« L’affaire Fanotte Ti Sonson » ou à chacun son théâtre

— par Roland Sabra —

Les comédiens de la troupe « Sa Sé Nou »

   Oh ce n’est pas un pièce de ce que l’on appelle « le répertoire » sous entendu celui de la Comédie Française. Ce n’est pas non plus un texte issu du théâtre d’interrogations métaphysiques. Les personnages sont outrés, un peu vulgaires, c’est parfois en-dessous de « mon cul sur la commode », mais n’en déplaisent aux précieux, aux délicats c’est quand même du théâtre. La troupe de théâtre amateur «  Sa sé Nou » l’annonce très clairement dans son titre elle a vocation à la satyre sociale. C’est dans cette tradition que s’inscrit « L’affaire Fanotte Ti Sonson » que nous avons pu voir en matinée samedi 21 mai au théâtre municipal de For-de-France. Résumons l’intrigue. Ti Sonson, Nestor Migere dans le rôle, est parti dans les fournées du Bumidom, travailler ans en France pendant quarante ans ; Il revient pour sa retraite avec l’intention de vivre aux crochets de sa vieille maman, mais voilà l’aide-ménagère, Fanotte incarnée par Marlène Loza, à dilapider le compte en banque de la maman. Un procès s’engage et vont défiler à la barre les témoins, tous favorables à Fanotte. Il n’y a pas eu d’enrichissement personnel, Fanotte a simplement distribué l ‘argent autour d’elle. Encore que si l’on voulait lui chercher des poux il serait facile de montrer que sa famille n’a pas été lésée  mors de cette distribution, c’est le moins que l’on puisse dire. La pièce écrite par Victoire Dufour, fourmille d’invraisemblances, d’erreurs de procédures, de fausse dénominations à commencer par ces « Votre honneur » adressés abusivement au président du tribunal, preuves vivantes de l’influence des séries étasuniennes dans la culture martiniquaise. Mais bon nous ne sommes pas dans une pièce réaliste. Il s’agit plutôt d’une exagération, d’une sorte d’affaire Bettencourt-Bannier aux Terres Sainville. Peut-on à l’approche de la soixantaine encore vivre aux dépens de sa mère ? Question qui ne semble pas dépourvue d’à propos en Martinique. Une mère peut-elle disposer librement de son argent sans en référer à ses enfants, Question qui déborde largement le cadre antillais.

Ces questions sérieuses sont traitées sur le mode de la bonne grosse farce populaire. La salle rit de bon cœur, commente à voix haute, donne des conseils, participe au spectacle en chantant avec les comédiens et n’hésite pas à les interpeller. Un comportement identique à celui du public populaire au 18ème siècle en Europe. Il y a une scène hallucinante dans le film « Wolfgang Amadeus » de Milos Forman qui va tout à fait dans ce sens. Quand ils évoquent ce comportement du public les dix-huitièmistes parlent quelques fois de « chaos ». Plus près de nous, dans un registre proche Yves Montant raconte ses débuts de chanteur à l’entracte dans un théâtre marseillais et comment le public faisait entendre son assentiment ou sa désapprobation d’une manière qui n’avait rien à voir avec les manifestations feutrées, policées, pour ne pas dire guindées qui sont celles des « théâtreux » d’aujourd’hui. Le théâtre et plus encore l’opéra comme culture de classe discriminante.

La troupe « Sa Sé Nou » présente un théâtre sans artifices, sans prétention. Apparemment sans prétention parce qu’en vérité il s’agit d’un théâtre qui pose les problèmes de société d’aujourd’hui, même si la façon de les poser heurte les esprits fins. Il a au moins le mérite de les formuler de façon critique et de sortir des interrogations nombrilistes dans lesquelles se complait une partie du théâtre professionnel martiniquais. Les comédiens de « Sa Sé Nou » sont totalement décomplexés. Ils composent des personnages avec une aisance de vieux routiers de la profession, n’hésitant pas à improviser par moment.  La scénographie, celle d’une salle d’audience, limite les jeux de scènes qui d’un personnage à l’autre se répètent, mais la démesure et encore une fois l’outrance  des personnages débordent ces considérations. L’osmose avec le public les dispense de de cabotiner, pas besoin de séduire le public : il l’est déjà.

A bien y regarder, quitte à devoir choisir entre, d’une part Courtes-Lignes qui ne cesse de chercher à imiter le théâtre de boulevard très français comme tout dernièrement encore dans « L’hôtel des deux mondes » et qui croit qu’il suffit de réciter un texte pour le jouer et d’autre part  le travail de la troupe « Sa Sé Nou » qui s’empare d’un texte martiniquais traitant d’une problématique martiniquaise sur un mode qui certes confond parfois populaire et populace avec des accents un peu grossiers, nous n’hésitons pas.

Un dernier mot sur « Les sardines grillées » de Jean-Claude Danaud avec Brigitte Villard-Murel et Juliette Mouterde dans une mise en scène de Valer Egouy . Et bien si les sardines étaient grillées elles n’en n’étaient pas pour autant à point. La qualité du travail de Egouy est très visible dans le jeu de Villard-Murel dans le rôle de Solange. La transformation du personnage tout au long d’un travail d’affirmation du personnage est saisissante, du coup la fragilité de la  comédienne qui tient le rôle de Victoire n’en n’est que plus évidente. Elle décroche vite de son rôle et se regarde jouer comme absente à elle-même. Peut-être aurait-il fallu la lester davantage des attributs traditionnels d’une clocharde.

Ce festival de Théâtre amateur, comme d’autres, nous pensons à celui de Trinité par exemple, confirme ce que nous savons et répétons depuis des années, à savoir que la Martinique est riche d’un théâtre populaire, aux pratiques multiples, diverses, ancrées dans les réalités du pays  qui ne demande que les moyens de se développer. Il existe des troupes de quartier, des troupes de communes, des troupes de maisons de repos,  des troupes de maisons de retraites et des troupes dans de nombreuses institutions, sans compter les pratiques foisonnantes dans les établissements scolaires. Cette richesse, terreau sur lequel peut se construire un théâtre processionnel, ne saurait se satisfaire de festivals éparpillés, sans coordination et sans véritable visibilité.  A quand l’organisation d’une rencontre annuelle de toutes les  pratiques de Théâtre amateur de Martinique et pourquoi pas des îles sœurs dans une compétition dotées de prix.?

R.S.