchement à leur place: 

J’ai toujours pensé que le point de vue de l’acteur doit primer, que le metteur en scène n’a pas à se mêler de ce que je ressens et de ce que je pense. » 

Comme Jean Vilar, avec lequel il inaugura, en 1947, à Avignon, la «Semaine d’art», où il joua dans «la Terrasse de midi» de Maurice Clavel, Michel Bouquet préfère d’ailleurs l’austère mot de «régisseur» à celui, trop jupitérien, de «metteur en scène». A en croire celui qui incarna au théâtre Robespierre, Harpagon, le roi Bérenger Ier , Charles VII et Furtwängler, le seul patron que doive respecter le comédien, c’est l’auteur. Aux acteurs qui ne pensent qu’à se servir, Bouquet rappelle son bonheur d’avoir servi, «comme un maître d’hôtel», MM. Molière, Beckett, Anouilh et Ionesco. Et sans avoir jamais tenté d’être supérieur à ses personnages.

Car, ajoute-t-il, « si l’on veut paraître intelligent dans un rôle, on finit par avoir l’air idiot ! »

Le « vide » de Marguerite Duras

Bref, dans ces entretiens accordés à Gabriel Dufay, qui paraissent sous le beau titre «Servir», Michel Bouquet, toujours à contre-courant et délicieusement pète-sec, nous régale. Il préconise de préférer le travail à l’inspiration et, tant pis si ça choque, de donner moins la réplique à ses partenaires qu’à l’invisible dramaturge. Il préfère la compagnie des morts à la fréquentation des vivants, dit avoir tout appris en regardant jouer Louis Jouvet, Charles Dullin et Gérard Philipe.

Il ne trouve que du «vide» chez Marguerite Duras et s’amuse qu’on le traite de réactionnaire alors qu’il se voit plutôt en anarchiste, en «terroriste du théâtre». Et il explique son exceptionnelle longévité en avouant qu’il est resté, dans sa tête, le petit pensionnaire que, pendant sept ans, ses profs punissaient et mettaient au piquet du matin au soir: 

Mains derrière le dos, tête baissée, je rêvais et je me racontais des histoires. Ils ont cru m’humilier, ils m’ont fait. » 

Naissance, sous un préau, d’un grand acteur….

Lire la Suite = > L’Obs

 

*******

Michel Bouquet, né le 6 novembre 1925 dans le 14e arrondissement de Paris et mort le 13 avril 2022 dans la même ville, est un acteur français.

Très actif au théâtre, il collabore avec le TNP de Jean Vilar et le premier Festival d’Avignon, mais également avec des metteurs en scène aussi divers que Jean Anouilh, Claude Régy, Jean-Louis Barrault ou Michel Fau. Au cinéma, il joue pour plusieurs générations de cinéastes, parmi lesquels Robert Guédiguian, Anne Fontaine, Bertrand Blier, ainsi que Abel Gance, Henri-Georges Clouzot, Jean Grémillon, Henri Verneuil ou encore Claude Chabrol et François Truffaut.

Michel Bouquet est considéré comme l’un des comédiens français les plus importants. Il a obtenu à deux reprises le César du meilleur acteur (2002 et 2006) ainsi que deux fois le Molière du comédien (1998 et 2005) pour 7 nominations. En 2014, Fabrice Luchini lui remet un Molière d’honneur.

Biographie
Enfance, formation et débuts
Fils d’un officier et petit-fils d’un cordonnier, Michel Bouquet est envoyé à sept ans en pension avec ses trois frères, expérience difficile qui marque cet enfant réservé qui doit affronter la cruauté de ses camarades. Après ses études, il enchaîne les petits métiers : apprenti pâtissier, mécanicien-dentiste, manutentionnaire, employé de banque… pour aider sa mère restée seule pour élever ses enfants, son père étant prisonnier de guerre. En 1943, alors que sa mère le croit à la messe, Michel Bouquet se rend chez Maurice Escande, sociétaire de la Comédie-Française, qui lui propose de suivre ses cours. Intégrant le Conservatoire d’art dramatique de Paris en compagnie de Gérard Philipe, il sera un compagnon de la première heure de Jean Anouilh et André Barsacq au théâtre de l’Atelier, puis de Jean Vilar au TNP et au Festival d’Avignon. Il débute sur les planches en 1944 dans La Première Étape, puis obtient son premier rôle principal dans Roméo et Jeannette de Jean Anouilh.

En 1977, il est nommé professeur au Conservatoire national supérieur d’art dramatique.

Carrière au théâtre
Michel Bouquet a marqué le théâtre, en participant aux créations de Camus, à l’introduction en France de l’œuvre de Harold Pinter et en reprenant souvent quelques grands rôles : ainsi a-t-il interprété à plusieurs reprises Le Neveu de Rameau de Diderot, L’Avare de Molière ou encore Le roi se meurt d’Eugène Ionesco5. Parmi ses plus célèbres prestations sur scène, on note : En attendant Godot en 1978 et Fin de partie en 1995 de Samuel Beckett, Le Neveu de Rameau en 1984, La Danse de mort de Strindberg également en 1984, Le roi se meurt en 1994, Les Côtelettes de Bertrand Blier, Avant la retraite de Thomas Bernhard en 1998 ou encore À torts et à raisons de Ronald Harwood en 2000.

Carrière au cinéma
Michel Bouquet fait sa première apparition au cinéma dans Monsieur Vincent de Maurice Cloche en 1947, aux côtés de Pierre Fresnay et Jean Carmet.

Il alterne théâtre et cinéma tout en affirmant préférer les planches à l’écran. Il s’est notamment fait connaître par ses interprétations de bourgeois typique des années 1970 dans l’œuvre de Claude Chabrol et de François Truffaut, sans hésiter à endosser des rôles antipathiques, à jouer des personnages équivoques, sombres, énigmatiques. Sa silhouette ronde, son visage d’ascète et sa voix grave lui confèrent singularité et profondeur. Il illustre l’étendue de son talent aussi bien dans la comédie que dans le drame. Il est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands acteurs français.

Chez François Truffaut il est Comolli, le détective privé assassiné par Jean-Paul Belmondo dans La Sirène du Mississipi (1969) et l’une des victimes de Jeanne Moreau dans La mariée était en noir. Pour Chabrol il a joué le mari trompé par Stéphane Audran dans La Femme infidèle, suivi par un rôle de beau-père méchant toujours avec Audran dans La Rupture. Dans les années 1970 Bouquet est le flic vengeur qui se perd, confronté à un système policier en pleine déliquescence, dans Un condé (1970) d’Yves Boisset, puis un flic obstiné qui terrorise Alain Delon dans Deux hommes dans la ville (1972), candidat aux élections législatives dans Défense de savoir (1973) de Nadine Trintignant, le patron de presse hospitalisé qui est entouré par Claude Jade dans Les Anneaux de Bicêtre (1976), mais il est aussi dans la même année le redoutable milliardaire dans la comédie Le Jouet de Francis Veber. Dans cette décennie il a joué deux rôles sombres pour André Cayatte, dans Il n’y a pas de fumée sans feu et La Raison d’État. Autre film au sujet politique est L’Attentat d’Yves Boisset. Dans les années 1980, il incarne un notaire pourri et l’ennemi de Stéphane Audran dans Poulet au vinaigre (1986), encore chez Chabrol. Il a endossé en 1982 le rôle de Javert dans Les Misérables, version de Robert Hossein (avec Lino Ventura-Jean Valjean et Jean Carmet-Thénardier), et avec un tel talent que nombre d’hugoliens considèrent cette interprétation comme l’incarnation même de Javert. Il a joué également dans de nombreuses séries et téléfilms, notamment dans Les Cinq Dernières Minutes avec Raymond Souplex, ou dans Maigret avec Bruno Crémer. Dans les années 1990 il est pour Alain Corneau le peintre Lubin Baugin dans Tous les matins du monde, suivi 20 ans après par le peintre Auguste Renoir dans Renoir (2012).

À propos du jeu précis de Michel Bouquet en tant qu’acteur de cinéma, Claude Jade, sa partenaire dans Les Anneaux de Bicêtre, écrit dans son livre Baisers envolés : « Michel Bouquet est d’une précision extrême et ne laisse rien au hasard. Je suis très impressionnée par sa concentration et sa capacité de travail; il se prépare parfaitement à ce rôle de magnat de la presse subitement frappé d’hémiplégie et d’aphasie après une attaque cérébrale. Il ne dira son texte qu’en voix off. Quand arrive le tournage, rien ou presque n’est semblable à ce que nous avions imaginé ; les bruits extérieurs sont déroutants, l’agencement de la chambre d’hôpital, reconstituée dans une maison, est différent. Pourtant, grâce à tout ce travail préalable, Michel Bouquet s’adapte, faisant parfois même le contraire de ce qu’il avait prévu, et il est superbe. Et il est un homme d’une parfaite courtoisie ».

Depuis les années 2000
Il devait tourner le film Le Goût des myrtilles avec Marie Otal, qui devait jouer son amante, mais celle-ci meurt le 17 novembre 2009 à Bruxelles, peu de temps avant le tournage.

Le 26 décembre 2011, il annonce qu’il renonce à se produire sur scène7. Il continue néanmoins à participer à des productions de films pour le cinéma ou la télévision. Toutefois, en 2013 et en 2014, on le retrouve sur scène dans Le roi se meurt, la pièce d’Eugène Ionesco, et en 2015 et 2016 dans la pièce À torts et à raisons, à l’âge de 90 ans.

Récompenses
Michel Bouquet est deux fois lauréat du Molière du meilleur comédien : en 1998 pour Les Côtelettes, écrit et mis en scène par Bertrand Blier, et en 2005 pour Le roi se meurt d’Eugène Ionesco. Il reçoit le César du meilleur acteur en 2002 pour son rôle de père qui revient, bouleversant la vie de son fils dans Comment j’ai tué mon père d’Anne Fontaine. Il gagne à nouveau cette récompense quatre ans plus tard pour son interprétation de François Mitterrand dans Le Promeneur du Champ-de-Mars de Robert Guédiguian. Il reçoit le Molière d’honneur en 2014 et le Globe de cristal du meilleur comédien en 2018 pour Tartuffe, mis en scène par Michel Fau au théâtre de la Porte Saint-Martin.

Vie privée
Michel Bouquet a été marié à Ariane Borg (1915-2007), elle-même comédienne. Ils se sont séparés en 1967, puis ont divorcé. Il a épousé en 1970 Juliette Carré, qui a été sa partenaire sur scène de multiples fois. Il n’a pas de lien de parenté avec la comédienne Carole Bouquet.

Au cours d’une interview, il déclare : « Je suis un anarchiste calme », voulant ainsi éclairer malicieusement l’image que les médias donnent de lui, celle d’une personne calme, voire austère, autant par son physique que par son langage, destiné le plus souvent à représenter la loi et l’autorité.

En septembre 2018, à la suite de la démission de Nicolas Hulot, il signe la tribune contre le réchauffement climatique intitulée Le Plus Grand Défi de l’histoire de l’humanité, qui paraît en « une » du journal Le Monde avec pour sous-titre « L’appel de 200 personnalités pour sauver la planète ».

Il meurt le 13 avril 2022, dans un hôpital parisien.

Source : Wikipedia