« La nuit caribéenne » : présentation

 — Par Roland Sabra —

La nuit caribéenne se joue le vendredi 22 et le samedi 23 octobre à l’Atrium. C’est l’occasion de découvrir un auteur de théâtre et donc un texte. Un texte fort, comme un cri de haine, de désespoir, de fureurs, de mensonges ,de crimes, de viols et de dissimulation. Deux frères, des laissés pour compte des lendemains qui chantent, trainent leur déclassement social entre terre et mer. Le leader maximo du parti pour lequel ils s’étaient engagés dans le Service d’ordre( SO) a passé de petits arrangements avec l’ennemi de classe, et somme toute s’en accommode plutôt bien. Ils font penser à George et Lennie du livre de Steinbeck Des souris et des hommes dont on a vu une adaptation au petit théâtre de foyal il y a peu. Frantz est l’ainé, il a élevé son cadet Georges; il existe un lourd contentieux entre les deux frères et la haine est un ciment solide qui unit ces deux paumés. L’effondrement des repères symboliques qui les soutenaient se coagule avec la disparition de l’espérance d’un monde autre, le renoncement à une attente eschatologique; l’abandon du rêve d’un monde meilleur , d’un monde dans lequel les derniers auraient pu être les premiers. Frantz et Georges sont les scories d’une prophétie qui ne s’est pas réalisée. Et comme le dirait le sapeur Camenbert «  passées les bornes, y’a plus de limites ». Si la parole n’a plus de sens, elle ne peut plus borner les actes, les contenir, les retenir, se substituer aux plus violents d’entre eux. Le lien social se délite et le passage à l’acte remplace les mots. La trahison des idéaux est redoublée d’une trahison du lien fraternel. Si Frantz et Georges sont des salauds, ils sont à la fois victimes et auteurs de la saloperie dans laquelle ils sont tombées.

Le texte de Alfred Alexandre est un texte noir, sans concession, sans apitoiement dilatoire, sans complaisance aucune et d’une grande efficacité dans la description d’un univers dans lequel l’espérance semble avoir désertée.

Deux comédiens de talent, Aliou Cissé et Ruddy Sylaire incarnent les deux frères. Comédiens de talents quand ils sont dirigés sinon ils sont comme tous les autres, ils jouent leur propre rôle. Gageons que la metteur en scène, Arielle Bloesch, qui est loin d’être une inconnue en Martinique, puisque d’ETC Caraibes à la Compagnie des enfants de la mer avec José Exélis, elle a souvent mis la main à la pâte aura su canaliser ces énergies, extraire de la gangue ces diamants bruts, les polir et faire briller toutes leurs facettes.

R. Sabra