Le régime des intermittents, comment ça marche et pourquoi ça coince?

clownsDÉCRYPTAGE – Les intermittents du spectacle, artistes ou techniciens, bénéficient d’un régime d’indemnisation particulier, destiné à compenser la précarité de leur statut. Le Medef a jeté un pavé dans la mare en proposant mi-février la suppression de ce système, pointant du doigt son coût important.

Qu’est-ce que le régime des intermittents?

Pour prendre en compte le mode de fonctionnement du secteur de la culture, où l’emploi précaire est légion, l’indemnisation des intermittents est régie par des règles spécifiques, regroupées dans les annexes 8 (ouvriers et techniciens) et 10 (artistes) de la convention d’assurance chômage. Ce régime permet aux artistes et techniciens du spectacle de bénéficier d’une indemnité chômage pendant leurs périodes d’inactivité. En 2012, environ 112.000 personnes ont été indemnisées au titre de ce régime. Les intermittents représentent deux tiers des effectifs salariés du spectacle et 3,5% des allocataires de l’assurance chômage. Quand ils n’ont plus d’emploi, les intermittents sont indemnisés par l’assurance-chômage s’ils peuvent justifier d’au moins 507 heures de travail sur 10 mois pour les techniciens et 10 mois et demi pour les artistes.
Que reproche-t-on à ce régime?

Des voix s’élèvent régulièrement depuis plusieurs années pour demander la réforme de ce régime. Encore récemment, la Cour des comptes pointait ce système d’indemnisation, « plus favorable » que celui dont bénéficie les autres demandeurs d’emploi, et dont le déficit est structurel. Les sages de la rue Cambon chiffrent le déficit entre recettes et dépenses à plus d’un milliard d’euros. Dans un rapport publié en avril 2013, les parlementaires ramenaient quant à eux le surcoût du système à 320 millions d’euros. Le régime est aussi critiqué pour le recours abusif qui en est fait par certains employeurs, notamment dans l’audiovisuel, où des salariés sont embauchés sous ce statut alors qu’ils sont permanents.
Pourquoi la réforme est sensible?

En 2003, le patronat et trois syndicats (CFDT, CFE-CGC et CFTC) avaient durci les conditions pour bénéficier de ce système. L’accord avait provoqué une fronde du milieu du spectacle, conduisant cet été-là à l’annulation historique des festivals d’Avignon, d’Aix-en-Provence et des Francofolies de La Rochelle. Le conflit s’était poursuivi jusqu’en 2007 et le gouvernement avait dû jouer les pompiers en créant un fonds d’aide pour atténuer les effets de la réforme. Depuis, les partenaires sociaux ont prudemment opté pour le statu quo et les règles d’indemnisation n’ont quasiment pas évolué.
Quelles pistes d’évolutions?

Le Medef prône la suppression pure et simple du régime des intermittents. Ces derniers ne travaillant pas deviendraient des chômeurs comme les autres, soumis aux mêmes droits, et aux mêmes cotisations. L’ancienne patronne du syndicat patronal Laurence Parisot s’est quant à elle aligné sur les propositions de la ministre de la Culture en défendant un plafonnement du cumul des salaires et des allocations chômages. La CGT Spectacle, principal syndicat de la profession, s’accorde avec le gouvernement sur la possibilité de plafonner mensuellement le cumul des allocations avec les salaires. Elle souhaite également étendre à douze mois la période pendant laquelle un intermittent peut obtenir ses 507 heures, pour une indemnisation de douze mois.

http://www.lejdd.fr/Economie/Le-regime-des-intermittents-comment-ca-marche-655029

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Cet accord sur la nouvelle convention d’assurance-chômage a été conclu entre le patronat et trois syndicats (CFDT, CFTC, FO) sur cinq, la CGT (largement représentée au sein des intermittents) et la CGC s’y opposant. Il doit entrer en vigueur le 1er juillet après agrément des pouvoirs publics. Ses détracteurs lui reprochent notamment de durcir les conditions d’accès aux indemnités des plus fragiles, ce que contestait hier l’Unedic (lire au bout de l’article).

La coordination des intermittents – qui n’est pas un syndicat mais se mobilise pour une renégociation de l’accord – plaide, en outre, pour une prise en compte dans les calculs d’indemnisation des congés maternité et de maladie, ainsi que celle des heures effectuées par les artistes ou techniciens dans le cadre du régime général, telles les prestations d’enseignement.
François Rebsamen, « bête noire » des protestataires

« Au-delà des questions financières, certes cruciales, témoigne Mathilde, musicienne, c’est une question de reconnaissance de notre rôle non seulement artistique mais humain. On a trop tendance à nous stigmatiser comme une “bande de profiteurs”. C’est d’autant plus difficile à vivre sous un gouvernement de gauche ! » Si l’engagement d’Aurélie Filippetti, ministre de la culture, n’était guère contesté par les intermittents, sa pugnacité et son efficacité au sein de l’exécutif sont en revanche mises en doute, face à François Rebsamen, ministre du travail, devenue la « bête noire » des protestataires. Le ministre justifiait la semaine dernière à l’Assemblée nationale l’utilité de l’accord du 22 mars, soulignant qu’il « garantit l’essentiel des droits à l’indemnisation des intermittents et protège notamment les plus précaires d’entre eux ». Avant d’entrer au gouvernement, il en avait contesté la teneur…

« On se demande si, aujourd’hui, l’intermittence n’est pas qu’une monnaie d’échange symbolique entre le gouvernement et le Medef, poursuit Olivier Py. Michel Sapin et Aurélie Filippetti étaient réellement à notre écoute. Avec le départ de Sapin, tout cela est tombé à l’eau… »

Ce revirement gouvernemental – le mot « trahison » est souvent employé – cristallise le mécontentement dans un contexte social et politique des plus tendus. « On assiste à une radicalisation préoccupante, analyse Philippe Leclant, directeur du festival de musique de Maguelone, qui a dû annuler l’un des concerts de la manifestation. Le mouvement se greffe sur un climat de grogne qu’il attise et qui l’attise : parmi les manifestants qui ont empêché la tenue de notre concert, il y avait aussi des activistes politiques d’extrême gauche venus appuyer le mouvement. »
Des festivals plus ou moins exposés à la contestation

Depuis le début du mois, tous les festivals ne sont certes pas affectés par les grèves et annulations de spectacle. Si le Printemps des comédiens à Montpellier, le festival Furies en Champagne ou le Festival d’Anjou sont perturbés, Les Musicales de Bagatelle se sont déroulées sans encombre. Les nuits de Fourvière ont débuté comme prévu, ainsi que le Festival d’Auvers-sur-Oise. « Les manifestations théâtrales, lyriques ou de musiques actuelles qui doivent faire appel à des brigades d’intermittents pour monter de gros plateaux sont beaucoup plus exposées », reconnaît son directeur Pascal Escande.

L’été 2003 qui avait vu l’annulation des Festivals d’Avignon, d’Aix-en-Provence et des Francofolies de La Rochelle, avait mis en lumière le poids économique et la source de revenus touristiques que représentent les festivals d’été et les manifestations culturelles en France. Selon une étude des ministères de la culture et de l’économie et des finances, le secteur emploie 670 000 personnes et représente une valeur ajoutée de 58 milliards d’euros (3,2 % du PIB), sept fois supérieure à celle de la construction automobile…

Pour la première fois, le mouvement des intermittents s’étend au secteur de l’audiovisuel, souvent accusé d’abuser du système. Un appel à la grève a ainsi été lancé à Arte. Par solidarité, les 30 marionnettistes des « Guignols de l’info » sur ­Canal +, tous intermittents, ne participeront pas à l’émission ce soir.

LA REFORME DE L’ASSURANCE-CHÔMAGE DES INTERMITTENTS

– Ce que la réforme ne change pas : pour être indemnisé, il faut avoir travaillé 507 heures dans les 10 derniers mois pour les techniciens, dans les 10,5 derniers mois pour les artistes, contre 610 heures dans les 28 derniers mois pour les autres salariés. La durée indemnisable est alors de 8 mois, alors que pour le régime général elle est égale à la durée cotisée, dans la limite de deux ans. Le calcul du montant de l’allocation mêle salaire et nombre d’heures travaillées. L’allocation journalière moyenne est de 62 € pour les techniciens et de 53 € pour les artistes.

– Ce que change la réforme : le différé entre le dernier jour travaillé et l’indemnisation, plus favorable que dans le régime général, est durci : 48 % des intermittents le subiront (tous ceux qui gagnent plus de 16 €/h), contre 9 % auparavant. Le taux de cotisation passe à 12,8 % (dont 6,4 % de part salariale), contre 6,4 % dont pour le régime général. La possibilité de cumuler salaire et allocation, jusqu’ici interdite au-dessus d’un certain nombre d’heures travaillées, est désormais plafonnée à 4 381 €, ce qui impactera 6 % des allocataires.

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http://www.la-croix.com/Culture/Actualite/Le-bras-de-fer-se-durcit-avec-les-intermittents-2014-06-15-1164897