« La perversion est au service de la société et de l’espèce »

Vincent Mac Doomr

— Par Roland Sabra —

   Les homosexuel(le)s sont-ils, sont-elles des pervers, des perverses? La connotation morale du terme est de peu d’utilité pour la question. Dans un pays où les filles se promènent  à moitié nues dans les rues, tout en ayant dans la tête des kilomètres de crinoline la question pourrait paraître surréaliste.  Ce numéro de la Lettre est consacré à la question de la perversion, à l’occasion du débat (enfin!) qui suivra la projection à Fort-de-France du film « Des hommes et des dieux« .

Qu’est-ce que la perversion? La réponse pourrait en dérouter plus d’un. Au delà  la question de l’homosexualité n’assiste-ton pas à une redéfinition du masculin et du féminin? ( lire le dossier) La propension, de plus en plus répandue,  à se déguiser en femme pendant Carnaval, le port ostentatoire  de bijoux féminin, la mode du piercing, les boucles d’oreilles, une homophobie prégnante mais un succès assuré pour les « Makoums », des rapports entre sexes marqués par la violence, tout cela ne relève-t-il pas d’une symptomatologie qui renvoie à une identité mal assurée? Nous voilà de nouveau devant la question identitaire, mais posée cette fois dans sa forme la plus radicale, la plus crue, c’est-à-dire dans sa forme sexuelle? Nous sommes là devant un « total tabou » ! Même chez les  rares psychanalystes de l’île l’idée d’un refoulé transgénérationnel   depuis la période esclavagiste et qui toucherait aux pratiques sexuelles fait débat. D’abord sur la possibilité même de ce « trangénérationnel », cher à Serge Moscovici et ensuite, quand il est admis, sur le contenu. Les pères et les mères « la pudeur », que l’on a vu monter au créneau quand des artistes ont protesté, à leur manière contre la banalisation  des  assassinats d’adolescents, sont plus nombreux qu’on ne le croit. On lira ce que pense Robert  Stoller, le spécialiste des questions de genre, des psychanalystes qui penchent de côté là

 Qu’un des plus grands économistes du 20 ème siècle ait été homosexuel n’ajoute ni n’enlève rien à son talent. A moins de considérer que son hétérodoxie théorique ne soit pas sans rapport avec ses penchants amoureux. C’est ce que la lecture de Freud laisse entendre. Mais l’homosexualité travaille aussi les corps constitués comme en témoignent les « scandales à répétition qui soulèvent régulièrement les églises (cf ci-dessous). Ce phénomène rémanent réduit la portée les « explications » du délégué interministériel Patrick Karam qui motive la mission contre l’homophobie qu’il confie à M Auerbach-Schiffrin en avançant : « Dans nos sociétés créoles traditionnelles et très catholiques il existe une homophobie du même type que celle que l’on trouvait dans la société française avant 1968« . C’est encore la vieille thèse du retard dans le développement que l’on nous sert dans sa resucée sociologique!

Vincent Mc Doom interviewé dans le supplément TV de France-Antilles le déclarait tout bonnement : « Ceux qui ne m’acceptent pas, ont des problèmes avec leur sexualité« . Dès les débuts de la psychanalyse la thèse de la bisexualité a été au centre de la théorie freudienne. C’est même un des rares concepts à n’avoir jamais été l’objet de profonds remaniements. Si l’apport freudien est inestimable et si son utilisation est toujours centrale pour la compréhension de la psychologie humaine, la tentative de  le fonder en biologie, de trouver un roc à la bisexualité, est aujourd’hui mise en question. De même, le parti pris freudien de  faire du sexe mâle le sexe « naturel »,  est démenti par la biologie qui aurait plutôt tendance à faire du sexe féminin le sexe fort, le sexe masculin n’étant que le produit d’une « andogénisation » du sexe féminin.

Ce qu’avait pressenti le psychanalyste anglais Robert J. Stoller, spécialiste incontournable de la thématique, est confirmé par la neurobiologiste Catherine Vidal :  « Entre 1 an et demi et 2 ans, seulement 10 % des enfants sont capables de se désigner en tant que garçons ou filles. C’est l’influence du milieu familial, social, scolaire qui va faire que l’enfant va progressivement adopter des comportements correspondant aux schémas identitaires masculins ou féminins. ».

Stoller fera certes de l’homosexualité, une menace, ce en quoi il rejoint Freud, mais une menace non biologique, qui concerne prioritairement les hommes dans leur identité de genre, dans leur existence, dans leur sentiment personnel d’être. Cette fragilité masculine résulte pour le garçon, d’une très grande proximité, une très grande intimité avec quelqu’un du sexe opposé, à un moment où la structure du Moi est encore très étanche, très perméable, extraordinairement fragile et qu’il doit surmonter avec le danger corollaire en cas d’échec d’une trop grande fusion avec la mère comme en témoigne le transsexuel.  C’est lors du développement œdipien que va se nouer ou se dénouer la prédisposition à la perversion que l’on rencontre donc plus fréquemment  chez l’homme que chez la femme. L’attirance de l’homme pour l’autre sexe a pour arrière plan cette union plus primitive avec la mère. Rappelons que la perversion réside moins dans la pratique sexuelle  en elle-même que dans l’existence d’un fantasme mis en acte « qui transforme la haine en victoire sur ceux qui ont infligé les tourments« . Stoller insiste sur le rôle d’un traumatisme générateur de perversion. « Elle est donc induite par une éducation, souvent inconsciente, qui transforme un sujet en objet fétichisé et déshumanisé. Aussi bien la victime peut-elle alors devenir à son tour un bourreau. » (Roudinesco).

L’homosexualité en tant que telle ne relève donc pas de la perversion, pas plus que telle ou telle pratique « aberrante ». « L’acte doit être considéré non pas de l’extérieur, mais en fonction de ce qui se passe dans la tête. » (Stoller). Ce en quoi la masturbation, accompagnée de fantasmes dont « le rôle est de satisfaire ce qui ne peut l’être dans la réalité de l’acte sexuel avec un partenaire, devient un acte sexuel avec ses motivations et ses énergies propres » (id.) ce qui lui vaut de relever franchement du registre de la perversion. Ce n’est donc jamais l’acte qui est « pervers », mais le pourquoi qui le motive. Stoller explique que la conduite de certains bergers avec leurs moutons relève bien moins de la perversion que le comportement du cadre supérieur qui ne peut se satisfaire qu’avec des prostituées. On repère tout de suite l’ambigüité de conduites sexuelles « justifiées » par « faute de mieux. ».  Mais surtout, à la suite de Durkheim, qui démontrait que le crime était nécessaire à la société, on peut affirmer que la perversion est tout aussi indispensable, (  Stoller : La perversion est donc  au service de la société et de l’espèce) et pour les mêmes raisons que celles qu’évoquait le célèbre sociologue, mais surtout parce que la possibilité de sublimation qu’elle recèle, permet l’émergence des grands créateurs. On se reportera  à l’étude sur Léonard de Vinci faite par Freud.

Stoller n’était pas tendre pour les psychanalystes de son époque :  » Le psychanalyste s’adonne au discours sur la morale comme l’ivrogne à la boisson. Je n’ai nullement l’intention de me joindre à ces augustes censeurs du comportement sexuel qui se chargent de dire si la liberté sexuelle est bonne ou mauvaise pour la société ou qui se prononcent sur les lois et la façon dont elles devraient être appliquées pour garantir notre ordre moral. «  .(Cité par Roudinesco)

Roland Sabra, le 29 XI-07