Vendredi 9 à 19h, Dimanche 11 à 11h, Jeudi 15 à 19h, Mardi 20 mai à 19h | Madiana |★★★★★ |
Avec Mélanie Thierry, Artem Kyryk
— Par Sarha Fauré —
Avec La Chambre de Mariana, Emmanuel Finkiel signe une œuvre bouleversante, sensorielle et singulière, à la croisée de l’histoire, du conte et du film d’apprentissage. Adapté du roman d’Aharon Appelfeld, le film nous plonge dans l’Ukraine de 1943, à travers le regard d’un enfant caché dans un placard pour échapper à la déportation. Un huis clos étouffant qui devient pourtant le théâtre d’un éveil à la vie.
Hugo a 12 ans. Pour le sauver, sa mère le confie à Mariana, une prostituée qui l’abrite secrètement dans sa chambre, au sein d’une maison close. L’enfant, enfermé dans l’obscurité, perçoit le monde par bribes : les voix, les bruits, les gestes entrevus par une fente dans le mur. Ce qui pourrait n’être qu’un exercice de style devient un puissant dispositif narratif. Emmanuel Finkiel filme l’enfermement sans jamais enfermer son spectateur : à l’image des perceptions fragmentaires de Hugo, le film avance par éclats, entre songe et réalité, dans une tension permanente entre le dehors menaçant et le dedans ambivalent.
Au cœur de ce dispositif, Mariana, interprétée par une Mélanie Thierry magistrale, incarne à la fois la survie, la tendresse et la transgression. En madone écorchée, solaire et insaisissable, elle initie l’enfant au trouble du désir autant qu’elle le protège de la barbarie. Son personnage échappe aux archétypes pour embrasser toute la complexité humaine : excessive, généreuse, brisée, vivante.
Le jeune Artem Kyryk impressionne dans le rôle de Hugo, par son intensité silencieuse, sa capacité à tout dire sans un mot. Le duo qu’il forme avec Mélanie Thierry est d’une justesse bouleversante, traversé de tension et de grâce.
Finkiel, qui avait déjà adapté La Douleur de Marguerite Duras avec une rigueur exemplaire, poursuit ici son exploration des récits enfouis de la Shoah, en évitant tout pathos. Il ne filme pas les événements historiques, mais leurs résonances intimes, la mémoire qui affleure, la lumière qui perce malgré l’horreur. Tourné en Hongrie après l’invasion russe de l’Ukraine, La Chambre de Mariana prend une dimension contemporaine qui redouble sa puissance.
Le film est un geste de cinéma rare : pudique, audacieux, incarné. Un chant grave et lumineux à la fois, sur l’enfance face à la guerre, la sensualité face à la mort, la fiction comme acte de survie.
Note : ★★★★★