La réponse du berger à la bergère : un congrès qui fait pschitt !

— Par Yves-Léopold Monthieux —

Il est un comportement des partis politiques martiniquais dits indépendantistes, autonomistes, bref évolutionnistes, qui n’a pas changé depuis que la question institutionnelle se pose concrètement. Bien entendu, cette attitude est venue s’ajouter à la pratique électoraliste traditionnelle qui a toujours consisté à mettre son drapeau dans sa poche chaque fois que s’annonçait une élection de maire, de conseiller général ou de député. Cette liberté prise à l’égard de supposés convictions a permis à leurs auteurs de se faire élire et de conserver leurs mandats, pour certains pendant près d’un demi-siècle.

Par commodité de l’analyse, fixons le début de cette période d’appel à la responsabilité à 2003, année de la première consultation populaire. Le PPM avait décrit celle-ci comme une entourloupe ; c’est le mot qui semble le mieux traduire l’expression utilisée alors par le secrétaire général du PPM, Camille Darsières : « Chatt-en-sac ». En effet, pour le PPM la consultation avait un défaut originel : elle avait été initiée par Alfred Marie-Jeanne. Au lieu de sauter sur l’occasion de ce petit bout d’autonomie et se débarrasser du moratoire, l’important avait surtout été de ne pas offrir un cadeau politique à l’adversaire.

Cette posture du PPM s’est renouvelée lors des consultations de janvier 2010. Le 10 janvier, il ne fallait pas voter le projet de l’article 74 parce qu’il était incarné une fois de plus par Alfred Marie-Jeanne. A ce propos, j’ai écrit que ce fut pour moi une énigme, n’ayant pas compris qu’un politique aussi avisé que Marie-Jeanne ait pu croire que les électeurs auraient choisi un changement plus audacieux que celui qu’ils avaient refusé en 2003. Pour les adversaires de l’article 74 la campagne électorale était donc une formalité. Reste qu’une vraie entourloupe avait été préparée, qui consistait à faire revoter 15 jours plus tard le remake du projet Chatt-en-sac d’antan. Il était porté désormais par Serge Letchimy qui lui vouait une belle carrière à l’occasion de sa « troisième voie » annoncée. Depuis, dans le match à deux qui a dominé la vie politique, le vent avait en effet tourné et les partitions, changé de mains.

D’où le spectacle offert par lesdits indépendantistes de tous bords lors de la session du congrès de ce vendredi 28 juillet 2023, en prélude du Mercury Beach, du Tour des Yoles et de la Baccha qui sont les vrais rendez-vous de la saison. Car pour le président de la CTM, « l’heure de nous-mêmes a sonné », la fin du moratoire a sonné, l’heure de l’autonomie est arrivée et il convient de rattraper le temp perdu, au besoin à marche forcée. Car la perspective d’un petit père du peuple chantée par Patrick Chamoiseau et d’une accession à l’autonomie par-dessus le peuple n’est pas écartée. C’est le mérite de Serge Letchimy de le dire désormais sans ambage. Une ministre de la République peut déjà indiquer à un député martiniquais Nupes, médusé : « On peut bien voter des amendements ou des propositions de loi que vous voulez, mais sachez que pour la Martinique, les décisions sont prises par le président de la collectivité (sic) ».

Le bouclier du peuple que choisissent Péyi-a et le MIM and Co n’a pas d’autre but que de rendre au PPM la monnaie de sa pièce : faire barrage à Letchimy qui faisait barrage à Marie-Jeanne, au lieu de se louer d’une avancée institutionnelle qu’ils n’ont pas su faire. En effet, Daniel Marie-Sainte fait mine de pousser l’accélérateur du changement en tirant à fond sur le frein à main, et en ne cessant pas de mettre en avant le rempart : « il faudra consulter le peuple ! ». Dans cette voie, Francis Carole semble vouloir prendre la main, les possibles successeurs de Marie-Jeanne se faisant rares. Or on sait bien que l’obstacle du peuple n’est pas insurmontable et ne va pas au-delà du populisme électoral de ceux qui s’y réfèrent. La loi du 28 juillet 2011 avait suffi pour apporter des changements qui n’avaient pas été prévus lors des consultations et que tout avait été décidé après, à Paris, dans une parfaite symbiose entre les présidents sortant et élu de la région, et le président de la République Nicolas Sarkozy. Au moyen de la loi, ces derniers avaient corrigé le projet « 73 » choisi par le peuple en y injectant du « 74 » non voulu par le peuple.

Aussi, indépendamment des postures qui ne s’adressent qu’à ce bon peuple, le président de la collectivité s’aligne, en fait, sur la position du mariejeanniste Daniel Marie-Sainte et l’ex-mariejeanniste Louis Boutrin. Ils le savent tous : comme en juillet 2011, il n’est point besoin de modifier des articles de la constitution dont l’annonce, au vu de la composition actuelle du parlement, peut être regardée comme un leurre supplémentaire. Le reste est une affaire de méthode, le cadre juridique de la CTM permet à peu près tout à son président, qui a bien commencé à s’en servir en « déroulant » : drapeau, créole, congrès, sécurité…. En réalité, l’avenir des Martiniquais pourrait bien être à terme le résultat de la lutte fratricide entre deux écuries qui projettent pour la Martinique le même destin politique. Le chalenge est juste, pour l’une, d’empêcher l’autre de s’emparer de la paternité de l’évolution. Et réciproquement.

Fort-de-France, le 29 juillet 2023

Yves-Léopold Monthieux