Le bilan désasteux d’AMJ : réponse à Jean Crusol

— Par Michel Branchi, Economiste et ancien Commissaire de la Concurrence et des Prix

Ce texte nous est transmis par Michel Branchi, économiste et membre du Bureau politique du PCM. Politiques Publiques n’avait pas en son temps reçu ni publié le texte de Jean Crusol, auquel Michel Branchi fait référence. Vous le retrouverez, pour une lecture complète, dans la seconde partie de cet article.

Une contre-vérité scientifique : La Région Martinique n’a pas « cassé la croissance économique ».

chiffres Afin de rendre le président de la Région sortant responsable de la crise que vit le pays, son concurrent direct a utilisé les services de Jean Crusol, agrégé d’économie, ancien premier secrétaire départementaliste de la Fédération socialiste ayant voté contre la collectivité unique en décembre 2007. Ce dernier a produit un libelle virulent intitulé « le bilan désastreux du président sortant de la Région Martinique diffusé sur internet et dans « Le Progressiste » (n° 2010 du 3 mars 2010).

Le professeur Jean Crusol accuse Alfred Marie-Jeanne d’avoir « cassé la croissance économique de la Martinique », notamment en ayant réduit l’investissement régional de 10 % au début de sa première mandature en 1998 et 1999 et en ayant choisi de rembourser la dette régionale en deux ans, soit 137 millions d’euros. Et de comparer l’évolution du Produit Intérieur Brut (PIB= Richesse globale) de la Martinique à celui de la Guadeloupe qui, de supérieur qu’il était en 1998 (5 milliards d’euros contre 4,8 milliards d’euros), a été dépassé en 2008 par celui de la Guadeloupe (7,6 milliards d’euros contre 7,8 milliards d’euros).

S’il y a un principe que l’on enseigne en économie comme dans toute science, c’est que lorsque deux phénomènes (ou deux variables) se produisent en même temps, c’est qu’il n’y a pas nécessairement un lien de cause à effet entre eux. C’est pourtant ce que fait le professeur Jean Crusol en attribuant à la Région seule la baisse de la croissance en 2000 et son recul en 2008.

Et dans ce cas l’économiste éminent qu’est Jean Crusol ne peut l’ignorer.

La première donnée à prendre en considération est le poids de la dépense régionale dans l’économie mesuré par la part des dépenses de la Région y compris l’investissement régional dans le fameux produit Intérieur Brut (PIB) qui s’élève à 7 600/7 800 millions d’euros. Ainsi, en 2008, les dépenses régionales se montaient à 300 millions d’euros. Cela ne représentait que 3,9 % du PIB martiniquais. Par contre, les dépenses de l’Etat s’élevaient à 2 800 millions d’euros et donc pesaient 37 % du PIB, soit plus de neuf fois plus. Le rôle de la Région dans la croissance comme dans la récession est donc mineur sinon marginal, quoi qu’en dise le challenger du sortant qui veut faire croire qu’il va résoudre tous les problèmes martiniquais. La Région ne peut que contribuer à la relance et plus globalement au développement en s’efforçant d’agir sur les structures, c’est-à-dire sur le moyen et long terme.

Premier moteur de l’économie : la consommation des ménages

A ce propos, Serge Letchimy n’hésite pas à rendre la Région responsable de la récession historique qui a frappé la Martinique en 2008 (- 0,3 %), la première depuis 1946.

Il faut savoir que le principal moteur de la prétendue croissance de la Martinique est la consommation des ménages (4,8 milliards en 2007, soit 61,5 % du PIB) et qu’elle a stagné en 2007 et reculé de 0,3 % en 2008, selon les données publiées par le CEROM (comptes rapides pour l’Outre-mer-Insee- bulletin n° 11 de septembre 2009). Elle contribue au recul du PIB de 0,2 % sur les 0,3 % de baisse de 2008. La consommation des ménages a reculé depuis 2005 parce que le pouvoir d’achat a baissé confronté qu’il a été au freinage des salaires (notamment du fait de la politique salariale du pouvoir de droite dans la fonction publique) et à la hausse des prix (pétrole brut, produits alimentaires, etc). Tous facteurs qui dépendent, de la politique du gouvernement, du contexte international et des décisions du patronat et des banques.

L’investissement (1,9 milliard d’euros en 2007) a aussi reculé en 2008 (- 2,5 %) et ce sont les investissements des ménages (habitat) et des entreprises qui ont ralenti en .2008. explique le Cerom.

Les dépenses de l’Etat (2,8 milliards d’euros) en 2008 ont reculé de 1,5 % et ses prélèvements (impôts) dans l’économie ont augmenté de + 11 %. Effet récessif déterminant de la politique néolibérale de Sarkozy.

Quant à la comparaison avec la Guadeloupe, il faut le dire d’emblée, le PIB des deux pays tient dans un mouchoir de poche à 200 millions d’euros près (+/- 2,5 %) : 7,6 milliards d’euros pour la Martinique contre 7,8 milliards d’euros pour la Guadeloupe en 2008. Mais surtout on s’aperçoit que ces comparaisons sont dérisoires, car le véritable moteur de la pseudo-croissance des deux économies est la dépense de l’Etat et donc la consommation et non principalement les dépenses des entités régionales et leur niveau d’investissement comme cela est affirmé faussement .

Même cause, même effet : en 2008, avec certes un décalage par rapport à la Martinique, l’économie de la Guadeloupe amorce un recul.

Le Cerom (bulletin n° 12 de septembre 2009) écrit à propos de la Guadeloupe : « En 2008, le premiers signes de la crise se font sentir en cours d’année/ le Produit Intérieur brut (PIB) guadeloupéen progresse encore de 1,1 % en monnaie constante, mais c’est le plus mauvais chiffre de ces dernières années… Le repli de l’activité est principalement du à la diminution de la demande intérieure. L’investissement, principal moteur de la croissance en 2007, a fléchi, et la consommation des ménages s’est essoufflée ». La note du Cerom fait aussi état pour la Guadeloupe de l’érosion du pouvoir d’achat des consommateurs guadeloupéens, de tensions inflationnistes, de dégradation du marché du travail qui pèse sur la consommation des ménages, de déséquilibre croissant des échanges extérieurs avec la chute des exportations, de repli de l’activité touristique (baisse du nombre de clients des hôtels de 24 %) et de repli du BTP avec l’incertitude comme en Martinique sur l’évolution des dispositifs de défiscalisation.(baisse du nombre de logements autorisés à la construction de 20,5 %). La Guadeloupe entrait en 2008 en récession et cela a abouti au mouvement de janvier –février 2009 du LKP.

Gageons que 2009 va se traduire aussi par une récession en Guadeloupe comme en Martinique quand on disposera des données.

Martinique et Guadeloupe : une même dépendance à l’égard des transferts publics

Par conséquent, opposer une Guadeloupe vertueuse et dynamique à une Martinique frileuse et archaïque est un procédé trompeur de brouillage. Les deux pays sont des néocolonies dont l’économie, dépendantes et artificielle, est basée sur la consommation et l’importation.

S’agissant de l’investissement régional, précisons qu’en 2009 il se montait à 404 euros par habitant en Martinique contre 374 euros par habitant en Guadeloupe. Et encore dans les 374 euros par habitant il y a en Guadeloupe 58 euros par habitant de remboursement d’emprunt et zéro en Martinique. L’investissement régional donc été en 2009 supérieur de 28 % en Martinique.

Par contre, la pression fiscale globale régionale en Martinique est inférieure (rapport entre recettes fiscales totales et potentiel fiscal total) à celle de la Guadeloupe : soit de 0,95 alors qu’en Guadeloupe elle est de 1,09, c’est-à-dire supérieure à la moyenne française située à 1. Par exemple, le taux de la taxe professionnelle régionale est de 1,94 % en Martinique contre 2,50 % en Guadeloupe et 2,83 % en moyenne française. Même chose pour la taxe sur les carburants plus forte en Guadeloupe qu’en Martinique, ce qui, soi dit en passant explique pourquoi le prix du carburant est plus élevé dans l’île sœur en dépit des affirmations mensongères de Victorin Lurel.

Conclusion : en économie on peut faire mentir les chiffres. Le plus grave est de se mentir à soi-même. Ce qui est vrai c’est que, gérée par des élus conséquents, la Région peut constituer un espace de résistances et d’initiatives locales au service des travailleurs et de la population. pour l’amélioration de leurs conditions de vie. Elle peut coordonner les actions anti-crise de relance et donner le coup de pouce décisif.

Mais faire porter à la Région Martinique la responsabilité de la baisse de la croissance et de la récession de 2008 est particulièrement malhonnête au plan moral et surtout erroné au plan de l’analyse économique et donc politique. C’est ignorer le rôle déterminant de l’Etat dans l’évolution de l’économie martiniquaise et donc ne pas s’adresser à la bonne porte.

Mais, à l’évidence, il ne s’agit pas d’ignorance mais d’instrumentalisation de l’économie au service d’une cause politicienne pour la conquête du pouvoir local par un universitaire qui aurait du garder une certaine hauteur.

Aujourd’hui les marges de manœuvre dont dispose la Région en raison de sa gestion sérieuse peuvent lui permettre de contribuer à impulser une politique de relance de la commande publique et soulager le monde du travail et de l’entreprise.

Michel Branchi

Economiste

Membre du bureau politique du PCM

Publié le 17/03/2010