… de l’aménagement du créole en Haïti
— Par Robert Berrouët-Oriol (*) —
« L’État garantit le droit à l’éducation » (…) « L’éducation est une charge de l’État et des collectivités territoriales » (…) « La première charge de l’État et des collectivités territoriales est la scolarisation massive, seule capable de permettre le développement du pays. L’État encourage et facilite l’initiative privée en ce domaine. » (Constitution de la République d’Haïti, 1987. Chapitre II – Des droits fondamentaux. Articles 32, 32.1, 32.2).
Dans le remarquable livre de référence provenant de sa thèse de doctorat en éducation et intitulé « Le pouvoir de l’éducation – L’éducation en Haïti de la colonie esclavagiste aux sociétés du savoir » (Éditions Zémès, 2015), Charles Tardieu met en lumière, au chapitre IV, la « Genèse de l’éducation en Haïti : de 1492 à1796 ». Il situe cette genèse dans un contexte de rivalités et d’opposition entre divers secteurs et factions de la société saint-dominguoise et il expose le rôle primordial qu’occupaient déjà les institutions religieuses. Au chapitre VI.1.2. du livre, l’auteur expose que « Le gouvernement de Dessalines (1804-1806) légifère (…) pour contrôler l’instruction privée puisque l’État n’a pas les moyens de la prendre à sa charge ». Il rappelle au chapitre VI.1.3. que « Dans le royaume de Christophe [situé dans la région Nord d’Haïti], l’éducation est organisée et strictement contrôlée par l’État. Pour organiser le système d’éducation, [Christophe] fait appel à la British and Foreing School de Londres » qui a fondé au Cap le Collège Royal en 1816 et y a dépêché des enseignants Lancastériens. Poursuivant l’étude de la genèse de l’éducation en Haïti, Charles Tardieu précise que « Dans le Sud, l’optique de Pétion diffère en matière d’éducation. (…) La Constitution, qu’il fait voter en 1816, prévoit une instruction publique, commune à tous les citoyens, gratuite à l’égard des parties d’enseignement indispensable pour tous les hommes et dont les établissements seront distribués graduellement dans un rapport combiné avec la décision de la République (Brutus, 1948 : 57) ». L’auteur rappelle que Boyer, ayant réuni le Nord et le Sud du nouvel État, fit voter la loi du 4 juillet 1820 selon laquelle il fut décidé « qu’il serait établi aux frais de l’État quatre école primaires destinées à l’instruction gratuite élémentaire des enfants des citoyens qui auront rendu des services à la Patrie (Pressoir, 1935 : 37) ». Tardieu souligne le caractère plutôt déclaratif de cette loi tout en rappelant que l’Histoire a retenu que Boyer, du haut de son autocratie obscurantiste, a procédé à la fermeture brutale de l’Université de Santo Domingo en 1824. En effet, « Au cours de son long règne de 25 ans, le président Boyer procède à la fermeture de l’Université de Santo Domingo mais aussi déclare que « créer des écoles c’est ensemencer la révolution ». Alors qu’en 1820, 80% des sénateurs et plus de la moitié de la Chambre des députés sont illettrés, le président Boyer affiche ouvertement sa politique obscurantiste et son aversion pour le livre et la connaissance. Il fait fermer nombre d’écoles que le roi Henry Christophe avait ouvertes dans le Nord » (voir l’article « Haiti : La pensée émancipatrice doit appuyer la conscience publique (deuxième partie) », par Leslie Péan, AlterPresse, 30 mai 2010). NOTE 1 – Fermée par le président Boyer, la première université du nouveau monde, la Universidad Santo Tomás de Aquino (future Universidad Autónoma de Santo Domingo, UASD), a été fondée dans ce pays par le Pape le 28 octobre 1538. Elle est restée pendant longtemps la seule institution d’enseignement supérieur du pays, jusqu’à la création, en 1962, de la Pontificia Universidad Católica Madre y Maestra, PUCMM, dans la province de Santiago de los Caballeros. NOTE 2 – L’ouvrage d’Edner Brutus auquel se réfère Charles Tardieu s’intitule « L’instruction publique en Haïti » (tome I, Imprimerie de l’État, Port-au-Prince, 1948).
Pour sa part, le sociologue Louis-Auguste Joint a élaboré des études de premier plan sur la genèse et les caractéristiques sociologiques et politiques de l’École haïtienne au cours des ans. Il est l’auteur, notamment, de l’étude « L’école dans la construction de l’État » édité dans le livre collectif « Genèse de l’État haïtien (1804-1859) » et paru sous la direction de Michel Hector et Laënnec Hurbon (Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2009). Dans cet article au long cours et amplement documenté, il passe en revue la conception de l’instruction publique portée par Dessalines, Pétion, Christophe, Boyer, etc. Au chapitre « Impacts de la « révolution de 1843 » sur le système scolaire », il expose que « La « révolution de 1843 » jeta les bases d’une organisation plus large de l’enseignement. Elle associait la commune au développement de l’école, mettait fin aux restrictions de Pétion et Boyer concernant la fréquentation scolaire en l’étendant à tous les enfants sans distinction de classe et de sexe. L’article 31 de la Constitution de 1843 stipulait : « L’enseignement est libre et les écoles sont distribuées graduellement en raison de la population. Chaque commune a des écoles primaires de l’un et de l’autre sexe, gratuites et communes à tous les citoyens. » De plus, selon l’arrêté du 8 juillet 1843, « un jour de la semaine sera consacré dans les locaux des écoles tant urbaines que rurales pour l’instruction gratuite de toutes personnes qui voudront acquérir les premiers éléments de la lecture, de l’écriture et du calcul ». Ces déclarations manifestaient l’intention des dirigeants d’alphabétiser le peuple haïtien, de généraliser l’instruction, dans la mesure où ils voulaient ouvrir l’école une fois par semaine à toutes les personnes désireuses de s’instruire. Ainsi, la « révolution de 1843 » semblait désirer apporter une nouvelle orientation au système éducatif. Elle voulait établir les écoles progressivement dans les communes en fonction du nombre de la population et non en fonction des « décisions de la République », entendues comme les décisions des dirigeants. C’était le signe d’une prise en compte des besoins de la population. On précisait aussi que les écoles étaient « gratuites et communes à tous les citoyens ». On enlevait ainsi la restriction légale établie par Pétion et Boyer réservant l’école à une catégorie de citoyens. La séparation des sexes était conservée, cependant l’école primaire publique profitait aux garçons comme aux filles, comme si on voulait faire disparaître l’inégalité des chances scolaires entre les sexes. Enfin, cette révolution voulait réparer une injustice sociale en projetant d’ouvrir des écoles rurales pour les enfants des paysans. Les « révolutionnaires de 1843 » envisageaient aussi l’alphabétisation des adultes en voulant leur ouvrir les écoles existantes une fois par semaine. Ils voulaient donc appliquer une politique démocratique de l’éducation. Comment allaient-ils s’y prendre pour atteindre cet objectif ? (…) En janvier 1844, le président Rivière Hérard qui remplaçait Boyer créa le ministère de l’Instruction publique et le confia à la direction d’Honoré Féry qui fut à la fois secrétaire d’État de la Justice, de l’Instruction publique et des Cultes. Les tentatives de réforme d’Honoré Féry se situaient dans la logique de la « révolution de 1843 » qui voulait répondre aux revendications populaires. Faisant le bilan du système d’enseignement en 1844, le ministre Féry concluait : « L’Instruction publique est à recréer toute entière parmi nous. » (…) En résumé, sous les gouvernements des cinq premiers dirigeants et fondateurs de la nation haïtienne, les bases du système éducatif d’Haïti étaient posées. Ce nouveau système, basé sur la logique d’inégalité des chances scolaires, allait jouer un rôle déterminant dans la construction d’un État et d’un système de relations fondé sur les inégalités sociales. L’application d’une politique inégalitaire profilait deux catégories de citoyens. D’un côté, les fils et filles des héros de la patrie considérés comme des « ayants droit » à l’instruction ; de l’autre, les exclus de l’école, enfants des paysans que l’on condamnait à l’analphabétisme et au travail de la terre. Et parmi les enfants privilégiés, il y avait aussi une inégalité entre les sexes : les garçons avaient droit de fréquenter les écoles nationales publiques, les filles étaient reléguées aux écoles privées. D’autre part, dans ce système éducatif, une place absolue était réservée à l’usage de la langue française et de la religion chrétienne, appelées à véhiculer les valeurs de la civilisation occidentale ; tandis que l’usage du créole était sous-estimé et le vodou refoulé dans un permanent absent-présent » (Louis-Auguste Joint, « L’école dans la construction de l’État », ibidem).
La réforme Bernard de 1979 et la problématique de la professionnalisation du métier d’enseignant
Le linguiste Renauld Govain consigne lui aussi un pertinent éclairage analytique sur la minorisation institutionnelle du créole et l’usage dominant du français dans l’École haïtienne. Abordant la thématique de l’inclusion, il expose que « L’éducation inclusive en Haïti passe par la prise en compte du créole haïtien comme langue d’enseignement notamment au niveau fondamental où le français est une langue étrangère pour la majorité des apprenants qui en font la connaissance à l’école même. Dans ce contexte, le français constitue pour la plupart des élèves un handicap si l’on considère ce dernier comme toute situation qui empêche l’apprenant de bien progresser, d’utiliser au mieux toutes ses capacités, de s’engager pleinement dans son apprentissage en mettant à contribution toutes ses potentialités, physiques, émotionnelles, psychomotrices, etc. (Govain, 2022). La réforme éducative de 1979 a tenté de corriger cette injustice cognitive (au sens de Sousa Santos, 2011), mais n’y est pas parvenue. Cette réforme avait visé les sept objectifs spécifiques suivants pour sa mise en œuvre et sa réussite : 1) éradiquer l’analphabétisme à l’horizon de l’an 2000 ; 2) rendre accessible au plus grand nombre possible d’enfants l’éducation de base ; 3) rationaliser les modes de gestion et le fonctionnement du système ; 4) renouveler la pédagogie ; 5) dynamiser le personnel enseignant ; 6) adapter et moderniser les contenus d’enseignement ; 7) intégrer l’enseignement technique à l’enseignement général (tirés de Jean, 2008 : 20-21). Plus de 40 ans après le lancement de la réforme, pas un seul de ces sept objectifs spécifiques n’a pu être atteint, l’État n’y ayant peut-être pas eu foi et n’ayant pas déployé les moyens de sa mise en œuvre » (Renauld Govain, « De la crise de l’éducation à l’éducation à la crise en Haïti », revue Études caribéennes, décembre 2023). Cette étude de Renauld Govain, à l’instar de plusieurs autres documents en lien avec la professionnalisation du métier d’enseignant, ne comporte pas de données factuelles sur une telle problématique. Cela s’éclaire aisément sur le plan historique : la réforme Bernard de 1979 n’a pas ciblé la professionnalisation du métier d’enseignant et elle est surtout synonyme dans le secteur éducatif haïtien de premier dispositif d’enseignement du/en créole.
La réforme éducative de 1979, communément appelée « Réforme Bernard », a été officiellement lancée le 18 septembre 1979 par la promulgation de la « Loi autorisant l’usage du créole comme langue instrument et objet d’enseignement » (voir Charles Tardieu, « Le pouvoir de l’éducation » Éditions Zémès, 2015, p. 199). Cette loi a été suivie, le 30 mars 1982, par le « Décret organisant le système éducatif haïtien en vue d’offrir des chances égales à tous et de refléter la culture haïtienne » dont les articles 29, 30 et 31 portent spécifiquement sur les langues créole et française. On reconnaît que le créole est langue d’enseignement et langue enseignée tout au long de l’École fondamentale, mais que le français, enseigné tout au long de l’École fondamentale, devient la langue d’enseignement à partir de la sixième année. En dépit du fait que la réforme Bernard a été torpillée par les grands caïds de la dictature duvaliériste, il est avéré qu’elle a conduit à de profonds changements dans la structure même du ministère de l’Éducation nationale alors même qu’elle est surtout connue pour avoir été la première intervention pédagogique et institutionnelle majeure de l’État haïtien dans le domaine de l’aménagement des langues au sein de l’École haïtienne. Pour la première fois dans l’Histoire du pays, la langue créole a accédé au statut de langue d’enseignement et de langue enseignée et la protection juridique accordée au créole constitue sans doute un legs majeur de la réforme Bernard en dépit du fait que cette réforme a été interrompue en 1987 sans avoir été généralisée à l’ensemble du pays. Le bilan exhaustif de la réforme Bernard reste à faire et il convient de rappeler, par-delà ses principaux acquis, qu’elle n’a pas légué à la postérité un modèle unique de didactique du créole langue maternelle. L’on observe qu’en dépit du travail pionnier et novateur effectué par l’Institut pédagogique national (IPN), les documents d’orientation pédagogique qu’il a élaborés, en nombre limité, n’offrent pas un cadre théorique et méthodologique de premier plan à hauteur des grandes ambitions de la réforme Bernard. De surcroît, l’on n’a pas retracé parmi les études produites par l’IPN un document ciblant de manière spécifique la didactisation du créole. NOTE — En ce qui a trait au bilan de la réforme Bernard, voir l’article « L’aménagement du créole en Haïti et la réforme Bernard de 1979 : le bilan exhaustif reste à faire » (par Robert Berrouët-Oriol, Le National, 16 mars 2021) ; voir aussi Michel Saint-Germain, de l’Université d’Ottawa, auteur de l’étude « Problématique linguistique en Haïti et réforme éducative : quelques constats »(Revue des sciences de l’éducation, 23/3, 1997) ; voir également Jean Louiner St-Fort auteur en 2016, à la Sorbonne, de la thèse de doctorat intitulée « Les politiques de la réforme éducative en Haïti, 1979 – 2013 : de la logique socioprofessionnelle des acteurs politico-administratifs à la situation des établissements scolaires du département de la Grand-Anse ». Pour une revue de l’officialisation de la graphie du créole en 1980 dans le contexte de la réforme Bernard, voir la synthèse de son processus institutionnel consignée dans l’article d’Albert Valdman « Vers la standardisation du créole haïtien » paru dans la Revue française de linguistique appliquée, 2005/1.
Les associations professionnelles d’enseignants au rendez-vous des luttes menées dans le système éducatif national
Une recherche documentaire à large spectre n’a pas permis de retracer des publications dédiées spécifiquement à la naissance et à l’action des associations professionnelles d’enseignants. L’émergence et l’action des associations professionnelles d’enseignants se donnent donc souventes fois à voir de manière éparse dans divers documents. Ainsi, l’on observe qu’« en 1941, Maurice Dartigue fut nommé ministre de l’Instruction. Il essaya de créer un corps enseignant compétent et des programmes de perfectionnement des cadres scolaires au point qu’on parle de « réforme Dartigue ». François Pierre Enocque, citant Charles Tardieu, souligne que « Dartigue lancera la plus importante réforme de l’enseignement en Haïti. Aucun secteur n’est négligé aux dépens de l’autre et tous les moyens sont mis à contribution pour aborder les problèmes sous tous les angles » (François Pierre Enocque, « Politique éducative et inégalités des chances scolaires en Haïti », Éditions de l’Université d’État d’Haïti, 2010).
Quelques instances associatives ont précédé l’arrivée au pouvoir de François Duvalier en 1957 : l’UNIH, l’Union des instituteurs haïtiens, l’UNMES, l’Union nationale des membres de l’enseignement secondaire (avec Marcel Gilbert, Klébert Vielot, Claude Moïse). Mais c’est au plus fort de la répression exercée par la dictature duvaliériste que l’on assiste au déploiement d’associations professionnelles d’enseignants haïtiens issues de la société civile : la lutte contre la dictature était alors conjointe aux luttes spécifiques du secteur de l’enseignement et les associations d’étudiants ont su faire jonction avec les organisations enseignantes (voir le livre de Leslie Péan, économiste et historien, « Entre savoir et démocratie — Les luttes de l’Union nationale des étudiants haïtiens sous le gouvernement de Duvalier », Éditions Mémoire d’encrier, 2010).
L’âge d’or du syndicalisme enseignant coïncide avec la défaite du nazillon Jean-Claude Duvalier en 1986 : la CNEH, la Confédération nationale des éducateurs haïtiens et la CEH, la Confédération des éducateurs haïtiens, déploient d’intenses activités syndicales à l’échelle nationale. L’on observe à l’époque que la CNEH a consenti de grands efforts en vue d’avoir une couverture nationale avec des associations communales et des fédérations régionales (Nord, Nord-Est, Sud, Centre, etc.) tout en mettant l’accent sur la formation académique et la formation syndicale. La formation syndicale des enseignants haïtiens a bénéficié de l’apport d’organisations enseignantes à l’échelle internationale, notamment la Centrale des enseignants du Québec et la Confédération mondiale des enseignants. La CNEH est ainsi devenue un partenaire institutionnel de l’État haïtien et du secteur privé, ce qui a entre autres permis d’aboutir à de meilleures conditions de travail, à la revalorisation du métier d’enseignant et à des ajustements de salaire.
L’une des sources documentaires consultées précise qu’« Entre 1958-1960, la lutte revendicative ouvrière se déroule dans un cadre où d’autres organisations démocratiques comme celles des professeurs, des instituteurs, des employés de la banque et des étudiants livrent également la bataille pour la sauvegarde de leurs intérêts et l’élargissement de leurs droits. Tout le poids de la lutte pour la défense des droits des travailleurs va reposer sur le syndicalisme démocratique. Cette réapparition du syndicalisme démocratique paraît se renforcer avec l’installation de nouvelles entreprises. Car leur fonctionnement va provoquer une augmentation en nombre des ouvriers. De nouveaux syndicats apparaissent; un nouveau concept apparaît, celui de l’unité. (…) Les organisations les plus combatives au cours de ce premier moment étaient celles des professeurs et surtout des étudiants. Les grèves les plus importantes provenaient de ces secteurs » (Léonel Pierre, « Le mouvement syndical haitien : luttes et conquêtes dans le secteur de l’éducation 1986-2000 » (mémoire de licence, INHAGEI / Université d’État d’Haiti, n.d.).
Sur le mode d’une synthèse analytique assortie de la présentation du rôle des associations d’enseignants, l’une des sources documentaires consultées expose que « Pendant le régime de François Duvalier, les associations d’enseignants haïtiens étaient étroitement contrôlées et souvent réprimées. Le gouvernement de Duvalier, connu pour son régime autoritaire et sa répression politique, a transformé les syndicats et les associations en instruments de son pouvoir, les utilisant pour promouvoir sa propagande et contrôler l’activité syndicale. Les enseignants qui contestaient le régime étaient sujets à la persécution, à la violence, à l’emprisonnement, voire à l’assassinat. »
« En Haïti, l’émergence des associations d’enseignants s’inscrit dans un contexte de défis majeurs pour le système éducatif, marqué par une crise profonde et une demande croissante de réforme. Ces associations, souvent impulsées par la société civile, visent à améliorer les conditions de travail des enseignants, à promouvoir une éducation de qualité et à influencer les politiques éducatives.
« Contexte et défis
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Crise de l’éducation
Le système éducatif haïtien est confronté à de nombreux problèmes, notamment un faible investissement public, une prédominance du secteur privé, et un manque de formation des enseignants.
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Inégalités
L’accès à une éducation de qualité est inégal, avec des disparités entre zones rurales et urbaines, et une forte proportion d’enfants non scolarisés.
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Conditions de travail
Les enseignants haïtiens subissent des salaires insuffisants, des conditions de travail précaires, et un manque de reconnaissance de leurs droits.
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Problèmes de gouvernance
Le secteur éducatif souffre de faiblesse de la gouvernance, d’absence de politiques éducatives efficaces, et d’un manque de continuité dans les actions de l’État.
Rôle des associations d’enseignants
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Défense des droits des enseignants
Les associations jouent un rôle essentiel dans la défense des droits des enseignants, notamment en matière de salaires, de conditions de travail, et de formation continue.
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Promotion de l’éducation de qualité
Elles s’efforcent d’améliorer la qualité de l’enseignement en proposant des formations, en participant à l’élaboration de programmes scolaires, et en plaidant pour un meilleur accès à l’éducation pour tous.
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Influence sur les politiques éducatives
Les associations d’enseignants cherchent à influencer les décisions politiques en matière d’éducation, en participant à des dialogues avec les autorités et en proposant des solutions pour améliorer le système éducatif.
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Mobilisation sociale
Elles jouent également un rôle de mobilisation sociale, en sensibilisant le public aux enjeux de l’éducation et en encourageant la participation citoyenne.
Exemples d’initiatives
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Formations continues
Des initiatives sont mises en place pour offrir des formations continues aux enseignants, notamment dans des domaines comme la technologie éducative et la pédagogie.
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Projets de réforme
Les associations participent à des projets de réforme du système éducatif, comme la réforme curriculaire.
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Plaidoyer
Elles mènent des actions de plaidoyer auprès des décideurs politiques et de la communauté internationale pour attirer l’attention sur les problèmes de l’éducation en Haïti et demander des changements.
Conclusion [du document cité]
Les associations d’enseignants en Haïti sont des acteurs clés dans la lutte pour une éducation de qualité et un système éducatif plus équitable. Leur rôle est crucial pour faire entendre la voix des enseignants, pour promouvoir une réforme du système éducatif et pour garantir le droit à l’éducation pour tous les enfants haïtiens. » (Léonel Pierre, « Le mouvement syndical haitien : luttes et conquêtes dans le secteur de l’éducation 1986-2000 » (mémoire de licence, INHAGEI / Université d’État d’Haiti, n.d.).
L’évocation de la genèse de l’éducation en Haïti –à l’aide des contributions majeures de Charles Tardieu et de Louis-Auguste Joint–, permet d’exemplifier et d’actualiser un constat primordial : le système que l’on désignait autrefois par le vocable l’instruction publique a été caractérisé dès ses débuts par (1) le désengagement de l’État au profit du secteur privé et religieux ; (2) la conception élitiste de l’instruction publique ; (3) le fait que l’État, en dépit de quelques lois plutôt déclaratives qui ont été votées durant les premières années, n’exerce pas véritablement le contrôle de l’éducation. Ces caractéristiques systémiques ont perduré au cours des ans et, plus de deux siècles après l’Indépendance de 1804, l’État haïtien ne finance et n’administre qu’environ 20% du système éducatif national. Ces caractéristiques de l’École haïtienne ont été rigoureusement examinées et actualisées par le Groupe de travail sur l’éducation et la formation en Haïti (GTEF) dans son rapport intitulé « Façonnons l’avenir » publié en mars 2009. Dans ce document le Groupe de travail sur l’éducation et la formation en Haïti (GTEF) consigne en effet des données analytiques de premier plan, notamment aux chapitres 4.4 « La problématique des langues » et 4.5 « La carence de ressources humaines qualifiées ». De manière générale, plusieurs aspects de ces données se retrouvent dans la « Feuille de route de la réforme curriculaire 2023-2030 » publiée en novembre 2023 par le ministère de l’Éducation nationale et le Bureau international de l’éducation (BIE) de l’UNESCO.
Les enseignants haïtiens avec lesquels nous échangeons régulièrement estiment que l’apprentissage scolaire en langue créole leur semble minoritaire et il varie d’une école à l’autre, d’un programme officieux à l’autre en fonction du statut des écoles –selon qu’elles appartiennent soit au secteur privé (80% de l’offre scolaire) soit au secteur public (20% de l’offre). Plusieurs enseignants estiment que l’École haïtienne est une institution à plusieurs vitesses où de nombreuses « écoles borlette » ont pignon sur rue en dehors de tout contrôle de l’État et ne suivent aucun programme officiel, en particulier en ce qui concerne l’enseignement en langue maternelle créole. Sur le registre de la qualification professionnelle des enseignants, ils pointent du doigt les grandes lacunes de formation d’un nombre élevé d’enseignants, et ce sentiment rejoint le diagnostic de Bernard Hadjadj, spécialiste de l’éducation et ancien Représentant-résident de l’UNESCO en Haïti, auteur d’un rapport très peu connu et peu diffusé, « Education for All in Haiti over the last 20 years : assessment and perspectives » (UNESCO Office, Kingston, décembre 2000). Dans ce rapport, Bernard Hadjadj expose qu’« En 2000, 53% des enseignants du secteur public et 92% des enseignants du secteur privé étaient non qualifiés ».
L’Asosyasyon pwofesè kreyòl ayisyen (APKA) face aux défis contemporains de l’aménagement du créole en Haïti
À bien prendre toute la mesure que le champ de l’éducation est à la fois le lieu de reproduction des rapports de pouvoir, de la représentation symbolique/idéologique de ces rapports ainsi que l’instance où se perpétue l’usage dominant du français adossé à la minorisation institutionnelle du créole, il est essentiel que la vision et les interventions des associations d’enseignants s’inscrivent dans une triple perspective : (1) la défense des intérêts des professionnels de l’enseignement, (2) la promotion d’une éducation citoyenne conforme de la Constitution de 1987 ainsi que (3) le plaidoyer pour l’aménagement constitutionnel du créole, aux côtés du français, conformément aux articles 5, 32 et 40 de la Constitution de 1987 (voir notre article « L’aménagement du créole aux côtés du français, à égalité statutaire, est une obligation inscrite dans la Constitution haïtienne de 1987 », Rezonòdwès, 6 juillet 2025).
L’on observe que l’Asosyasyon pwofesè kreyòl Ayiti –qui doit désormais être amplement soutenue au plan institutionnel et sur le registre de la formation qualifiante de ses membres–, a tout à gagner à bien calibrer ses interventions à l’aune du renouvellement et du renforcement de sa vision. Institution relativement jeune, l’APKA ne bénéficie d’aucune subvention de l’État haïtien ou d’une institution internationale et elle conduit ses activités en comptant uniquement sur les cotisations de ses membres. Les données statistiques n’étant pas encore disponibles, l’on peut pour l’heure mentionner, sous réserve d’une prochaine vérification, que ses membres, en majorité, travaillent en province dans les villes et communes du pays. À l’échelle internationale, l’APKA ne bénéficie pas encore d’accords de coopération avec des institutions du domaine de l’éducation telles que le Bureau international de l’éducation (BIE) de l’UNESCO, la Fédération internationale des professeurs de français et Fédération syndicale mondiale de l’éducation…
Forte de 327 membres, l’Asosyasyon pwofesè kreyòl ayisyen (APKA) est une institution nationale créée en 2017. L’APKA rassemble des enseignants détenteurs du Baccalauréat de fin d’études secondaires et pourvus d’au moins deux ans d’expérience dans l’enseignement des sciences humaines et/ou des sciences sociales.
Dans le document déposé par l’APKA au ministère des Affaires sociales le 24 septembre 2019, il est consigné ce qui suit :
« Chapit I- Non, dire, syèj sosyal ak mwayen aksyon yo
Atik 1. Non – Nan lide pou nou fè pwomosyon pou lang kreyòl ayisyen an an Ayiti tankou
aletranje, pou nou pote li nan yon nivo devlopman siperyè, nou fonde Asosyasyon pwofesè kreyòl ayisyen ki se yon Asosyasyon nasyonal.
Atik 2. Bi – Bi APKA se fè pwomosyon lang kreyòl la nan tout lekòl, inivèsite, legliz ak tout kote gen moun ki pale kreyòl. Deviz nou se : Ban nou lang nou.
Atik 3. Syèj sosyal – Syèj sosyal APKA se nan Pòtoprens, nan lokal Lise jèn fi. Dire lavi li se
pou toutan. APKA genyen Anèks nan plizyè komin ak depatman nan peyi a. Anèks yo fonksyone selon regleman jeneral yo ki pèmèt bon fonksyònman APKA. Konsèy administrasyon APKA a ka deside transfere lokal la nenpòt kote sou tèritwa nasyonal la si sa nesesè.
Atik 4. Misyon APKA – APKA se yon enstitisyon prive ki gen konpetans pou li travay sou tout zèv ki pwodui nan lang kreyòl ayisyen an epi ankouraje tout moun valorize lang kreyòl la. Logo nou se glòb terès la. Li gen kat Ayiti a, yon solèy sou tèt glòb la avèk yon plim ki senbolize tout moun ka ranmase konesans nan lang kreyòl la. Koulè ki sou anblèm nan se jòn abriko ak blan epi solèy la ki jòn.
Atik 5. APKA nasyonal la ki fòme ak APKA lokal yo se yon asosyasyon edikatif, kiltirèl, literè
ak syantifik ki ap ofri sèvis benevòl nan devlopman lang kreyòl la.
Chapit IV- Relasyon
Atik 9. APKA devlope relasyon patenarya ak lòt òganizasyon tankou lekòl, Inivèsite, ak lòt
òganizasyon ki ap travay nan menm bi avèk li. Epi li ofri sèvis li bay òganizasyon sa yo, yon
fason pou li pèmèt travay sansibilizasyon ak pwomosyon lang kreyòl la fèt pi byen.
Atik 10. APKA nasyonal la, ki fòme ak plizyè lòt anèks, se yon asosyasyon ki endepandan.
Li pa afilye nan okenn pati politik . Li pa asepte tou okenn deba sou politik ak relijyon sof
nan ka yon deba sou politik lengwistik pou mande leta a mete plis mwayen ak konpetans
pou ekilibre toulède lang yo nan sosyete a.
L’APKA est appelée –dans la concertation avec avec l’École normale supérieure et la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti–, à franchir l’étape d’une indispensable certification en didactique du créole langue maternelle. Une telle formation diplômante, dispensée durant une année, devra faire l’objet d’un rigoureux programme de formation des membres de l’APKA et un tel programme sur mesure comprendra deux volets majeurs : la didactique générale et la didactique du créole langue maternelle. Ce programme visera la professionnalisation du métier d’enseignant de créole tout en le légitimant dans le système éducatif national. Il contribuera également à l’élaboration d’un manuel standardisé de didactique du créole langue maternelle assorti d’outils audio appropriés ainsi que la production d’un guide du maître en didactique du créole langue maternelle. La direction de l’APKA sollicitera l’apport expert en enseignement de la didactique auprès du Département de didactique de l’Université du Québec à Montréal et auprès de la Faculté Jean Bernabé de l’Université des Antilles en Martinique.
L’APKA devra également prendre en compte une autre lacune de premier plan : quarante-six ans après la réforme Bernard, l’École haïtienne dispose de très peu d’outils lexicographiques élaborés selon la méthodologie de la lexicographie professionnelle. Elle a pourtant besoin d’outils lexicographique de haute qualité afin de dispenser un enseignement DU/EN créole de qualité à tous les niveaux. Il est donc souhaitable que l’Asosyasyon pwofesè kreyòl Ayiti envisage dès maintenant de mettre à disposition l’expérience de ses enseignants en vue de contribuer à l’élaboration du premier dictionnaire unilingue créole conforme à la méthodologie de la lexicographie professionnelle.
En définitive, l’un des défis majeurs de l’Asosyasyon pwofesè kreyòl Ayiti sera de contribuer à bâtir –dans la concertation avec la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti–, le leadership à la fois novateur et rigoureux de l’aménagement constitutionnel du créole en Haïti. Pour y parvenir, l’APKA devra se prémunir des verbeuses errances idéologiques et des différentes formes d’une « militance évangélisante », sectaire et dogmatique, qui tend à enfermer le créole dans l’enclos d’une fétichisation muséologique. Dans la perspective du partenariat entre les deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le créole et le français, la seule boussole devant guider l’APKA se trouve dans les sciences du langage, la jurilinguistique et la Constitution de 1987 (voir notre article « Partenariat créole/français – Plaidoyer pour le bilinguisme de l’équité des droits linguistiques en Haïti », Potomitan, 6 novembre 2019).
La perspective du partenariat créole-français trouve ses fondements jurilinguistiques dans les articles 5 et 40 de la Constitution haïtienne de 1987. Dans son « Préambule », le texte constitutionnel consigne la vision solidaire et citoyenne de l’État de droit en Haïti.
Le « Préambule » de la Constitution de 1987 s’énonce comme suit :
« Le Peuple Haïtien proclame la présente Constitution :
Pour garantir ses droits inaliénables et imprescriptibles à la vie, à la liberté et la poursuite du bonheur conformément à son Acte d’indépendance de 1804 et à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.
Pour constituer une nation haïtienne socialement juste économiquement libre et politiquement indépendante.
Pour rétablir un État stable et fort, capable de protéger les valeurs, les traditions, la souveraineté, l’indépendance et la vision nationale.
Pour implanter la démocratie qui implique le pluralisme idéologique et l’alternance politique et affirmer les droits inviolables du peuple haïtien.
Pour fortifier l’unité nationale, en éliminant toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes, par l’acceptation de la communauté de langues et de culture et par la reconnaissance du droit au progrès, à l’information, à l’éducation, à la santé, au travail et au loisir pour tous les citoyens. »
Montréal, le 13 juillet 2025
(*)Robert Berrouët-Oriol , Linguiste-terminologue, Conseiller spécial, Conseil national d’administration, du Réseau des professeurs d’universités d’Haïti (REPUH), Konseye pèmanan, Asosyasyon pwofesè kreyòl Ayiti (APKA)