« La Ballade des planches », tout en légèreté et en plaisir partagé

Rire du théâtre au théâtre.

— Par Roland Sabra —

Le théâtre est le lieu de l’humour. Des objets incongrus, des accessoires inattendus, peuvent sortir des coulisses, tomber des cintres, surgir des trappes. Le public le sait. Il vient pour être surpris. Il se met en condition de l’être. Tout comme l’acteur se prépare dans la loge à son entrée en scène le public se prépare à recevoir le spectacle. « Soyez les ingénieux chimistes de nos métamorphoses, c’est vous qui mettez la couronne sur la tête de nos rois » (Shakespeare). L’humour porte presque toujours sur un ailleurs du théâtre, transporté, transposé pour la scène. Jean-Paul Alègre lui s’intéresse, dans la Ballade des planches, aux situations comiques générées par le travail d’une troupe de théâtre. Une comédienne attend vainement la réplique d’une remplaçante qui de mots en maux dérive du côté de l’absurde. Trois exploratrices découvrent figés dans une éternité irradiée un théâtre, sa régie et ses spectateurs. Un commercial propose de filmer, avec des inserts publicitaires, la mise en scène du suicide d’un désespéré. Lors d’une répétition des comédiens se perdent dans la complexité, puis dans la confusion des propos abscons d’un auteur. J- P Alègre souligne surtout et avant tout que si le théâtre est la vie c’est parce que la vie est théâtre. Là encore Shakespeare le rappelle dans Comme il vous plaira « Le monde entier est un théâtre, Et tous les hommes et les femmes seulement des acteurs; Ils ont leurs entrées et leurs sorties,Et un homme dans le cours de sa vie joue différents rôles… »

L’absurdité des situations ne relève pas de l’absence de narration ou de la déstructuration du langage. Non, elle émerge du fait que les mots sont pris au pied de la lettre, de la confusion volontaire entre signifiant et signifié, de l’affirmation d’une adéquation entre le mot et la chose, mais aussi d’un subtil ’embrouillamini des rôles, des injonctions paradoxales, de cet effort imperceptible voire inconscient pour rendre l’autre fou. Quiproquo, jeux de mots, étrangetés familières se succèdent provoquant d’abord étonnement, déstabilisation, puis sourire et franche rigolade. Le regard critique porte aussi sur l’extension sans limite de la logique marchande aux activités culturelles. L’impératif, non pas catégorique, mais tout autant totalitaire, si ce n’est plus, de rentabilité économique qui invite à ce que le spectacle « rende le cerveau du spectateur disponible pour recevoir des messages publicitaires » ( TF1) est dénoncé dans un sketch au cours duquel le réalisateur taille à la hache dans le texte de la pièce pour faire court.

La troupe de comédiens amateurs dirigée en sourire, toutes dents dehors, mais fermement, si ce n’est avec poigne par Julie Mauduech, s’est engagée dans l’aventure avec un plaisir non dissimulé en s’appliquant en quelque sorte à « elle-même » la si célèbre « distanciation » propre au théâtre moderne 😛 . S’il fallut réclamer une diction plus forte et plus claire ce ne fut que l’espace de deux ou trois répliques. Les oublis et les trous sont vite comblés grâce au partenaire. Et puis ne sont-ils pas inhérents au métier? Les prestations, comme toujours dans ce type de production sont inégales. Si certaines relèvent de la logique qui fait choisir des « éclairs au chocolat » quand on préfère les « religieuses au café » d’autres font preuve d’une aisance sur le plateau qui n’a pas grand-chose à envier à ce que l’on peut voir sur certains plateaux dits « professionnels ». On va jusqu’à tâter au cabotinage. Pour rire.

Qu’il nous ait été permis de voir une dizaine de spectacles amateurs en un peu plus d’un mois témoigne d’une richesse territoriale incontestable. Demeure toujours la difficulté pour celles et ceux qui voudraient se diriger vers une professionnalisation. A quand de tels moyens en Martinique ?