La lexicographie créole contemporaine : retour-synthèse

La lexicographie créole contemporaine : retour-synthèse sur ses caractéristiques historiques, son socle méthodologique, ses dictionnaires

et ses lexiques

— Par Robert Berrouët-Oriol (*) —

« La lexicographie est la branche de la linguistique appliquée qui a pour objet d’observer, de recueillir, de choisir et de décrire les unités lexicales d’une langue et les interactions qui s’exercent entre elles. L’objet de son étude est donc le lexique, c’est-à-dire l’ensemble des mots, des locutions en ce qui a trait à leurs formes, à leurs significations, et à la façon dont ils se combinent entre eux. » (Marie-Éva De Villers : « Profession lexicographe », Presses de l’Université de Montréal, 2006.)

À la demande de plusieurs enseignants œuvrant en Haïti, nous effectuons avec le présent article un retour-synthèse sur les caractéristiques historiques de la lexicographie créole, sur son socle méthodologique, ses dictionnaires et ses lexiques. Conçu sur le mode d’une synoptique, cet article fournit un éclairage sur plusieurs aspects de la lexicographie créole : histoire, cadre analytique, cadre méthodologique de référence, problèmes et perspectives. Il met particulièrement l’accent sur la méthodologie de la lexicographie professionnelle, l’unique socle sur lequel doit être bâti toute la production lexicographique haïtienne. C’est donc en toute rigueur qu’il s’adresse d’abord aux enseignants et aux étudiants du domaine de la lexicographie créole, puis aux concepteurs, rédacteurs et éditeurs de matériel didactique créole en Haïti et en outremer. En lien avec l’organisation de son dispositif informatif, le présent article s’adresse également à toute personne qui, s’intéressant à l’aménagement du créole dans le système éducatif haïtien, s’intéresse aussi au mode d’élaboration des outils didactiques créoles que les enseignants sont appelés à utiliser en salle de classe. L’article d’aujourd’hui s’adosse aux données analytiques et documentaires consignées dans notre texte rédigé en créole et daté du 18 juillet 2025, « Leksikografi kreyòl 1958-2024 : istwa li, metòd li, leksik ak diksyonè li chapante, wòl yo lan amenajman lenguistik ann Ayiti ». Le texte du 18 juillet 2025 est celui de la conférence que nous avons prononcée à la Florida International University, au LACC’s 2025 Haitian Summer Institutepour les étudiants du programme de la School of International & Public Affairs / Latin American an Caribbean Center (LACC). Il a été diffusé en Haïti sur les 17 plateformes régionales du Regroupement des professeurs d’universités d’Haïti (REPUH). Il est ensuite paru le 24 juillet 2025 aux États-Unis sur le site Rezonòdwès puis en Martinique sur le site Madinin’Art le 26 juillet 2025.

Au titre d’un document de référence académique, le présent article « La lexicographie créole contemporaine : retour-synthèse sur ses caractéristiques historiques, son socle méthodologique, ses dictionnaires et ses lexiques »–, fournit en annexe le listage taxonomique complet de la lexicographie créole de 1958 à 2024.

La version créole du présent article est en cours d’élaboration. Elle sera diffusée bientôt.

Dans plusieurs de nos précédents articles nous avons précisé que l’appellation générique « lexicographie créole » s’entend au sens englobant de « lexicographie haïtienne ». Elle recouvre le processus d’élaboration et de production des ouvrages lexicographiques (dictionnaires et lexiques) ciblant l’une ou les deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le créole et le français, langues co-officielles selon l’article 5 de la Constitution de 1987. En raison de leur projet éditorial, les dictionnaires élaborés se déclinent sur le registre unidirectionnel ou sur le registre bidirectionnel. La lexicographie créole est principalement bidirectionnelle (exemples : « Ti diksyonè kreyòl fransè », d’Alain Bentolila et al. (Éditions caraïbes, 1976) ; « Haitian Creole – English – French Dictionary », vol. I et II d’Albert Valdman et al. (Creole Institute, Bloomington University, 1981). Elle comprend également quelques titres unidirectionnels (exemples : « Diksyonè kreyòl Vilsen » de Maud Heurtelou et Féquière Vilsaint (ÉducaVision, 1994) ; « Diksyonè kreyòl karayib » de Jocelyne Trouillot, Éditions CUCUniversité Caraïbe, 2003 [?]). La lexicographie haïtienne comprend aussi des ouvrages rédigés en français mais traitant du créole (exemples : « Lexique du patois créole d’Haïti » de Pradel Pompilus, Syndicat national de l’édition, Paris, 1961 ; « Petit lexique créole haïtien utilisé dans le domaine de l’électricité » de Henry Tourneux (CNRS/Cahiers du Lacito, 1986). Elle comprend par ailleurs des ouvrages rédigés en français et traitant de la variété de français en usage en Haïti (exemples : « Dictionnaire de l’écolier haïtien » (Hachette-Deschamps/ÉDITHA, 1996) ; « Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en Haïti » d’André Vilaire Chery (tomes 1 et 2, Éditions Édutex, 2000 et 2002). Ces ouvrages sont répertoriés dans notre « Essai de typologie de la lexicographie créole de 1958 à 2022 » (Le National, 21 juillet 2022). Plusieurs autres ouvrages ont complété cet « Essai » en mars 2024 : le « New Jersey Judiciary Glossary of Legal (and Related) Terms – English/Haitian Creole » (New Jersey Courts, Administrative Office of the Courts, version de juillet 2023) ; le « Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms » (The University of Arizona Press, 1998) ; le « English Haitian Creole Legal Glossary » de Jean-Robert Cadely et Joelle Haspil (Educa Vision, 1999). Notre évaluation analytique de ces trois lexiques est consignée dans les articles suivants : (1) « Le naufrage de la lexicographie créole au « New Jersey Judiciary Glossary of Legal (and Related) Terms – English/Haitian Creole » (Rezonòdwès, 16 septembre 2023) ; (2) « Le traitement lexicographique du créole dans le « Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms » du National Center for Interpretation (University of Arizona) » (Rezonòdwès, 25 septembre 2023) ; (3) « Le traitement lexicographique du créole dans le « English Haitian Creole Legal Glossary » de Jean-Robert Cadely et Joelle Haspil »  (Rezonòdwès, 15 février 2024). Une prochaine mise à jour de notre « Essai de typologie de la lexicographie créole de 1958 à 2022 » comprendra les titres publiés entre 2022 et 2025, notamment l’ouvrage paru en Haïti, en mai 2024, aux Éditions Charesso, « Le « Dictionnaire de droit du travail » de Me Philippe Junior Volmar, une œuvre de grande qualité lexicographique » (Madinin’Art, 1er octobre 2024). Cette mise à jour comprendra également le « Diksyonè jiridik kreyòl » de Price Cyprien et Nathalie Wakam Cyprien publié en Haïti à compte d’auteur en juin 2024 (voir notre évaluation analytique titrée « Le naufrage de la terminologie juridique créole dans le « Diksyonè jiridik kreyòl » de Price Cyprien et Nathalie Wakam Cyprien » (Rezonòdwès, 27 août 2024).

Présenté ci-après, tableau 1 comprend le listage des 24 références documentaires qui consignent un éclairage sur l’un des registres suivants de la lexicographie créole : histoire, cadre analytique, cadre méthodologique de référence, problèmes et perspectives. Ce listage consigne les références documentaires rassemblées par Henry Tourneux dans son article « Un quart de siècle de lexicographie du créole haïtien (1975-2000) » paru dans « À l’arpenteur inspiré – Mélanges offerts à Jean Bernabé », ouvrage dirigé par Raphaël Confiant et Robert Damoiseau (Éditions Ibis rouge, Matoury, Guyane, 2006). Nous complétons ce listage par l’ajout de plusieurs références qui ne figurent pas dans l’étude pionnière de Henry Tourneux. Elles proviennent principalement des données consignées dans l’excellente livraison thématique « Les créoles : des langues comme les autres » (Revue française de linguistique appliquée, 2005/1, vol. X).

Il aurait été utile d’enrichir et de compléter la synoptique du tableau 1 (voir plus bas) par l’identification des ouvrages lexicographiques répertoriés à la Bibliothèque nationale d’Haïti au titre du dépôt légal. Cela n’a pas été possible pour deux raisons. D’une part la Bibliothèque nationale d’Haïti, une institution de l’État fort active… sur Facebook, ne dispose même pas d’un élémentaire site Internet dédié à la recherche en ligne là où le Collège Catts Pressoir, une école de taille moyenne à Port-au-Prince, dispose de son propre site Internet accessible en temps réel. D’autre part, la composante « service aux usagers » de la Bibliothèque nationale d’Haïti, sorte de « lamayòt », s’avère être aussi rachitique qu’inefficace. Ainsi, dans un courriel que nous avons adressé le 23 juillet 2022 au directeur de la Bibliothèque nationale d’Haïti, nous avons sollicité l’aide de ses services techniques pour obtenir la fiche signalétique détaillée de tous les documents classés sous les rubriques suivantes : Institut pédagogique national (IPN), réforme Bernard, dictionnaires créoles, lexiques créoles et didactique créole. Le directeur, dans un courriel responsif, nous avait donné l’assurance que notre demande de références documentaires serait l’objet d’un « suivi rigoureux » et célère… Le « suivi rigoureux » promis par le bavardeux et dilettante directeur de la Bibliothèque nationale s’est révélé être un piteux canular et, de juillet 2022 à août 2025, nous n’avons pas été en mesure de déterminer si parmi les 60 000 titres de la vénérable Bibliothèque nationale d’Haïti, fondée en 1939, l’usager aurait à sa disposition des lexiques et des dictionnaires créoles…

Sur le registre d’une éclairante comparaison entre la Bibliothèque nationale d’Haïti et les structures documentaires de l’Université des Antilles en Martinique, il est utile de rappeler les principales caractéristiques de la Bibliothèque numérique Manioc. « Bibliothèque numérique spécialisée sur la Caraïbe, l’Amazonie, le Plateau des Guyanes et les régions ou centres d’intérêt liés à ces territoires,  Manioc diffuse des documents textuels, sonores, iconographiques et des références concernant l’histoire culturelle, sociale, économique ou politique de ces pays ; elle apporte une contribution à la valorisation du patrimoine et à la constitution de la mémoire de demain en mettant à disposition tant des ouvrages anciens restituant la pensée sociale d’une époque que des documents contemporains, notamment issus de la recherche universitaire. Elle propose fin 2017 plus de 2 000 titres anciens numérisés. Manioc s’inscrit dans une démarche de libre accès au patrimoine et à l’information scientifique. Dans ce cadre, Manioc est interrogeable par OAI-PMH. L’action de la structure fédérative a pris une telle ampleur qu’elle s’inscrit désormais dans le cadre du programme national de numérisation concertée mis en place avec la Bibliothèque nationale de France qui vise à constituer une documentation de référence sur la région Caraïbe-Amazonie, dont l’histoire est étroitement liée à celle de la France et de l’Europe depuis le XVe siècle. Il a pour objectif la conservation et la mise en ligne de documents jusqu’alors difficiles d’accès, méconnus, disséminés ainsi que la création et/ou l’enrichissement de corpus cohérents à destination des chercheurs comme des publics, individuels et collectifs. Il prévoit d’élargir les coopérations existantes à l’ensemble des établissements documentaires situés en France hexagonale. Le programme comporte un intérêt local, national et transnational du fait de l’histoire complexe de cette partie du monde, considérée comme région de la première mondialisation. Manioc propose aujourd’hui plus de 2 250 vidéos issues de séminaires, journées d’études, conférences internationales. De nombreuses disciplines et thématiques sont représentées : sciences juridiques, géographie, lettres, arts, histoire… Les axes de recherche de l’université ont acquis une visibilité nouvelle et des approches pluridisciplinaires fortes apparaissent : biodiversité, tourisme, pouvoirs, oralité, multilinguisme, traduction… Ces vidéos rendent compte de l’activité et contribuent à la constitution du patrimoine de la recherche en sciences humaines et sociales. (…) La structure fédérative étend son champ d’action au patrimoine culturel immatériel et à la création. Au cœur des humanités numériques, elle accompagne les chercheurs par la mise en œuvre de modalités de travail et de diffusion des résultats innovantes qui favorisent les interactions entre les acteurs de la recherche, de l’enseignement et les socio-professionnels de la Caraïbe et de l’Amazonie. » (Source : site Web de la Bibliothèque numérique Manioc)

La recherche documentaire au long cours que nous avons menée a permis de répertorier les références documentaires qui fournissent, pour la lexicographie créole, un éclairage sur l’un des registres suivants : histoire, cadre analytique, cadre méthodologique de référence, problèmes et perspectives.

TABLEAU 1 / Références documentaires fournissant, pour la lexicographie créole, un éclairage sur l’un des registres suivants : histoire, cadre analytique, cadre méthodologique de référence, problèmes et perspectives

Auteur

Ouvrage

Éditeur et date de parution

Remarques de RBO

1 Pradel Pompilus

Lexique créole-français

Université de Paris, 1958

Comprend la mention « Thèse complémentaire »

2 Pradel Pompilus

Lexique du patois créole d’Haïti

Syndicat national de l’édition, Paris, 1961

3 Pradel Pompilus

État présent des travaux de lexique sur le créole haïtien

Études créoles, n° 1, 1978

4 Pradel Pompilus

Manuel d’initiation à l’étude du créole

Port-au-Prince : Impressions Magiques, 1983

5 Ernst Mirville

Éléments de lexicographie bilingue – Lexique créole-français

Bulletin de l’Institut de linguistique appliquée de Port-au-Prince (BILAP) 11, 1979

Comprend la mention « Numéro spécial »

6 Ernst Mirville

Ki jan yo fè mo nèf an kreyòl

Creole Institute, Indiana University 1984

7 Pierre Vernet

Le créole haïtien face à son introduction en salle de classe : le champ sémantique du corps humain

Études créoles, III, 2, 1980

8 Marie-Christine Hazaël-Massieux

La lexicographie et la lexicologie à l’épreuve des études créoles

Études créoles 12/2, 1989

9 Dominique Fattier

La lexicographie créole saisie à l’état naissant (Ducoeurjoly 1802)

L’Harmattan, 1997

Paru dans Marie-Christine Hazaël-Massieux / Didier de Robillard (éds), Contacts de langues, contacts de cultures, créolisation

10 Dominique Fattier

Contribution à l’étude de la genèse d’un créole : l’Atlas linguistique d’Haïti, cartes et commentaires 

Villeneuve d’Ascq, ANRT, Presses du Septentrion, 1998

Comprend 6 volumes

11 Albert Valdman

L’évolution du lexique dans les créoles à base lexicale française

L’information grammaticale no 85, mars 2000

12 Albert Valdman

Vers un dictionnaire scolaire bilingue pour le créole haïtien ? 

La linguistique, vol. 41/1, 2005

13 Albert Valdman

Vers la standardisation du créole haïtien 

Revue française de linguistique appliquée, vol. X/1, 2005

14 Albert Valdman

Le cycle vital créole et la standardisation du créole haïtien 

Études créoles X-2, 1987

15 Albert Valdman

Sur les processus lexicogénétiques du créole haïtien

Dans H. Schroeder, P. Kumschlies & M. Gonzalez (eds), Linguistik alks Kulturiwssenchaft. Festschrift für Bernd Spillner zum 60. Geburstag, Frankfurt am Main, Peter Lang, 2001

16 Annegret Bollée

Le découpage des unités lexicales

TED, Textes, Études et Documents 9, Ibis rouge, 2001

17 Annegret Bollée

Lexicographie créole : problèmes et perspectives 

Revue française de linguistique appliquée, 2005/1

18 Serge Colot

Guide de lexicologie créole

Ibis rouge, 2002

19 Raphaël Confiant

Katjil asou poblenm pawol-nef adan kréyol jôdijou

Espace créole, 11/2002

20 Marie-Christine Hazaël-Massieux

Où l’on retrouve les dictionnaires créoles… à la recherche de l’impossible définition

Hazaël-Massieux & de Robillard (éds.), 1997

Paru dans Marie-Christine Hazaël-Massieux / Didier de Robillard (éds), Contacts de langues, contacts de cultures, créolisation

21 Élodie Jourdain

Le vocabulaire du parler créole de la Martinique

Éditions Klincksieck, 1956

22 Lambert-Félix Prudent

Les nouveaux défis de la standardisation. Comment écrire les langages littéraires, techniques et scientifiques en créole martiniquais ?

Éd. modulaires européennes, Univ. de La Réunion, 2003

Dans Anciens et nouveaux plurilinguismes -Actes de la 6eTable ronde du Moufia

23 Michel Francard, Pergia Gkouskou-Giannakou, Axel Gauvin

Les langues créoles : éclairages pluridisciplinaires

L’Harmattan, 2017

24 Robert Berrouët-Oriol

Essai de typologie de la lexicographie créole de 1958 à 2022 

Le National, 21 juillet 2022

Sur le plan historique nous avons déterminé, en ce qui a trait à Haïti, que l’œuvre fondatrice de la lexicographie créole est le « Lexique créole-français » du linguiste Pradel Pompilus (Université de Paris, 1958). En ce qui a trait aux créoles apparus dans des aires géographiques différentes, les œuvres fondatrices sont beaucoup plus anciennes vu l’existence de « glossaires et dictionnaires créoles, dont les premiers datent du XVIIIe siècle et qui n’ont pas encore atteint l’étape finale du dictionnaire monolingue » (…). À l’instar de la description de beaucoup d’autres langues, la lexicographie créole commence par des glossaires et dictionnaires compilés par des missionnaires. Les tout premiers dictionnaires créoles sont l’œuvre de deux Frères Moraves : le Criolisches Wörterbuch de C.G.A. Oldendorp (1767-68), dictionnaire du negerhollands (‘hollandais des nègres’) qui était parlé aux Iles Vierges jusqu’au XXe siècle, et le Wörterbuch des Saramakkischen de J.A. Riemer (1779). Le dernier en date des ouvrages de religieux est le Dictionnaire du créole de Marie-Galante (1994) du Père Barbotin. « L’œuvre fondatrice » (Fattier, 1997, 256) de la lexicographie des créoles français, le vocabulaire français-créole dans le Manuel des Habitants de Saint-Domingue du missionnaire jésuite S.J. Ducœurjoly (1802), est une source très précieuse pour l’histoire du vocabulaire haïtien. Ce glossaire contenant 395 entrées, suivi de conversations français-créoles, était destiné aux futurs colons de Saint-Domingue. En vue de ce public, le vocabulaire concernant les réalités coloniales (flore, faune, alimentation, culture de la canne, etc.) est privilégié dans la nomenclature (Fattier, 1997, 260). (Annegret Bollée : « Lexicographie créole : problèmes et perspectives » (Revue française de linguistique appliquée, 2005/1).

La dette de la lexicographie créole contemporaine envers ses pionniers est historiquement consignée dans des études de premier plan, en particulier dans :

  1. « Prolégomènes à une néologie créole » de Marie-Christine Hazaël-Massieux, article paru dans la Revue française de linguistique appliquée, 2002/1, vol. VII, pour ce qui a trait à la néologie.

  1. « Vers un dictionnaire scolaire bilingue pour le créole haïtien ? » d’Albert Valdman, article paru dans La linguistique, 2005/,1, vol. 41, pour ce qui a trait à la dictionnairique créole.

  1. « Un quart de siècle de lexicographie du créole haïtien (1975-2000) » d’Henry Tourneux, pour ce qui a trait à la taxonomie de la lexicographie créole. Cet article est paru dans « À l’arpenteur inspiré – Mélanges offerts à Jean Bernabé », ouvrage dirigé par Raphaël Confiant et Robert Damoiseau (Éditions Ibis rouge, Matoury, Guyane, 2006).

Dans le prolongement de ces incontournables travaux de nos aînés-pionniers, nous avons proposé la vision modélisée de l’ancrage dans la méthodologie de la lexicographie professionnelle. Cette vision est exposée dans plusieurs de nos articles, notamment dans :

  1. La lexicographie créole en Haïti : retour-synthèse sur ses origines historiques, sa méthodologie et ses défis contemporains (Rezonòdwès, 11 décembre 2023). 

  1. La lexicographie créole en Haïti : pour mieux comprendre le rôle central de la méthodologie dans l’élaboration du dictionnaire créole,  (Rezonòdwès, 16 décembre 2023).   

Parmi les divers articles que nous avons consacrés à la lexicographie créole contemporaine, les deux études ici identifiées exposent avec constance le rôle central de la méthodologie de la lexicographie professionnelle telle qu’elle est enseignée à l’échelle internationale dans les départements de linguistique et dans les programmes de lexicographie, de traduction et de terminologie. Nous exposons ci-après les raisons pour lesquelles nous accordons autant d’importance au cadre méthodologique normatif de la lexicographie créole contemporaine : celle-ci a des assises épistémologiques et Annegret Bollée en a présenté les constituants dans son étude « Lexicographie créole : problèmes et perspectives » (Revue française de linguistique appliquée, 2005/1). Elle nous les présente dans les termes suivants :

« Les problèmes et méthodes de la lexicographie créole sont en principe les mêmes que pour la description d’autres langues. Certains problèmes spécifiques se posent, cependant, pour trois raisons :

  1. à cause de la fonction et de l’importance des dictionnaires dans le contexte de l’aménagement linguistique et de l’enrichissement lexical de langues nouvellement accédées à l’écriture ;

  2. à cause du fait que les créoles sont issus de langues de base et coexistent, dans la plupart des cas, avec ces langues dans les mêmes communautés linguistiques ;

  3. à cause de la situation sociolinguistique de diglossie qui, dans le passé récent, manifeste des signes de changement dans le sens d’une répartition moins rigide des variétés “hautes” et “basses” : d’une part, les créoles, variétés basses selon la description classique de Ferguson, ont conquis du terrain dans les domaines de la variété haute, d’autre part, ces langues traditionnellement stigmatisées comme “langues des esclaves”, ont gagné en prestige » (Annegret Bollée, op. cit.).

Retour-synthèse sur les défis méthodologiques de la lexicographie créole contemporaine.

En amont s’impose un indispensable rappel :

(1) Tel qu’illustré au tableau 1, la lexicographie créole contemporaine est jeune, elle date des travaux pionniers de Pradel Pompilus : « Lexique créole-français », Université de Paris, 1958 et « Lexique du patois créole d’Haïti », Syndicat national de l’édition, Paris, 1961.

(2) La lexicographie créole contemporaine, dès ses premiers pas, a dû définir son cadre conceptuel tout en élaborant ses dictionnaires (voir Pradel Pompilus, « État présent des travaux de lexique sur le créole haïtien » (revue Études créoles no 1, 1978), et Annegret Bollée, « Lexicographie créole : problèmes et perspectives » (Revue française de linguistique appliquée, 2005/1).

(3) Au fil des ans la lexicographie créole a connu divers épisodes de navigation à vue, l’amateurisme erratique des uns et des autres couplé à une lourde ignorance de la méthodologie de la lexicographie professionnelle (voir nos articles « Essai de typologie de la lexicographie créole de 1958 à 2022 », Le National, 21 juillet 2022, et « La lexicographie créole en Haïti : pour mieux comprendre le rôle central de la méthodologie dans l’élaboration du dictionnaire créole », Rezonòdwès, 16 décembre 2023).   

(4) La lexicographie, discipline de la linguistique appliquée, est enseignée depuis seulement une dizaine d’années en Haïti, notamment à la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti. Ces dernières années elle n’a pas actualisé ses assises théoriques et méthodologiques et elle n’a élaboré qu’un nombre limité de dictionnaires.

Tel que précisé auparavant le tout premier document lexicographique créole, le « Lexique créole-français », a été élaboré en 1958 par Pradel Pompilus. Les deux plus récents ouvrages, le « Dictionnaire de droit du travail » de Philippe Volmar (Éditions Charesso) et le « Diksyonè jiridik kreyòl » de Price Cyprien et Nathalie Cyprien (édition à compte d’auteur), ont été édités en 2024. L’on observe que cette très récente production dictionnairique est de grande qualité lexicographique avec l’ouvrage de Philippe Volmar mais elle est de médiocre qualité lexicographique avec l’ouvrage de Price et Nathalie Cyprien (voir nos comptes-rendus analytiques : « Le « Dictionnaire de droit du travail » de Me Philippe Junior Volmar, une œuvre de grande qualité lexicographique », Madinin’Art, 1er octobre 2024), et « Le naufrage de la terminologie juridique créole dans le « Diksyonè jiridik kreyòl » de Price Cyprien et Nathalie Wakam Cyprien », Rezonòdwès, 27 août 2024).

Le tableau 2 expose un échantillonnage d’ouvrages lexicographiques élaborés en conformité avec la méthodologie de la lexicographie professionnelle ; le tableau 3 présente un échantillonnage d’ouvrages lexicographiques élaborés en dehors de la méthodologie de la lexicographie professionnelle ; le tableau 4 renseigne sur les critères méthodologiques d’élaboration des dictionnaires et des lexiques créoles. Ces différents tableaux sont conformes à l’identification des 80 ouvrages élaborés entre 1958 et 2024 par la lexicographie créole.

TABLEAU 2 / Échantillonnage d’ouvrages lexicographiques élaborés en conformité avec la méthodologie de la lexicographie professionnelle

Titre de l’ouvrage Auteur(s) Date de publication Éditeur
  1. Ti diksyonnè kreyòl-franse
Henry Tourneux, Pierre Vernet et al.

1976

Éditions caraïbes
  1. Haitian Creole – English – French Dictionary (vol. I et II)
Albert Valdman (et al.)

1981

Creole Institute, Bloomington University
  1. Petit lexique créole haïtien utilisé dans le domaine de l’électricité 
Henry Tourneux

1986

CNRS, Cahiers du Lacito
  1. Diksyonè òtograf kreyòl ayisyen 
Pierre Vernet, B. C. Freeman

1988

Sant lengwistik aplike, Inivèsite Leta Ayiti
  1. Dictionnaire préliminaire des fréquences de la langue créole haïtienne 
Pierre Vernet, B. C. Freeman

1989

Sant lengwistik aplike, Inivèsite Leta Ayiti
  1. Dictionnaire inverse de la langue créole haïtienne / Diksyonè lanvè lang kreyòl ayisyen
Bryant Freeman

1989

Sant lengwistik aplike, Inivèsite Leta Ayiti
  1. Dictionnaire de l’écolier haïtien 
André Vilaire Chery et al.

1996

Hachette-Deschamps / EDITHA
  1. Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en Haïti (tomes 1 et 2)
André Vilaire Chery

2000 et 2002

Éditions Édutex
  1. Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary 
Albert Valdman

2007

Creole Institute, Indiana University  
  1. Vocabulaire de droit du travail
Philippe Volmar Junior

2024

Éditions Charesso

NOTE AU TABLEAU 2 – Sur les 80 ouvrages élaborés entre 1958 et 2024 par la lexicographie créole, seuls 10 sont conformes à la méthodologie de la lexicographie professionnelle. Cela illustre l’ampleur de l’un des plus grands défis de la lexicographie créole contemporaine : rompre avec l’amateurisme ainsi qu’avec les approximations idéologiques et identitaristes, instituer durablement toute activité lexicographique sur le terrain des sciences du langage.

TABLEAU 3 / Échantillon d’ouvrages lexicographiques élaborés en dehors de la méthodologie de la lexicographie professionnelle

Titre de l’ouvrage

Auteur(s)

Catégorie

Caractéristiques lexicographiques

Diksyonè kreyòl Vilsen 

Maud Heurtelou, Féquière Vilsaint

Dictionnaire unilingue créole. Format papier.

Lacunes récurrentes dans la définition de nombreux termes.

Leksik kreyòl : ekzanp devlopman kèk mo ak fraz a pati 1986 

Emmanuel Védrine

S’intitule « leksik » alors qu’il est un glossaire unilingue créole. Accès Web.

Nombre de « mots vedettes » placés en « entrée » sont des slogans, des bouts de phrases ou des proverbes. De nombreuses définitions sont fausses.

Diksyonè kreyòl karayib 

Jocelyne Trouillot

Dictionnaire unilingue créole au format papier uniquement.

Lacunes récurrentes dans la définition de nombreux termes. De nombreuses définitions sont fausses. Plusieurs « mots vedettes » placés en « entrée » ne sont pas des unités lexicales : ce sont des toponymes ou des odonymes.

Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative 

MIT – Haiti Initiative 

Lexique bilingue anglais-créole. Accès Web uniquement.

Nombreux équivalents « créoles » fantaisistes, erratiques, faux, a-sémantiques et ne respectant pas les règles morphosyntaxiques du créole. Nombreux néologismes fantaisistes, erratiques et a-sémantiques.

EXEMPLIFICATION DU TABLEAU 3 / Ouvrages élaborés en dehors de la méthodologie de la lexicographie professionnelle : errance méthodologique dans l’antichambre de la créolistique

Au chapitre des lexiques et des dictionnaires élaborés en dehors de la méthodologie de la lexicographie professionnelle, l’évaluation analytique du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » est riche d’enseignements, notamment en ce qui a trait au CRITÈRE DE L’EXACTITUDE DE L’ÉQUIVALENCE LEXICALE CONJOINT À CELUI DE L’ÉQUIVALENCE NOTIONNELLE : CE CRITÈRE MAJEUR PLACÉ AU CENTRE DE TOUTE RIGOUREUSE DÉMARCHE LEXICOGRAPHIQUE ET TERMINOLOGIQUE est absent dans la majorité des pseudo équivalents « créoles » de ce « Glossary ». Il est utile de réactiver une brève évaluation critique de ce « Glossary », ouvrage mal dénommé puisqu’il s’agit en réalité, selon la tradition lexicographique, d’un lexique listant des termes sans « gloses » définitoires.

Les rédacteurs-bricoleurs du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative », étrangers à la théorie et à la pratique de la lexicographie professionnelle, confondent « lexique » et « glossaire », celui-ci étant selon la plus ancienne tradition lexicographique

un recueil unilingue de termes rares ou anciens suivis de leur définition. Une glose est un commentaire linguistique ajouté dans les marges ou entre les lignes d’un texte pour expliquer un mot étranger ou dialectal. Un glossaire est pour l’essentiel une « collection de gloses », c’est-à-dire, au sens premier, une liste de définitions explicitant des termes obscurs ou anciens. Le terme glossaire est souvent confondu avec lexique, celui-ci étant une liste de termes dans une langue donnée accompagnés de leurs équivalents dans une

autre langue ; le lexique ne comporte ni définitions ni notes. (NOTE — Sur l’étude historique des « glossaires », et en ce qui a trait aux « glossaires d’édition », voir Jean-Pierre Chambon, Université de Paris-Sorbonne : « Lexicographie et philologie : réflexions sur les glossaires d’éditions de textes (français médiéval et préclassique, ancien occitan) », Revue de linguistique romane, 70 (2006) : « Dans le modèle traditionnel (…) le glossaire a pour unique ou principale fonction « l’explication des termes, sens ou formes, difficiles et rares ou particuliers au texte qu’il publie ou qui appartiennent à un vocabulaire exceptionnel, local ou technique (…) Variations stylistiques mises à part, le glossaire est ainsi conçu comme une aide apportée au lecteur dans les cas difficiles ».) La promotion d’un pseudo « modèle » lexicographique essentiellement rachitique et pré-scientifique, de type Wikipedia, et celle d’une erratique « lexicographie borlette » au MIT

Haiti Initiative –qui a bricolé dans un grand brouillard conceptuel le très médiocre « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative »–, constituent un naufrage caractérisé sur le chemin de l’établissement d’une lexicographie créole de haute qualité scientifique. Ainsi, sur le site du MIT Haiti Initiative, le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » est présenté en ces termes : « Kreyòl-English glosses for creating and translating materials in Science, Technology, Engineering & Mathematics (STEM) fields in the MIT- Haiti Initiative » [« Glossaire kreyòl-anglais pour la création et la traduction de matériel dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STEM) dans le cadre de l’initiative MIT-Haïti ». [Traduction de RBO.]

Il faut prendre toute la mesure que l’aventureuse prétention du MIT-Haiti Initiative de fournir un « Glossaire » destiné à « la création et à la traduction de matériel dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STEM) » ne repose sur aucune base scientifique vérifiable. Les rédacteurs-bricoleurs du fantaisiste « Glossary », dépourvus de la moindre compétence connue en lexicographie créole, soutiennent malgré cela mener une entreprise de néologie créole. En effet, l’élaboration du « Glossary » est présentée, sur le site du MIT – Haiti Initiative –au chapitre « Kreyòl-English glosses for creating and translating materials in Science, Technology, Engineering & Mathematics (STEM) fields in the MIT-Haiti Initiative »–, dans les termes suivants : « (…) l’un des effets secondaires positifs des activités du MIT-Haïti (ateliers sur les STEM, production de matériel en kreyòl de haute qualité, etc.) est que « nous enrichissons la langue d’un nouveau vocabulaire scientifique » qui peut « servir de ressource indispensable aux enseignants et aux étudiants. Ces activités contribuent au développement lexical de la langue ». De telles prétentions à élaborer une néologie créole sont loin de satisfaire aux règles constitutives de la néologie scientifique et technique en langue créole : l’on observe qu’un nombre élevé de pseudo termes « créoles » du « Glossary » du MIT Haiti Initiative ne respectent pas le principe d’équivalence lexicale et notionnelle et qu’ils ne sont pas compréhensibles pour le locuteur créolophone (voir le tableau 3-A). Il y a lieu de préciser que sur le registre de la langue générale n’importe quel locuteur créolophone peut en tout temps créer des mots nouveaux pour répondre à ses besoins de communication dans un contexte donné –l’on désigne ce processus par le terme générique « néologie spontanée ». Le locuteur créé alors tout naturellement des néologismes qui respectent les règles morphosyntaxiques du créole. Le locuteur créolophone peut également adopter et adapter des termes de la langue générale ainsi que des termes techniques et scientifiques provenant d’une autre langue : il s’agit alors de « néologisme d’emprunt ». Celui-ci désigne le processus par lequel un terme ou un trait linguistique d’un mot est emprunté à une langue étrangère. Cela peut inclure des emprunts intégraux ou partiaux, où des unités lexicales d’une langue sont intégrées dans une autre langue. Par exemple, le terme « moudjahidine » est un emprunt à l’arabe, tandis que « blogue » est un emprunt à l’anglais. Dans le Grand dictionnaire terminologique, le « néologisme d’emprunt » est défini en ces termes : « Néologisme créé par l’emprunt intégral ou l’emprunt partiel, à une langue étrangère, d’un terme ou d’un trait linguistique d’un terme ».

À propos des concepts de « néologie » et « néologisme », le linguiste-terminologie Jean-Claude Boulanger nous instruit, en ce qui a trait au français, que « L’enracinement historique permettra de remonter aux sources du français et de mettre en parallèle les deux grands procédés de formation des mots d’une langue : l’évolution phonétique ou l’héritage et la création interne, à laquelle on ajoutera l’enrichissement externe réalisé par l’emprunt. Plonger dans l’héritage exige un retour vers les origines du français au Moyen Âge afin de voir si les mots issus du latin peuvent être associés aux néologismes. Notre hypothèse soutient que tout mot fut nécessairement néologique à un moment donné, ce qui entraîne une définition de la néologie intégrant cette vision. En raison de sa dimension diachronique, Alain Rey (1976 : 13) avance que « le concept n’est pas pertinent » et que « la nullité opératoire » doit être neutralisée en prenant en compte une synchronie plus vaste. L’idée devient pertinente lorsque le néologisme est considéré du point de vue de son enveloppe signifiante (formelle) et qu’on fait intervenir le repérage chronologique, non seulement sous l’angle de son amplitude historique, mais en vertu de critères synchroniques. Toute graphie qui ne fut jamais observée avant son repérage dans un manuscrit ou sur un autre support d’écriture pourrait être considérée comme néologique. Cette approche révèle une conception de la néologie qui inclut qu’en plus de la création interne et de l’emprunt, elle tient compte d’une autre donnée historique, en l’occurrence l’évolution, et que celle-ci est vue comme une source de création lexicale. C’est dire que la néologie s’est exercée dans le continuum latin, du moins pour les langues romanes. L’angle d’approche oblige à revoir les conditions liées au préalable orthonymique. L’orthonymie est un principe essentiel de la néologie. Ce terme, dû à Alain Rey (voir 1983a : 282 et 301), s’associe à l’idée de réguler les désignations, c’est-à-dire à réduire les ambiguïtés dénominatives, à les harmoniser sur le plan paradigmatique, tout en tenant compte de la nature du système linguistique concerné, de sa capacité de production et de son fonctionnement. Le sens compositionnel du terme orthonymie renvoie plus précisément à l’idée de définir des lois et des règles (grec ortho-) graphiques applicables au nom (grec –onoma). Elle prend la figure d’une référence normative qui présuppose l’existence d’une série de conventions quant à l’écriture des mots. Ce réglage graphique convoque la morphologie et la grammaire. Le mot nouveau devrait donc intégrer le lexique en se soumettant aux protocoles graphiques définis dans le code » (source : « Sur l’existence des concepts de « néologie » et de « néologisme » : propos sur un paradoxe lexical et historique », par Jean-Claude Boulanger (Université Laval) ; article paru en 2010 dans Maria Teresa Cabré, Actes del Congrès internacional de neologia de les Llengües româniques, Barcelone, Institut universitari de lingüistica aplicada) ; voir aussi notre contribution intitulée « La néologie scientifique et technique, un indispensable auxiliaire de la didactisation du créole haïtien », ; étude parue dans le livre collectif de référence « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti », par Robert Berrouët-Oriol et alii, Éditions Zémès et Éditions du Cidihca, 2021).

Sur un registre différent de celui de la « néologie spontanée », la « néologie planifiée » ou la « néologie institutionnelle planifiée » sont étudiées par Jean-Claude Boulanger au titre d’une « démarche interventionniste » (d’un État ou d’un groupe de locuteurs). Ainsi, « L’innovation spontanée est du ressort individuel et se réfère le plus souvent au discours quotidien et habituel des usagers. L’innovation planifiée relève d’une concertation que l’on peut qualifier d’institutionnelle, dirigée de l’intérieur par un groupe de locuteurs à qui on reconnaît professionnellement le pouvoir de créer des mots nouveaux. Elle vise avant tout à satisfaire des besoins terminologiques de toute nature. La stratégie de création dans ce cas est celle qui permet à l’individu ou aux individus formant le groupe créateur de s’effacer derrière l’institution qu’ils représentent » (Jean-Claude Boulanger, « L’innovation lexicale spontanée et l’innovation lexicale planifiée », Actes du 10ème colloque de la Société internationale de linguistique fonctionnelle, Université Laval, 7-13 août 1983).

TABLEAU 3.A / Échantillon de pseudo équivalents « créoles » provenant du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative »

Termes anglais

Équivalents « créoles** 

air resistance rezistans lè [1,3,4]
air track pis kout lè // pis ayere [1,2,3,4]
and replica plate on epi plak pou replik sou [1,2,3,4]
escape velocity vitès chape poul [1,3,4]
multiple regression analysis analiz pou yon makonnay regresyon [1,2,3,4]

center of mass sant mas yo [1,2,3,4]
checkbox bwat tchèk [1,2,3,4]
flux meter flimèt [1,3,4]
line integral  entegral sou liy [1,2,3,4]

how many more matings would you like to perform ?

konbyen kwazman ou vle reyalize ? [1,4]

** Remarques analytiques sur ces équivalents « créoles » : 1 = équivalent faux et/ou fantaisiste et/ou qui ne constitue pas une unité lexicale ; 2 = équivalent non conforme à la morphosyntaxe du créole ; 3 = équivalent présentant une totale opacité sémantique ; 4 = équivalent dont la catégorie lexicale n’est pas précisée.

L’usager qui consulte à ses risques et périls le « Glossary » du MIT Haiti Initiative n’est pas renseigné sur les critères méthodologiques/lexicographiques d’établissement du corpus de référence en langue de départ, l’anglais. Il n’est pas non plus renseigné sur les critères lexicographiques au fondement de l’établissement de la nomenclature des termes rassemblés dans le « Glossary ».  De la sorte, l’usager est démuni et il ne peut pas savoir si les équivalents « créoles » des termes anglais proviennent de sources documentaires créoles identifiables et fiables. Et dans la mesure où le « Glossary » du MIT Haiti Initiative n’expose pas les critères strictement lexicographiques de son élaboration, l’usager ne dispose d’aucun critère relatif à la conformité notionnelle entre les termes anglais et les pseudo équivalents « créoles » qui lui sont infligés dans un grand brouillard notionnel. Par exemple, le terme anglais « line integral » est traduit par « entegral sou liy » : agrammatical, ce peudo équivalent « créole » ne signifie rien en créole, il est sémantiquement opaque et n’appartient pas, dans le domaine mathématique, au champ sémantique de l’« intégrale de ligne » et de son synonyme « intégrale curviligne » tels qu’ils figurent dans le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française. Quant à eux, les pseudo équivalents « créoles » du type « epi plak pou replik sou » et « vitès chape poul » –manifestement bricolés par des amateurs qui n’ont aucune compétence connue en traduction scientifique créole et encore moins en lexicographie créole–, sont non seulement agrammaticaux et fantaisistes, mais ils sont surtout totalement incompréhensibles du locuteur créolophone… Dans l’hypothèse où les pseudo équivalents « créoles » du « Glossary » seraient pour la plupart des néologismes « inventés » par les rédacteurs-bricoleurs du MIT Haiti Initiative, l’usager n’est pas renseigné sur les critères lexicographiques d’élaboration de ces éventuels néologismes. Cette lourde lacune méthodologique illustre elle aussi l’amateurisme de la lexicographie borlette promue et mise en œuvre au MIT Haiti Initiative qui, il faut le rappeler, n’a produit jusqu’à aujourd’hui aucune étude théorique de référence sur la lexicographie créole et encore moins sur la néologie créole. La lexicographie n’est pas enseignée au Département de linguistique du MIT et les rédacteurs-bricoleurs du fantaisiste « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative », selon l’information accessible sur le site de cette entité académique, ne disposent d’aucune compétence connue en lexicographie créole. Au bilan analytique du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative », nous avons noté qu’aucun des enseignants haïtiens que nous avons interrogés sur leur compréhension de ces pseudo équivalents « créoles » n’a jugé qu’il serait utile et opportun d’envisager l’utilisation de ce « Glossary » dans l’enseignement des sciences et des techniques dans les écoles haïtiennes –alors même que le MIT Haiti Initiative prétend frauduleusement que « nous enrichissons la langue d’un nouveau vocabulaire scientifique qui peut « servir de ressource indispensable aux enseignants et aux étudiants ». Il est d’ailleurs symptomatique et révélateur qu’aucune école, aucune Faculté, aucun Institut, aucun Centre de formation technique en Haïti n’a formellement recommandé l’usage de ce fantaisiste et erratique « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » pour assurer l’enseignement en langue maternelle créole des sciences et des techniques.  

TABLEAU 3.B / Comparatif de la non-conformité lexicale entre un échantillon d’équivalents « créoles » du « Glossary » du MIT Haiti Initiative avec les notions correspondantes dans le Grand dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française

Termes anglais suivis des équivalents « créoles » du « Glossary » du MIT Haiti Initiative

Termes français du GDT, suivis du domaine d’emploi générique

air resistance / rezistans lè

résistance atmosphérique (n.f.)

perméabilité à l’air (n.f.)

résistance à l’air (n.f.)

[domaines d’emploi : astronautique, industrie papetière, physique]

air track / pis kout lè, pis ayere

rail à coussin d’air (n.m.)

[domaine d’emploi : chemin de fer]

escape velocity / vitès chape poul

vitesse de libération (n.f.)

[domaine d’emploi : astronomie | astronautique]

multiple regression analysis / analiz pou yon makonnay regresyon

analyse de régression multiple (n.f.) régression multiple (n.f.)

[domaine d’emploi : statistique]

center of mass ; terme associé :  barry center / sant mas yo

centre de masse, centre de gravité (n.m.)

[domaine d’emploi : physique]

check box ; checkbox button / bwat tchèk 

case à cocher (n.f.)

[domaine d’emploi : informatique > écran d’ordinateur]

flux meter ; fluxmeter / flimèt

fluxmètre (n.m.)

[domaine d’emploi : électricité, physique]

line integral / entegral sou liy

intégrale de ligne /  intégrale curviligne (n.f.)

[domaine d’emploi : mathématiques]

La comparaison à l’aide de ce tableau est éclairante à plusieurs titres et elle conforte, entre autres, le constat de la fausseté et de l’inadéquation d’un très grand nombre d’équivalents « créoles » contenus dans le « Glossary » du MIT Haiti Initiative. Par exemple, les traits définitoires des équivalents français de « air resistance » apparaissent dans leur univocité dénominative : « résistance atmosphérique », « perméabilité à l’air », « résistance à l’air ». L’idée de « résistance » et de son complément notionnel « perméabilité » est justement mise en évidence dans le choix traductionnel, tandis que le segment « lè » dans le terme complexe « rezistans lè » renvoie à des traits polysémiques indéterminés et imprécis et l’on ne sait pas à quel sens de « lè » se rattache « rezistans lè ». À l’inverse, dans l’excellent et rigoureux « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » d’Albert Valdman (Indiana University, Creole Institute, 2007), aux pages 419 – 420, le terme « lè » figure dans ses différentes acceptions et catégorisations lexicales : « lè » /prep = preposition/ = « time (hour) » ; « lè » = « clock » watch » /n. = noun/ ; « lè » (« è », « dè », « zè » /n./noun/ = « air » ; « lè » = « melody », « tune » /n. = noun/ ; « lè » /n. = noun/ = « appareance » ; « lè », « lò » /conj. = conjunction/ « when », « while ».

Rappel des critères méthodologiques mis en œuvre dans l’élaboration des dictionnaires et des lexiques créoles

Le protocole méthodologique de la lexicographie professionnelle comprend les séquences suivantes liées entre elles : (1) la détermination du projet éditorial et l’exposé de la méthodologie adoptée par les rédacteurs du dictionnaire ; (2) l’établissement du corpus dictionnairique ; (3) la confection de la nomenclature et le nombre de termes retenus ; (4) le traitement des données lexicographiques présentées à la suite des « mots-vedettes » (les « entrées », classées en ordre alphabétique dans les « rubriques » comprenant les définitions. Le dictionnaire peut également comprendre des énoncés du type « contexte définitoire » ainsi que des notes complémentaires ou illustratives. 

Le protocole méthodologique de la lexicographie professionnelle implique une approche rigoureuse et structurée dans l’élaboration des dictionnaires. Il englobe plusieurs étapes clés, allant de la collecte de données à la rédaction des définitions et exemples, en passant par le choix des mots-vedettes et la classification des sens. L’objectif est de produire un ouvrage fiable, scientifiquement pertinent et utile pour les utilisateurs. 

Les principales étapes du protocole méthodologique en lexicographie professionnelle sont les suivantes :

  1. Étape initiale 

Détermination du projet initial et des cibles à atteindre : dictionnaire généraliste ou dictionnaire scolaire ou dictionnaire spécialisé, etc. s’adressant à des clientèles scolaires ou au grand public ou à des spécialistes d’un domaine particulier.

  1. Collecte des données

Il s’agit de rassembler un corpus de données linguistiques pertinent, incluant des textes, des enregistrements oraux et des exemples d’utilisation de la langue. 

  1. Choix des mots-vedettes

La sélection des mots qui seront inclus dans le dictionnaire est une étape cruciale, basée sur des critères de fréquence, de pertinence et d’usage. 

  1. Définition et description des sens

Pour chaque mot-vedette, il est nécessaire de définir clairement son sens, ses différentes acceptions, et de fournir des exemples d’utilisation pour illustrer ces sens. 

  1. Choix de la structure et de la mise en page

Le dictionnaire doit être organisé de manière logique et claire, avec des règles cohérentes pour la présentation des informations. 

  1. Rédaction de l’introduction et du guide de l’utilisateur

Ces sections permettent d’expliquer les principes et la méthode utilisés dans le dictionnaire, ainsi que de guider les utilisateurs dans son utilisation. 

  1. Évaluation et révision

Après la rédaction, le dictionnaire doit être évalué et révisé pour garantir sa qualité et sa fiabilité. 

La lexicographie professionnelle se distingue de la lexicographie amateure par son respect de ces protocoles méthodologiques rigoureux, garantissant ainsi la qualité et la scientificité du travail réalisé. Elle s’appuie sur des principes établis et des normes reconnues pour la création de dictionnaires fiables et utiles. Des exemples de lexicographie amateur sont donnés au tableau 3.

TABLEAU 4-A / Exemple de rubrique lexicographique provenant d’un dictionnaire bilingue anglais-créole de haute qualité scientifique, le « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » d’Albert Valdman (Creole Institute, Indiana University, 2007, p. 559)

Terme créole

Catégorie grammaticale

Définition (ou contexte ou note)

Terme apparenté

Locution illustrative + renvoi notionnel

pipirit 1

nom

Kind of small

bird

pipirit chandèl,

pipirit gri,

pipirit gwo tèt,

pipirit pa chante,

pipirit rivyè,

pipirit tètfou

/see/ pripri ; pipirit gri,

pipirit gwo tèt,

pipirit pa chante,

pipirit rivyè,

pipirit tètfou

Définition 2  
Hispaniolan pitchary

pipirit 2

Contexte 2 : At the crack of dawn / Li kite kay li maten an o pipirit chantan / She left the house at dawn

TABLEAU 4-B / Modélisation des rubriques lexicographiques dans le « Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en Haïti » d’André Vilaire Chery (tomes 1 et 2, Éditions Édutex, 2000 et 2002)

Terme + catégorie lexicale

Indicatif de pays [« Français d’Haïti]

Définition [DEF] et/ou « phrase exemple » [PEX]

Synonyme [SYN] ou Antonyme [ANT] ou renvoi analogique [RENV]

déchouquer v. [sens] 1, 2, 3

FH

[PEX] Le président Jean-Claude Duvalier a été déchouqué le 7 février 1986 : il a été renversé du pouvoir dans une atmosphère de violence (déchouquage sens 1). 2. On a déchouqué la maison de l’ex-Premier ministre, on l’a pillée, ou incendiée en représailles (déchouquage, sens 2). 3. Ce directeur général a été déchouqué : il a été destitué de manière arbitraire par des actions violentes (déchouquage, sens 3).

[Remarque RBO : les sens 1 et 2 du substantif « déchouquage » sont définis à la page 156.]

macoute1 nom f.

FH

[DEF] Grand sac de latanier que le paysan porte en bandoulière et qui sert à divers usages. [PEX] Mon papa a acheté une macoute pour aller au jardin.

Aucun

macoute2 nom m.

FH

[DEF] Nom donné aux membres de la milice créée par François Duvalier. [PEX] Les macoutes s’appelaient officiellement « Volontaires de la sécurité nationale ».

[SYN] tonton-macoute. Chercher aussi : milice

[RENV] [Remarque RBO : Les termes « milice », « milicien », « milicienne » sont définis à la page 372.]

Dans ce dictionnaire de haute qualité scientifique, les données lexicographiques présentées à la suite des « mots-vedettes » sont modélisées en un tout d’accès simple et fonctionnel pour chaque rubrique : le terme est suivi de sa catégorie lexicale : nom, nom m., nom f., adj., v., v. impers., v. pron., adv., loc. adj., loc. adv., etc., et ces abréviations sont toutes explicitées en page 4 où figure la « Liste des abréviations ». Les rubriques du dictionnaire indiquent lorsqu’il le faut des « variantes orthographiques (akasan / acassan), elles mentionnent tantôt des synonymes, tantôt des antonymes. Elles consignent si « c’est le cas des sens nouveaux » acquis en Haïti par des termes comme « audience », « jardin », « sérum », etc. en lien avec la proximité entre le créole et le français. Dans les différentes rubriques de l’ouvrage, le « Dictionnaire de l’écolier haïtien » consigne tantôt des définitions courtes et précises, tantôt des sèmes définitoires compris dans une « phrase exemple » qui a l’avantage d’éclairer le sens du mot et son emploi dans l’environnement naturel de la phrase.

Les exemples « déchouquer » (verbe) et « déchouquage » (nom) dans le « Dictionnaire de l’écolier haïtien » sont particulièrement intéressants quant à leur éventuelle « mémoire sémantique » ou à leur « mémoire étymologique », d’autant plus qu’ils ont leurs apparentés lexicaux en créole : « dechouke », « dechoukaj » et « dechoukè ». Sous réserve d’une étude détaillée sur l’étymologie de « déchouquer » et de « déchouquage », on peut déjà noter que les termes français « chouque » / « chouquet » (nom masculin) provenant du normand « chouquet », billot, sont attestés dans Le Larousse avec la définition suivante : « Pièce de bois dur, cerclée de fer, destinée à raccorder deux pièces de mâture ». Sur le site Ortolang du CNRS (Centre national de ressources textuelles et lexicales de l’Université de Nancy), « chouque » / « chouquet » sont définis, avec le trait « Vx. » pour « vieux », comme étant un « gros billot de bois utilisé par le bourreau pour une décapitation ». Ce site précise que « chouque » est attesté depuis 1835 [?] et que « les marins disent quelquefois, par abréviation, « chouq ». Le locuteur francocréolophone a bien dans son répertoire les termes « chouk » et « chouk bwa », par ailleurs attestés dans le Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary d’Albert Valdman (Creole Institute, Indiana University, 2007), qui enregistre les sens 1 et 2 de « chouk » et dirige l’usager vers les termes « chouk bwa » et « chouk dan ». Il semble confirmé que « chouk bwa » est sémantiquement apparenté au terme français « souche » dont l’une des significations est « Le bas du tronc d’un arbre, accompagné de ses racines et séparé du reste de l’arbre. Une grosse souche. Une souche pourrie » (DicoDéfinitions, n.d.). Pour sa part, le Dictionnaire de l’Académie française (9ème édition, 1986 / 1992) consigne que « chouque », attesté au XIVème siècle, « est la forme normanno-picarde de « souche », et que « chouquet » en est le diminutif ». On peut noter que le locuteur francocréolophone a dans son répertoire le terme « choukèt lawouze », mais il faut prendre avec prudence l’ensemble des données se rapportant à ces différents termes. Enfin, dans le monumental Dictionnaire des francophones, qui comprend 400 000 termes et locutions, le verbe « déchouquer », avec son indicatif de pays, est défini comme suit : sens 1. : « Verbe, transitif. (Antilles) Destituer une personne de son poste. » ; sens 2. : « Verbe, transitif. (Antilles) Extirper, déraciner des arbres, des plantes. Enlever la souche ».

Tel que noté précédemment, le « Dictionnaire de l’écolier haïtien » exemplifie la part faite aux particularités lexicales du français régional d’Haït par la mention de « l’indicatif de pays », FH (« français d’Haïti ») et il consigne la conformité des définitions de tels termes (exemples : « déchouquage » (n.), « déchouquer » (v.) et « déchouqueur » (n.) aux pages 156, 157. Le sens « haïtien » de la « pistache » (page 444) est bien indiqué (« Nom donné en Haïti à la graine d’arachide ») et un renvoi analogique conduit aux termes sémantiquement liés « cacahuète » et « arachide » qui sont eux aussi correctement définis dans le dictionnaire. Il est également intéressant de noter que « l’indicatif de pays », FH, suit le terme « mamba » (page 355) adéquatement défini dans le contexte haïtien. Le terme « mamba » est attesté dans le monumental Dictionnaire des francophones, qui le définit par l’appel au terme complexe « beurre d’arachide » avec mention de l’aire géographique d’utilisation, Haïti. Le terme « beurre d’arachide » est d’usage courant au Québec, mais son sens « haïtien » désigné par « mamba » ne figure pas dans les dictionnaires généralistes hexagonaux tels que Le Larousse ou Le Robert. Sur le plan des renvois analogiques, qui contribuent à élargir les connaissances de l’élève par l’appel à des aires sémantiques apparentées, le terme « montre » est défini comme suit dans le « Dictionnaire de l’écolier haïtien » : « Petit instrument qui sert à indiquer l’heure / Chercher aussi : chronomètre, horloge, pendule, réveil ». Objet du renvoi analogique, ces termes sont tous définis dans le dictionnaire haïtien. Comme il est indiqué plus haut, la « Préface » du « Dictionnaire de l’écolier haïtien » expose la vision éditoriale de l’ouvrage et apporte un éclairage essentiel sur son mode d’emploi au plan pédagogique, ce qui est essentiel dans un ouvrage qui s’adresse à des écoliers. La « Préface » consigne ainsi, il faut le rappeler, cette orientation pédagogique majeure de l’ouvrage : « L’accès à la compréhension des mots est facilité par le concours mutuel que s’apportent la phrase exemple et la définition. La phrase exemple précède en général la définition. Ce choix pédagogique a l’avantage de présenter à l’élève le mot en situation d’emploi ». C’est certainement là que réside –avec une attention particulière portée aux termes du français régional d’Haïti et au souci de bâtir une œuvre dictionnairique soudée à la méthodologie de la lexicographie professionnelle–, l’une des caractéristiques novatrices singularisant ce dictionnaire scolaire. Dans l’ensemble, l’approche mise en œuvre cible un usager prioritaire, l’élève, car « En offrant aux élèves de l’École fondamentale un instrument de travail approprié à leurs besoins et à leur univers, le « Dictionnaire de l’écolier haïtien » vise à développer leur autonomie en leur donnant l’envie et les moyens de progresser dans la connaissance de la langue française, et donc : de MIEUX COMMUNIQUER » (« Préface », page 6).

ANNEXE

LISTAGE TAXONOMIQUE COMPLET DE LA LEXICOGRAPHIE CRÉOLE DE 1958 À 2024

Titre de l’ouvrage

Auteur(s)

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Éditeur

Livre imprimé ou édition électronique

  1. Lexique créole-français 

Pradel Pompilus

1958

Université de Paris

Livre imprimé

  1. Lexique du patois créole d’Haïti 

Pradel Pompilus

1961

Syndicat national de l’édition

Livre imprimé

  1. Petit dictionnaire créole

Guyomar, M.

1969

Éditeur inconnu

Livre imprimé

  1. Petit lexique des croyances populaires haïtiennes

Joris Ceuppons, Roger Désir

1973

Éditions Bon nouvel

Livre imprimé

  1. Dictionnaire français-créole 

Jules Faine

1974

Leméac

Livre imprimé

  1. Diksyonè kreyòl – fransè

Peleman L. C.

1974

Éditeur inconnu

Livre imprimé

  1. Ti diksyonè kreyòl – fransè

Alain Bentolila (et al.)

1976

Éditions caraïbes

Livre imprimé

  1. Diksyonnè kréyòl-fransé

Lodewijk Peleman

1976

Éditions Bon nouvèl

Livre imprimé

  1. Ti diksyonnè kreyòl-franse

Henry Tourneux, Pierre Vernet et al.

1976

Éditions caraïbes

Livre imprimé

  1. Diksyonnè Kréyol-Fransé / Dictionnaire créole-français

L. Peleman

1978

Bon nouvèl

Livre imprimé

  1. Éléments de lexicographie bilingue : lexique créole-français 

Ernst Mirville

1979

Biltin Institi lingistik apliké

Livre imprimé

  1. Haitian Creole – English – French Dictionary (vol. I

et II)

Albert Valdman (et al)

1981

Creole Institute

Bloomington University

Livre imprimé

  1. Manual breve de lengua creol : diccionario creol-español / español- creol

Nelson Didiez

1984

Editora Taller

Livre imprimé

  1. Diksyonè kreyòl – anglè / Creole English Dictionary

Edner Jeanty

1985

La Presse évangélique

Livre imprimé

  1. New English Creole Dictionary, with Creole-English : Dictionary for Instant Communication

George Brenton

1985

Imprimerie nouvelle

Livre imprimé

  1. Petit lexique créole haïtien utilisé dans le domaine de l’électricité

Henry Tourneux

1986

CNRS/

Cahiers du Lacito

Livre imprimé

  1. Diksyonè òtograf kreyòl ayisyen 

Pierre Vernet, B. C. Freeman

1988

Sant lengwistik aplike, Inivèsite Leta Ayiti

Livre imprimé

  1. Dictionnaire préliminaire des fréquences de la langue créole haïtienne 

Pierre Vernet, B. C. Freeman

1989

Sant lengwistik aplike, Inivèsite Leta Ayiti

Livre imprimé

  1. Dictionnaire inverse de la langue créole haïtienne / Diksyonè lanvè lang kreyòl ayisyen

Bryant Freeman

1989

Sant lengwistik aplike, Inivèsite Leta Ayiti

Livre imprimé

  1. Atlas / Leksik zo moun – Leksik an 4 lang

Michel-Ange Hyppolite

1989

Sosyete Koukouy

Livre imprimé

  1. Leksik kreyòl-franse 

Michel R. Doret

1990

Éditions Amon Râ

Livre imprimé

  1. Creole – English Dictionary / Diksyonè Kreyòl-Anglè

Féquière Vilsaint

1991

Educa Vision

Livre imprimé

  1. Diksyonè anglè kreyòl / English Kreyòl Dictionary

Féquière Vilsaint

1991

Educa Vision

Livre imprimé

  1. English Creole idiomatic expressions

Féquière Vilsaint

1992

Educa Vision

Livre imprimé

  1. Haitian Creole – English Haitian Creole Dictionary

Bryant C. Freeman

1992

University of Kansas, Institute of Haitian Studies [ ? ]

Livre imprimé

  1. Haitian-English English-Haitian Medical Dictionary with Glossary of Food and DrinK

Bryant C. Freeman

1992

University of Kansas, Institute of Haitian Studies [ ? ]

Livre imprimé

  1. Dictionary of Haitian Creole Verbs With Phrases And Idioms

Emmanuel W. Védrine

1992    

Soup To Nuts Publishers

Livre imprimé

  1. Le petit Pradel : dictionnaire bilingue : kreyol ayisyen-fransè, français-créole haïtien : accompagné d’un essai de dictionnaire etymologique

Marie-José Sanglard-Pradel et Christian Sanglard-Pradel

1992

Châtelaine/

Genève, Suisse

Livre imprimé

  1. English – Haitian Creole – English glossary of Mathematics terms

Ramon C. Cortines

1993

Éditeur inconnu

Livre imprimé

  1. Dictionary of Haitian Creole verbs

Emmanuel W. Védrine

1993 [ ? ]

Educa Vision Inc.

Livre numérique

  1. Diksyonè Kreyòl – Anglè – Fransè Manman Penmba

Deslande Rincher

1993

Éditeur inconnu

Livre imprimé

  1. Haitian Creole – English dictionary

Jean Targete et Raphael Urciolo

1993

Dunwoody Press

Livre imprimé

  1. Diksyonè kreyòl Vilsen 

Maud Heurtelou, Féquière Vilsaint

1994

Éduca Vision

Livre imprimé + Livre numérique

  1. Diksyonè fransè-kreyòl, kreyòl-fransè : petite grammaire de la langue créole

Patrick Phanord

1994

Éditeur inconnu

Livre imprimé

  1. Diksyonè an twa lang, Kreyòl-Anglè-Fransè

Deslande Rincher

1994

Rincher & Associates

Livre imprimé

  1. Petit lexique du créole haïtien

Emmanuel Védrine

1995

E.W. Vedrine Publications

Édition électronique

  1. Haitian Creole – English / English Haitian Creole Dictionary

Charmat Théodore

1995

Hippocrene Books

Livre imprimé

  1. Science Dictionary / Diksyonè Syans

Féquière Vilsaint

1995

Educa Vision

Livre imprimé

  1. Haitian-English Dictionary

Bryant C. Freeman et Jowel C. Laguerre

1996

University of Kansas, Institute of Haitian Studies et La Presse évangélique

Livre imprimé

  1. Haitian Creole (Kreyol)-English Pocket Medical Translator

Marcus Harding

1996

International Medical Volunteers Association

Livre imprimé

  1. Pictorial English/Haitian Creole dictionary 

Féquière Vilsaint, Maude Heurtelou

1996

Educa Vision

Livre imprimé

  1. English Haitian-Creole science dictionary / Diksyonè syans Angle-Kreyòl

Féquière Vilsaint, Maude Heurtelou

1996

Educa Vision

Livre imprimé

  1. Dictionnaire bilingue : Kreyòl ayisyen – Franse, Français – Créole haïtien

Marie-José et Christian Sanglard-Pradel

1997

Éditeur inconnu

Livre imprimé

  1. Haitian Creole-English/English-Haitian Creole Compact Dictionary

Mladen Davidovic

1997

Hippocrene Books, Incorporated

Livre imprimé

  1. A Learner’s Dictionary of Haitian Creole

Albert Valdman

1997

Creole Institute

Bloomington University

Livre imprimé

  1. Inventaire étymologique des termes créoles des Caraïbes d’origine africaine

Pierre Anglade

1998

L’Harmattan

Livre imprimé

  1. Leksik kreyòl : ekzanp devlopman kèk mo ak fraz a pati 1986

Emmanuel Védrine

2000

Creole Project, Inc.

Édition électronique (PDF)

  1. Leksik elektwomekanik kreyòl, franse, angle, espayòl 

Pierre Vernet et H. Tourneux (dir.)

2001

Fakilte lengwistik aplike, Inivèsite Leta Ayiti

Livre imprimé

  1. Lexicréole (identification des sources lexicales) / Leksikreyòl (rive’jwenn sous leksikal yo)

Jeannot Hilaire

2001

Edikreyòl

Livre imprimé

  1. Diksyonè sinonim lang kreyòl ayisyen : mo sans tokay

Prophète Joseph

2001

Éditions Konbit ayisyen

Livre imprimé

  1. Diksyonè kreyòl karayib 

Jocelyne Trouillot

2003

Éditions CUC Université Caraïbe 

Livre imprimé

  1. Diksyonè kreyol-franse

Jocelyne Trouillot

Non daté

Éditions CUC Université Caraïbe 

Livre imprimé

  1. Diksyonè kreyòl-angle / Creole-English dictionary

Joslin Twouyo

[2004 ?]

Éditions CUC, Université Caraïbe

Livre imprimé

  1. Dictionnaire haitien-français/français-haitien

Prophète Joseph

2003

Éditions Konbit

Livre imprimé

  1. Leksik Franketienne : leksife

Garnel Innocent

2003

Éditions BJL

Livre imprimé

  1. Haitian Creole idiomatic dictionary

Féquière Vilsaint, Christine Barnden

2005

Educa Vision

Livre imprimé

  1. English haitian creole dictionary

Féquière Vilsaint, Jean-Evens Berret

2005

Educa Vision

Livre imprimé

  1. Diksyonè kreyòl-français, français-kreyòl : lekòl fondamantal

Prophète Joseph

2005 [ ? ]

Éditions Combit

Livre imprimé

  1. My bilingual talking dictionary : Haitian-Creole & English

Mantra Lingua

2005

TalkingPEN Edition

Livre imprimé + Livre audio

  1. English Haitian Creole Dictionary

Féquière Vilsaint

2006

Educa Vision

Livre imprimé

  1. English Haitian Creole social sciences dictionary / Diksyonè syans sosyal Anglè Kreyòl

Non spécifié

2007

Educa Vision

Livre imprimé

  1. Diksyonè matematik

Non spécifié

2007

Educa Vision

Livre imprimé

  1. Word by word basic : diksyonnè angle ak pòtre : English/Haitian Kreyol

Steven J Molinsky, Bill Bliss, Richard E Hill, Edwidge Crevecoeur-Bryant

2007

Pearson Longman

Livre imprimé

  1. Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary 

Albert Valdman

2007

Creole Institute, Indiana University

Livre imprimé

  1. The Oxford picture dictionary English / Haitian Creole = Angle/Kreyòl Ayisyen 

Jayme Adelson-Goldstein et Norma Shapiro

2009

Oxford University Press

Livre imprimé

  1. Diccionario haitiano-español/español-haitiano

Prophète Joseph, Francisco Lameda

2009

Edisyon Konbit Ayiti

Livre imprimé

  1. Leksik kreyol-fransè / Lexique français-créole 

Michel R. Doret

2009 et 2010

Imprimeur II (2009) et Edition Xlibris Corporation

Livre imprimé

  1. Diksyonè ilistre lang ayisyen

Prophète Joseph

2010

Éditions Konbit

Livre imprimé

  1. Interactive Science Dictionary in Haitian Creole CD-ROM

Non spécifié

2012

Educa Vision Inc. 

Édition électronique

  1. English-Haitian Creole, Haitian Creole-English word to word bilingual dictionary : with math, science & social studies subject vocabulary

C Sesma, Karine Gentil, Jean Aupont

2012

Bilingual Dictionaries, Inc.

Livre imprimé

  1. Haitian Creole practical dictionary : Haitian Creole-English, English-Haitian Creole

Charmant Theodore

2013

Hippocrene Books, Inc.

Livre imprimé

  1. Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative 

Michel DeGraff (et al.)

Non daté

[ 2015 ? ]

MIT – Haiti Initiative 

Édition électronique

  1. Diccionario multilingüe : criollo-español-inglés-francés

Tercius Belfort Noëlsaint

2015

AuthorHouse

Livre imprimé

  1. Petit lexique du créole haïtien : vocabulaire

Wadner Isidor 

2016

Éditions Connai-vie

Livre imprimé

  1. English-Haitian Creole bilingual dictionary

Albert Valdman, Marvin D Moody, Thomas E Davies

2017

Indiana University Creole Institute

Livre imprimé

  1. Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms  

National Center for Interpretation

1998

University of Arizona

Livre imprimé + Édition électronique

  1. English Haitian Creole Legal Glossary

Jean-Robert Cadely et Joelle Haspil

1999

Educa Vision

Livre imprimé + Édition électronique

  1. New Jersey Judiciary Glossary of Legal (and Related) Terms – English/Haitian Creole

Language Services

Office of Trial Court Services

2023

Administrative Office of the Courts

Livre imprimé + Édition électronique

  1. Diksyonè jiridik kreyòl 

Price Cyprien et Nathalie Wakam Cyprien

2024

Édition à compte d’auteur

Livre imprimé

  1. Dictionnaire de droit du travail 

Philippe Junior Volmar

2024

Éditions Charesso

Livre imprimé

(*)Robert Berrouët-Oriol

Linguiste-terminologue

Conseiller spécial du Conseil national d’administration

du Regroupement des professeurs d’universités d’Haïti (REPUH)

Konseye pèmanan, Asosyasyon pwofesè kreyòl Ayiti (APKA)

Montréal, le 9 août 2025