—Par Dominique Daeschler —
« Le Canard sauvage », texte d’Ibsen, Adaptation et m.e.s. T Ostermeier
Thomas Ostermeier est à son aise dans l’univers confiné d’Ibsen, celui du 3théâtre de Chambre, où tout se rétrécit pour piéger les protagonistes dans leurs non-dits. Petit à petit des secrets bien gardés sont révélés par Gregers le fils de famille pour qui la vérité est une éthique qui ne peut apporter que le meilleur : la famille des Ekdal en sera détruite. La bourgeoisie est analysée comme une décadence, soumise au pouvoir de l’argent qui doit tout résoudre, sans affect, sans culpabilité.
De façon assez didactique, Thomas Ostermeier crée un décor tournant, salon des riches d’un côté où Werle célèbre par une fête le retour de Gregers, de l’autre le studio de photo- cuisine- salon d’un ancien camarade de classe dont le père a été un proche collaborateur de Werle avant d’ être ruiné par une affaire qui l’a conduit en prison. Les pauvres sont à la merci des riches : commandes, pension…Bientôt l’action se resserre sur le seul lieu de vie des pauvres car Gregers vient habiter chez les Ekdal, afin de distiller son amour de la vérité. Là, Femme et fille laissent au mari et père ses illusions sur le travail d’une découverte qui doit tout révolutionner et acceptent leur vie difficile avec des commandes de photos au jour le jour .Hedvige la fille, qui veut faire des études a de gros problèmes de vue. Elle apparait comme la plus sensée de cette famille dysfonctionnelle où père et grand-père s’alcoolisent tirent sur des animaux en peluche pour garder l’illusion de la chasse tout en soignant, objet transitionnel s’il en est, un canard sauvage.
Gregers qui joue l’incruste révèle qu’ Edvige est le fruit d’une liaison entre la mère de cette dernière et Werle. De ce dernier elle aurait hérité une maladie oculaire qui peut conduire à la cécité.
Reviennent, en boomerang, tout ce qui a été fait pour la dépendance des Ekdal, le mariage du père de cœur d’Hedvige, les commandes, la pension du grand père.
Dans une arrière-cour, un canard blessé reflète les maux de la famille Ekdal et sans doute l’espoir d’une guérison. On ne croit pas à l’amour de la vérité de Gregers, il apparaît aussi comme un homme névrosé, rigide, n’ayant pas résolu ses problèmes d’Œdipe. Son comportement est pervers, sans affect. S’il dit à Hedvige que son propre père est son père biologique, il ne lui dit à aucun moment qu’il est son demi-frère, entrant lui aussi, dans le non-dit. Poussant Hedvige à tuer le canard, objet transitionnel, alors qu’elle affirme son amour pour celui qui l’a élevé, il fait d’une pierre deux coups : le père de cœur définitivement humilié veut partir er renie « sa » fille qui perd les pédales, alors qu’elle est la seule à donner de l’importance à l’affection. La vérité ,érigée en vertu, détruit toute la famille, le père de Gregers partant loin laissant encore de l’argent pour Hedvige – comme une reconnaissance implicite pleine de morgue. La dignité est bafouée, quand Hedvige se donne la mort, Gregers reste les bras ballants et sa perversité rejoint celle de son père.
Ostermeier distille sa violence mais elle s’enlise dans une mise en scène trop classique. C’est le spectateur qui fait le travail de tout détricoter et de prendre un point de vue. On retiendra une équipe d’acteurs talentueuse particulièrement dans les rôles de Gregers et Hedvige.
« Made in France », texte S.Vanti et P.E. Forget
— Par Dominique Daeschler —
De grands panneaux gris sur roulettes, font murs pour fermer, donner de la profondeur à la scène, tout en jouant parfois les boucliers : Emile en prison a obtenu une peine aménagée. Il doit travailler le jour en usine avant de rejoindre le centre pénitentiaire le soir. Emile découvre une usine menacée de fermeture et des enjeux politiques et économiques qui le dépassent : l’élection présidentielle, la défense de l’environnement, les règles d’un holding, celles de la reprise, les ambitions personnelles, le calcul, le profit, les magouilles… Tous pourris ? C’est combine à tous les étages, il faut savoir retourner sa veste et être du côté de celui qui risque de gagner et dont on pourra profiter. Une série de quiproquos l’amènent à se faire passer pour le délégué syndical de la boîte. Il apprend vite : délocalisation, mensonges à variable, nationalisation, licenciements, primes, changement de cap avec malfaçons volontaires. Sans oublier les intérêts internationaux : chantage se dit aussi diplomatie. Chacun pousse ses pions, du président au ministre, du ministre au chef de cabinet, du patron au délégué syndical etc.
Les dialogues sont rondement menés, percutants dans leurs similitudes avec des situations économiques françaises vécues. Le pastiche est féroce, prenant dans un mouvement permanent des allures de comédie de boulevard où se démène Emile qui veut voir sa famille et ne rentrer que le soir au centre pénitentiaire. Sera-t-il happé par cette ambiance délétère ?
L’analyse d’un fait social qui devient une « affaire » politique démontre que sauver l’emploi devient secondaire…La batterie rythme avec énergie cette démonstration d’ économie libérale sans scrupules…Ah les enjeux ! Comme disent les diplomates : voilà une affaire réglée certes mal réglée mais réglée.
Le 11. 12h.Jusqu’au 24 juillet. Relâche le 18.
« Faire commune », texte Garance Guierre, Leonor Stirman, m.e.s. G.Guierre
— Par Dominique Daeschler —
La toute jeune compagnie Megalocheap s’empare de l’histoire du mouvement ouvrier en prenant pour terrain l’évolution de Malakoff ,au départ simple faubourg. A travers de grands moments : la Commune de Paris, le Front Populaire, la Résistance et le CNR, la grève des mineurs de 1963 sont valorisés des parcours de militants de l’ombre qui ont su affirmer solidarité et responsabilité. Qui sait que Malakoff fut la première municipalité ouvrière en 1925 et qu’ une femme Augustine Variot y fut même élue alors que les femmes n’avaient pas le droit de vote ? Qui connaît Luce Gerber agent de liaison du Colonel Fabien pendant la Résistance ?La solidarité de la population de Malakoff prenant en vacances les enfants des mineurs de la grève de 1963 fait encore exemple … Cinq actrices et acteurs sont au service de ce récit, illustré en noir et blanc par des photos d’époque sur écran. Des chaises, un piano numérique constituent un matériel succinct dont s’emparent les comédiens qui racontent et chantent (de très belles polyphonies). C’est sans emphase, clair, bien enchaîné, joyeux, abordant de façon ludique la citoyenneté et les questions sociales . Visiblement c’est le champ de travail privilégié de la compagnie qui dans ses ateliers travaille sur le collectage, l’écriture de fictions documentaires. Une réussite.
Théâtre de l’arrache-cœur, du 5 au 26 juillet, relâche les 16 et 23