« La Veuve et le lettré » de Zeng Jingping

— Par Michèle Bigot —

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Le théâtre de Liyuan, venu de Quanzhou, ville portuaire jadis décrite par Marco Polo, est un genre , vieux d’une tradition pluriséculaire. Il s’agit d’une forme théâtrale reposant sur des chants, des évolutions chorégraphiques et un récitatif qui déroule une histoire. Le spectateur occidental, habitué à marier théâtre et dialogue, est tout étonné devant cette quasi absence de répliques, et découvre, non sans stupeur qu’une intrigue peut être menée sans dialogue, reposant pour l’essentiel sur des monologues de personnages qui décrivent leur action et leurs sentiments tout en la mimant par des danses, une gestuelle et une évolution dans l’espace soulignée par la musique délicate du Nanyin.
Mêlant le code issu de cette tradition théâtrale et les innovations dignes de la création contemporaine, la troupe, brillamment menée par l’actrice vedette de Chine, Zeng Jingping réussit un véritable renouvellement du genre : miraculeusement épargné par le révolution culturelle, cet art ancestral revit dans un répertoire revisité et dans une forme sublimée par des lumières et une disposition scénique remarquables. L’auteur de cette Veuve et le lettré, Wang Renjie, considéré aujourd’hui comme l’un des auteurs du théâtre chanté (Xiqu) les plus en vue, écrit pour le style du Liyuna tout en lui apportant le souffle d’une modernité : il en modifie profondément la morale, retourne les idées reçues et se fait l’apôtre de l’émancipation féminine. A travers son éloge de la classe des lettrés, on devine sans peine un appel à la résistance aux multiples oppressions.
La troupe du Liyuan que dirige Zeng Jingping depuis 1997 apporte au théâtre occidental un air de fraîcheur , un renouveau. C’est ainsi que le spectateur (re)découvre qu’il n’est nul besoin de cris et de fureur, ni de plateau surchargé, ni d’intrigue originale, et encore moins d’une quelconque thèse pour faire du théâtre. Retrouvant la voie ouverte par les anciens grecs, il vient à se souvenir de la force du quasi-silence, de la pénombre, jouant avec une rare mais vraie lumière et une explosion de couleur.
La voix des acteurs est aussi troublante pour nos oreilles, allant du susurrement à la mélopée, passant des aigus au grave avec accompagnement de musique et de danse. C’ets une forme d’art total, très vivant, qui se joue ici et que nous découvrons comme les chinois le (re)découvrent, dans une mouture très moderne et surgissant pourtant de la nuit des temps.
Le thème et le traitement artistique font penser à « Epouses et concubines » film
réalisé par Zhang Yimou sorti en 1991. Une forme d’art inconnue chez nous, tenant de l’opéra, de la comédie légère, du mime et de l’image cinématographique. Et le moins surprenant pour nous n’est pas le mélange des genres, qui nous fait passer du comique au dramatique sans aucun heurt.

Après la MC93 Bobigny, on pourra voir ce spectacle à Lyon (Nuits de Fourvière) du 17 au 18 juin, puis au festival d’Athènes et Epidaure du 21 au 22 juin 2014.
Un grand merci à Patrick Sommier pour tous les merveilleux spectacles qu’il nous a proposés depuis si longtemps à la MC93 Bobigny, une pensée émue pour cette salle qui ferme ses portes pour deux ans, sans avoir de garanties qu’elles seront un jour ré-ouvertes. La programmation de la MC93 est délocalisée pour l’année prochaine, mais la programmation sera toujours de la même qualité. Nos vœux et notre soutien accompagnent l’équipe de Bobigny.

Michèle Bigot, correspondante de Madinin’Art dans l’hexagone.

Théâtre Liyuan,
Direction artisitique : Zeng Jingping
Livret de Wang Renjie
Distribution Gong Wanli, Zeng Jingping, Lin Fufu, Wu Youqing, Lin Xiaowei, Guo Zhifeng, Zheng Yasi, Liao Shuyun
MC 93 Bobigny,

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