« La nuit caribéenne » : la mise en scène est un art difficile.

  — par Roland Sabra —

  Crédits photo : Philippe Bourgade

Comment donner chair à un texte? Le travail ressemble plus à celui du sculpteur qui enlève de la matière qu’à celui du peintre qui en ajoute. Arielle Bloesch en a fait la démonstration avec « La nuit caribéenne » les 22 et 23 octobre au CMAC de Fort-de-France. Confrontée à un premier texte pour le théâtre écrit par Alfred Alexandre, d’une grande force, riche de contenu, il lui a fallu faire des choix. Rappelons l’argument. Deux frères, Frantz et Georges, deux naufragés de l’espérance révolutionnaire caribéenne, de l’aspiration à un monde plus fraternel, sont les épaves échouées sur la grève inhospitalière du libéralisme triomphant. Trahis par les dirigeants du Parti, au sein duquel ils étaient engagés dans le service d’ordre, ils ont sombré avec leurs rêves d’indépendance dans une dérive sans fin vers ce que Robert Castel nommerait comme étant la désaffiliation, une des dernières étapes avant la mort sociale. Alfred Alexandre dit avoir beaucoup penser à Steinbeck et à Faulkner en écrivant ce texte. Comme un hommage. A la trahison des espérances de transformations politiques et sociales vient se surajouter une traitrise, une crapulerie, occultée, maquillée entre les deux frères et qui, remémorée ouvrira sur une issue dramatique.. C’est bien sûr l’articulation de ces deux plans, le social dans la première partie de la pièce et l’individuel dans la seconde, qui est difficile. Arielle Bloesch a choisi de privilégier la seconde, au risque d’un rabattement du social et du politique sur une problématique inter-subjective, dans laquelle se complaisent les deux comédiens, Aliou Cissé et Rudi Sylaire. Ce dernier dans le rôle de Georges, accentue le côté déclassé du personnage, le ramenant trop souvent à un demeuré, un peu comme le Lennie de Steinbeck, occultant d’autres dimensions plus complexes et plus subtiles. Cette élision du premier plan est renforcée par une diction quelques fois brouillonne de Aliou Cissé dans le rôle de Frantz. Il faut tendre l’oreille pour comprendre la description de la société dans laquelle vivent ces deux paumés. Ce défaut était corrigé, nous dit-on, lors de la deuxième.

 

A ces réserves on pourra objecter que justement le propre de la dépolitisation, de la désocialisation est faire croire que les problèmes sociaux ne sont que des problèmes individuels, et que les choix de la metteure en scène sont donc en parfaite adéquation avec le propos, à ceci près que l’articulation, la mise en rapport, la dialectisation des deux registres suppose qu’ils soient reconnus comme tels, ce qui n’est pas toujours le cas. Cela étant dit, le travail de mise en scène est d’une grande sobriété, tout comme l’agencement du plateau, même si le clin d’oeil au radeau de la Méduse dans la dernière partie est un peu appuyée. Les lumières de Valéry Pétris sont comme à l’accoutumée plutôt réussies. On peut supposer qu’il n’a peut-être pas été facile de diriger ces deux grands comédiens que peuvent être Aliou Cissé et Rudi Sylaire mais ils sont de toute évidence dirigés. Le grand mérite de la soirée est l’invite qu’elle fait à la lecture du texte qui devrait être prochainement publié.

 

R.S

 

Fort-de-France, le 25/10/2010